Séquence 3 : L’île des esclaves ou le jeu de rôle thérapeutique, Marivaux, 1725
Publié le 22/05/2024
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Séquence 3 : L’île des esclaves ou le jeu de rôle thérapeutique,
Marivaux, 1725
Problématique : L’expérience utopique de l’échange de rôle entre maîtres et
valets est-elle véritable mise à l’épreuve ou simple mise en scène ?
Lecture linéaire n°9 : Parcours associé : La comédie du valet : L’affaire est dans le sac
Les Fourberies de Scapin, scène 2, Acte III, Molière, 1671
Objectif : En quoi le jeu du valet donne-t-il à la scène un tour particulièrement comique ?
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GÉRONTE.
- Ne saurais-tu trouver quelque moyen pour me tirer de peine ?
SCAPIN.
- J’en imagine bien un ; mais je courrais risque moi, de me faire assommer.
GÉRONTE.
- Eh, Scapin, montre-toi serviteur zélé.
Ne m’abandonne pas, je te prie.
SCAPIN.
- Je le veux bien.
J’ai une tendresse pour vous qui ne saurait souffrir que je vous laisse
sans secours.
GÉRONTE.
- Tu en seras récompensé, je t’assure ; et je te promets cet habit-ci, quand je l’aurai
un peu usé.
SCAPIN.
- Attendez.
Voici une affaire que je me suis trouvée fort à propos pour vous sauver.
Il
faut que vous vous mettiez dans ce sac et que...
GÉRONTE, croyant voir quelqu’un.
- Ah !
SCAPIN.
- Non, non, non, non, ce n’est personne.
Il faut, dis-je, que vous vous mettiez làdedans, et que vous gardiez de remuer en aucune façon.
Je vous chargerai sur mon dos,
comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi au travers de vos ennemis,
jusque dans votre maison, où quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et
envoyer quérir main-forte contre la violence.
GÉRONTE.
- L’invention est bonne.
SCAPIN.
- La meilleure du monde.
Vous allez voir.
(À part.) Tu me payeras l’imposture.
GÉRONTE.
- Eh ?
SCAPIN.
- Je dis que vos ennemis seront bien attrapés.
Mettez-vous bien jusqu’au fond, et
surtout prenez garde de ne vous point montrer, et de ne branler pas, quelque chose qui puisse
arriver.
GÉRONTE.
- Laisse-moi faire.
Je saurai me tenir...
SCAPIN.
- Cachez-vous.
Voici un spadassin qui vous cherche.
(En contrefaisant sa voix.) "Quoi ?
Jé n’aurai pas l’abantage dé tuer cé Geronte, et quelqu’un par charité né m’enseignera pas où
il est ?" (À Géronte avec sa voix ordinaire.) Ne branlez pas.
(Reprenant son ton
contrefait.) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre." (À Géronte avec son
ton naturel.) Ne vous montrez pas.
(Tout le langage gascon est supposé de celui qu’il
contrefait, et le reste de lui.) "Oh, l’homme au sac !" Monsieur.
"Jé té vaille un louis, et
m’enseigne où put être Géronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! Jé lé
cherche." Et pour quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ?" Oui.
"Jé beux, cadédis, lé
faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point
à des gens comme lui, et ce n’est pas un homme à être traité de la sorte.
"Qui, cé fat dé
Geronte, cé maraut, cé velître ?" Le seigneur Géronte, Monsieur, n’est ni fat, ni maraud, ni
belître, et vous devriez, s’il vous plaît, parler d’autre façon.
"Comment, tu mé traites, à moi,
avec cette hautur ?" Je défends, comme je dois, un homme d’honneur qu’on offense.
"Est-ce
que tu es des amis dé cé Geronte ?" Oui, Monsieur, j’en suis.
"Ah ! Cadédis, tu es de ses amis,
à la vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac.)
LECTURE LINEAIRE N°9 : L’affaire est dans le sac :
Scène 2, Acte III, Les Fourberies de Scapin,
Molière, 1671 : De « Ne saurais-tu » à « bâton
sur le sac ».
Projet de lecture : En quoi le jeu du valet donnet-il à la scène un tour particulièrement
comique ?
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Introduction :
L’auteur
Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, baptisé le 15 janvier 1622 à l'église Saint-Eustache de Paris, et
mort le soir du 17 février 1673, à son domicile de la rue de Richelieu, est le plus célèbre des comédiens
et dramaturges de langue française.
La comédie acquiert, grâce à lui, une dignité nouvelle qui lui vaut
même d'être qualifiée de « grande ».
C'est que sa recette est inédite : alliant au rire une dimension
satirique, didactique et moralisatrice, il parvient à amuser son public tout en l'édifiant.
Il reprend ainsi
la devise des anciens : Castigat ridendo mores, qui signifie « [La comédie] corrige les mœurs par le
rire » et critique, par exemple, les précieuses et les coquettes (Célimène dans Le Misanthrope),
les faux dévots (Tartuffe), mais aussi des défauts humains, comme l'hypocrisie, l'avarice, l'orgueil et la
naïveté (L’Avare).
Résumé de l’œuvre et situation du passage
-
Résumé :
Pendant l'absence de leurs pères respectifs, Octave s'est marié en secret avec Hyacinthe, une jeune
fille pauvre au passé mystérieux et Léandre est tombé amoureux de Zerbinette, une égyptienne.
Mais
voici que les pères, Argante et Géronte rentrent de voyage avec des projets de mariage pour leurs
enfants.
De nombreuses comédies antiques, la farce et la commedia dell’arte ont inspiré Les Fourberies
de Scapin, la comédie en trois actes de Molière, représentée en 1671, et, en particulier le type du
« zanni », le valet rusé et débrouillard.
C’est Scapin, qui va ainsi aider les jeunes gens amoureux, Octave
et Léandre contre leur pères abusifs Argan et Géronte.
-
Situation du passage :
Dans la scène 2 de l’Acte III, non loin du dénouement, Scapin a fait croire à Géronte, dont il veut se
venger des mauvais traitements qu’il a subis de sa part, qu’on le cherche pour le tuer, et va le
persuader de se cacher dans un sac.
Mouvement du texte :
Nous pouvons distinguer trois mouvements dans cet extrait :
-
Géronte, effrayé, demande l’aide de Scapin (ligne 1 à 7)
La mise en place de la ruse du valet (ligne 8 à 22)
La comédie du valet (ligne 23 à la fin)
-
Projet de lecture :
En quoi le jeu du valet donne-t-il à la scène un tour particulièrement comique ?
I/ GERONTE DEMANDE DE L’AIDE A SCAPIN (L.
1 à 7)
→ L.
1 : L’extrait s’ouvre sur une modalité interrogative, Géronte s’adressant à son valet sur le mode
de la prière : « Ne saurais-tu trouver quelque moyen pour me tirer de peine ? », ce que souligne l’usage
du conditionnel.
→ L.
2 : La réponse positive du valet - « J’en imagine bien un » - laisse entendre qu’il ne manque pas
d’inventivité et a plus d’un tour dans son sac.
Toutefois, la conjonction de coordination d’opposition
« mais » entraîne un basculement dans la réplique, Scapin prétendant se mettre en danger s’il
intercède en faveur de son maître : « mais je courrais risque moi, de me faire assommer.
» En effet, il
entend signaler, grâce au procédé d’insistance qui consiste à renforcer le pronom sujet « je » par
l’emploi redondant du pronom « moi », que son plan n’est pas sans danger pour lui.
Il n’est sans doute
pas hasardeux que le prénom Scapin vienne de l’italien scappare signifiant « s’échapper ».
Il se
présente, en effet, comme le serviteur rusé, capable d’échapper à tous les dangers et de sortir son
maître des situations les plus complexes.
→ L.
3 : Cela ne semble pas déstabiliser son maître dont Molière suggère, par l’usage des deux
impératifs de prière et sa supplique finale, à la fois la lâcheté et l’incapacité à affronter une situation
de danger : « Eh, Scapin, montre-toi serviteur zélé.
Ne m’abandonne pas, je te prie », ce qui relève du
comique de caractère, le « barbon » de comédie se montrant craintif et égocentrique, ne songeant
qu’à son intérêt personnel.
Le « serviteur zélé » (qui s'acquitte de son travail avec conscience, ardeur
et empressement), dans cette société de l’Ancien Régime, c’est celui qui doit servir son maître en
toutes circonstances, au péril même de sa vie.
→ L.
4 à 7 : La réponse de Scapin après son acceptation – « Je le veux bien » - est pleine d’ironie : « J’ai
une tendresse pour vous qui ne saurait souffrir que je vous laisse sans secours ».
En effet, personne ne
peut croire à l’amour du valet pour le maître égoïste, sauf le personnage de Géronte, parce qu’il
manque de bon sens et est imbu de lui-même et de sa supériorité sociale.
Ce dernier semble promettre
une juste rétribution à son valet pour ses bons et loyaux services : « Tu en seras récompensé, je
t’assure ; et je te promets cet habit-ci » mais la phrase se termine par un trait comique qui souligne
son avarice (comique de caractère et thématique privilégiée de Molière, cf.
L’Avare) : « quand je
l’aurais un peu usé ».
Les rapports maître-valet sont ainsi traités sur le mode de la satire.
Par le procédé de la double
énonciation, le spectateur....
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