Jonathan Swift par André Maurois de l'Académie Française Voici des plus grands écrivains de tous les temps, et peut-être le plus malheureux.
Publié le 05/04/2015
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Jonathan Swift par André Maurois de l'Académie Française Voici des plus grands écrivains de tous les temps, et peut-être le plus malheureux. Sa vie ne fut qu'une longue colère. Son orgueil blessé le poussait à l'arrogance et à la brutalité. Swift était irlandais, donc rebelle, et il avait été au service des Grands, donc révolté. Ses premiers patrons lui avaient fait donner de petites prébendes ecclésiastiques. Vers 1701, à trente-quatre ans, il décida d'abandonner la théologie pour la politique. Plus exactement, ce Docteur en Divinité tourna théologie et politique en la plus sauvage satire. 1702-1714. C'est le temps de la Reine Anne, souveraine insulaire, étroitement anglicane, farouchement tory, tout occupée de ses amours féminines. Sous l'influence de Swift, de Daniel Defoe, d'Addison et de Steele, les controverses deviennent alors aussi violentes que brillantes. Swift, ami des tories et de la haute Église, écrivit en leur faveur le Conte du Tonneau, obus de papier chargé de prose explosive, puis, en 1708, l'ironique Discours pour prouver que, dans l'état présent des choses, l'abolition du christianisme aurait en Angleterre quelques inconvénients. Il devint un pouvoir dans l'État, le pamphlétaire officiel des tories, le familier des ministres. Il en vint à se regarder comme un être placé au-dessus de tous, sans distinction de naissance, de sexe ou d'emploi. " Il vivait, dit Taine, en roi tombé, toujours insultant et blessé, ayant toutes les misères de l'orgueil sans aucune de ses consolations. Son visage et son style demeuraient impassibles, mais cette froideur apparente n'était que pour masquer des passions qui allaient à la folie. Il savait lui-même que son esprit était " comme un démon conjuré, qui ravagerait tout, s'il se refusait à lui donner du travail ". Les seuls éléments de douceur qui entrèrent dans la composition de Swift lui vinrent de deux femmes. Esther Johnson (Stella), qu'il avait connue, jeune fille, chez Sir William Temple, son premier patron, vint plus tard s'installer en Irlande près de lui. Leurs relations intimes demeurent un mystère. L'épousa-t-il secrètement ? On ne sait. Il est probable que Swift, par infirmité physique, était impropre au mariage, mais il aima " Stella ", douloureusement. Ce qu'on appelle le Journal à Stella est fait de soixante-cinq lettres qu'il lui adressa. Le soir du jour où elle mourut, en 1728, il écrivit un Portrait de Stella qui est déchirant par la tranquillité désespérée du ton. Une autre jeune fille, Esther Vanhomrigh, fille d'un riche marchand de Dublin, fort belle et que Swift avait surnomm...
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