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Gérard de Nerval par Jules Janin Épitaphe dans le Journal des Débats (1841) Ceux qui l'ont connu pourront dire au besoin toute la grâce et toute l'innocence de ce gentil esprit qui tenait si bien sa place parmi les beaux esprits contemporains.

Publié le 05/04/2015

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Gérard de Nerval par Jules Janin Épitaphe dans le Journal des Débats (1841) Ceux qui l'ont connu pourront dire au besoin toute la grâce et toute l'innocence de ce gentil esprit qui tenait si bien sa place parmi les beaux esprits contemporains. Il avait à peine trente ans, et il s'était fait, en silence, une renommée honnête et loyale, qui ne pouvait que grandir. C'était tout simplement, mais dans la plus loyale acception de ce mot-là : la poésie, un poète, un rêveur, un de ces jeunes gens sans fiel, sans ambition, sans envie, à qui pas un bourgeois ne voudrait donner en mariage même sa fille borgne et bossue ; en le voyant passer le nez au vent, le sourire sur la lèvre, l'imagination éveillée, l'oeil à demi fermé, l'homme sage, ce qu'on appelle des hommes sages, se dit à lui-même : " Quel bonheur que je ne sois pas fait ainsi ! " Il vivait au jour le jour, acceptant avec reconnaissance, avec amour, chacune des belles heures de la jeunesse, tombées du sein de Dieu. Il avait été riche un instant, mais par goût, par passion, par instinct, il n'avait pas cessé de mener la vie des plus pauvres diables. Seulement, il avait obéi plus que jamais au caprice, à la fantaisie, à ce merveilleux vagabondage dont ceux-là qui l'ignorent disent tant de mal. Au lieu d'acheter avec son argent de la terre, une maison, un impôt à payer, des droits et des devoirs, des soucis, des peines et l'estime de ses voisins les électeurs, il avait acheté des morceaux de toiles peintes, des fragments de bois vermoulu, toutes sortes de souvenirs des temps passés, un grand lit de chêne sculpté de haut en bas ; mais le lit acheté et payé, il n'avait plus eu assez d'argent pour acheter de quoi le garnir, et il s'était couché, non pas dans son lit, mais à côté de son lit, sur un matelas d'emprunt. Après quoi, toute sa fortune s'en était allée pièce à pièce, comme s'en allait son esprit, causerie par causerie, bons mots par bons mots ; mais une causerie innocente, mais des bons mots sans malice et qui ne blessaient personne. Il se réveillait en causant le matin, comme l'oiseau se réveille en chantant, et en voilà jusqu'au soir. Chante donc, pauvre oiseau sur la branche ; chante et ne songe pas à l'hiver ; laisse les soucis de l'hiver à la fourmi qui rampe à tes pieds. Il serait impossible d'expliquer comment cet enfant, car, à tout prendre, c'était un enfant, savait tant de choses sans avoir rien étudié, sinon au hasard, par les temps pluvieux, quand il était seul, l'hiver, au coin du feu. Toujours est-il qu'il était très versé dans les sciences littéraires. Il avait deviné l'Antiquité, pour ainsi dire, et jamais il ne s'est permis de blasphème contre les vieux dieux du vieil Olympe ; au contraire, il les glorifiait en mainte circonstance, les reconnaissait tout haut pour les vrais dieux, et disant son mea culpa de toutes ses hérésies poétiques. Car en même temps qu'il célébrait Homère et Virgile,...
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« acceptait non seulement le premier, mais encore le second Faust ; et cependant nous autres, nous lui disions que c'était bien assez du premier.

Bien plus, il a traduit les deux Faust, il les a commentés, il les a expliqués à sa manière ; il voulait en faire un livre classique, disait-il.

Souvent il s'arrêtait en pleine campagne, prêtant l'oreille, et dans ces lointains lumineux que lui seul il pouvait découvrir, vous eussiez dit qu'il allait dominer tous les bruits, tous les murmures, toutes les imprécations, toutes les prières, venus à travers les bouillonnements du fleuve, de l'autre côté du Rhin. Si jeune encore, comme vous voyez, il avait eu toutes les fantaisies, il avait obéi à tous les caprices.

Vous lui pouviez appliquer toutes les douces et folles histoires qui se passent, dit-on, dans l'atelier et dans la mansarde, tous les joyeux petits drames du grenier où l'on est si bien à vingt ans, et encore c'eût été vous tenir un peu en deçà de la vérité.

Pas un jeune homme, plus que lui, n'a été facile à se lier avec ce qui était jeune et beau et poétique ; l'amitié lui poussait comme à d'autres l'amour, par folles bouffées ; il s'enivrait du génie de ses amis comme on s'enivre de la beauté de sa maîtresse ! Silence ! ne l'interrogez pas ! où va-t-il ? Dieu le sait.

A quoi rêve-t-il ? que veut-il ? quelle est la grande idée qui l'occupe à cette heure ? Respectez sa méditation, je vous prie, il est tout occupé du roman ou du poème et des rêves de ses amis de la veille.

Il arrange dans sa tête ces turbulentes amours ; il dispose tous ces événements amoncelés ; il donne à chacun son rêve, son langage, sa joie ou sa douleur.

“ Eh bien ! Ernest, qu'as-tu fait ? — Moi, j'ai tué cette nuit cette pauvre enfant de quinze ans, dont tu m'as conté l'histoire.

Mon c œur saigne encore, mais il le fallait ; cette enfant n'avait plus qu'à mourir ! — Et toi, cher Auguste, qu'as-tu fait de ton jeune héros que nous avons laissé dans la bataille philosophique ? Si j'étais à ta place, je le rappellerais de l'Université, et je lui donnerais un maîtresse.

” Telles étaient les grandes occupations de sa vie : marier, élever, accorder entre eux toutes sortes de beaux jeunes gens tout frais éclos de l'imagination de ses voisins ; il se passionnait pour les livres d'autrui bien plus que pour ses propres livres ; quoi qu'il fît, il était tout prêt à tout quitter pour vous suivre.

“ Tu as une fantaisie, je vais me promener avec elle, bras dessus, bras dessous, pendant que tu resteras à la maison à te réjouir ” ; et quand il avait bien promené votre poésie, çà et là, dans les sentiers que lui seul il connaissait, au bout de huit jours, il vous la ramenait calme, reposée, la tête couronnée de fleurs, le c œur bien épris, les pieds lavés dans la rosée du matin, la joue animée au soleil de midi.

Ceci fait, il revenait tranquillement à sa propre fantaisie qu'il avait abandonnée au bord du chemin.

Cher et doux bohémien de la prose et des vers ! Braconnier sur les terres d'autrui ! Mais il abandonnait à qui les voulait prendre les beaux faisans dorés qu'il avait tués ! Une fois, il voulut voir l'Allemagne, qui a toujours été son grand rêve.

Il part ; il arrive à Vienne par un beau jour pour la science, par le carnaval officiel et gigantesque qui se fait là-bas.

Lui alors il fut tout étonné et tout émerveillé de sa découverte.

Quoi ! une ville en Europe où l'on danse toute la nuit, où l'on boit tout le jour, où l'on fume le reste du temps de l'excellent tabac.

Quoi ! une ville que rien n'agite, ni les regrets du passé, ni les inquiétudes du lendemain ! une ville où les femmes sont belles sans art, où les philosophes parlent comme des poètes, où personne n'est insulté, pas même l'empereur, où chacun se découvre devant la gloire, où rien n'est bruyant, excepté la joie et le bonheur ! Voilà une merveilleuse. »

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