De l'inutilité du théâtre au théâtre Article dans Le Mercure de France, N° 81, septembre 1896 Alfred Jarry Je crois que la question est définitivement tranchée de savoir si le théâtre doit s'adapter à la foule ou la foule au théâtre.
Publié le 05/04/2015
Extrait du document
«
sens qu'il ne donne pas à l'artiste la réalisation de l'extérieur vu à travers soi ou mieux
créé par soi.
Or il serait très dangereux que le poète à un public d'artistes imposât le décor tel qu'il le
peindrait lui-même.
Dans une œuvre écrite, qui sait lire y voit le sens caché exprès pour
lui, reconnaît le fleuve éternel et invisible et l'appelle "Anna Peranna".
La toile peinte
réalise un aspect dédoublable pour très peu d'esprits, étant plus ardu d'extraire la
qualité d'une qualité que la qualité d'une quantité.
Et il est juste que chaque spectateur
voie la scène dans le décor qui convient à sa vision de la scène.
Devant un grand public,
différemment, n'importe quel décor artiste est bon, la foule comprenant non de soi,
mais d'autorité.
Il y a deux sortes de décors, intérieurs et sous le ciel.
Toutes deux ont la prétention de
représenter des salles ou des champs naturels.
Nous ne reviendrons pas sur la question
entendue une fois pour toutes de la stupidité du trompe-l' œil.
Mentionnons que ledit
trompe-l' œil fait allusion à celui qui voit grossièrement, c'est-à-dire ne voit pas, et
scandalise qui voit d'une façon intelligente et éligente la nature, lui en présentant la
caricature par celui qui ne comprend pas.
Zeuxis a trompé des bêtes brutes, dit-on, et
Titien un aubergiste.
Le décor par celui qui ne sait pas peindre approche plus du décor abstrait, n'en donnant
que la substance ; comme aussi le décor qu'on saurait simplifier en choisirait les utiles
accidents.
Nous avons essayé des décors héraldiques, c'est-à-dire désignant d'une teinte unie et
uniforme toute une scène ou un acte, les personnages passant harmoniques sur ce
champ de blason.
Cela est un peu puéril, ladite teinte s'établissant seule (et plus exacte,
car il faut tenir compte du daltonisme universel et de toute idiosyncrasie) sur un fond
qui n'a pas de couleur.
On se le procure simplement et d'une manière symboliquement
exacte avec une toile pas peinte ou un envers de décor, chacun pénétrant l'endroit qu'il
veut, ou mieux, si l'auteur a su ce qu'il voulut, le vrai décor exosmosé sur la scène.
L'écriteau apporté selon les changements de lieu évite le rappel périodique au
non-esprit par le changement des décors matériels, que l'on perçoit surtout à l'instant de
leur différence.
Dans ces conditions, toute partie de décor dont on aura un besoin spécial, fenêtre qu'on
ouvre, porte qu'on enfonce, est un accessoire et peut être apportée comme une table ou
un flambeau.
L'acteur "se fait la tête", et devrait tout le corps, du personnage.
Diverses contractions et
extensions faciales de muscles sont les expressions, jeux physionomiques, etc.
On n'a
pas pensé que les muscles subsistent les mêmes sous la face feinte et peinte, et que
Mounet et Hamlet n'ont pas semblables zygomatiques, bien qu'anatomiquement on.
»
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