Il nous faut bien un concept de Dieu
Publié le 11/05/2022
Extrait du document
«
Il nous faut bien un concept de Dieu
1.
Nous pensons à Dieu et nous en parlons en faisant usage de divers concepts.
Ces concepts sont-ils corrects ?
On peut entendre par là deux choses.
La première: ces concepts sont-ils cohérents, est-il possible que quelque
chose leur corresponde (ou tombe sous eux, ou les satisfasse, etc.) – comme quelque chose peut correspondre au
concept de fromage, mais rien au concept de catalogue de tous les catalogues qui ne se mentionnent pas euxmêmes? La seconde : ces concepts trouvent-ils une application correcte quand ils sont appliqués à Dieu – comme
‘fromage’ s’applique à un morceau de camembert, mais pas à une orange?
La première question reçoit immédiatement une réponse positive si le concept considéré s’applique déjà à autre
chose qu’à Dieu (je parlerai de concept général) : être, substance, amour, bonté, personne, etc.
Elle reste posée à
propos des concepts formés pour ne saisir que Dieu (je parlerai de concept spécifique) : créateur, premier, parfait,
voire tout-puissant, omniscient, totalement et parfaitement bon.
Il va de soi que si de tels concepts sont
incohérents, il est impossible que quelque chose leur corresponde.
Une réponse négative à la première question
aboutit ipso facto à une réponse négative à la seconde.
Mais il faut encore distinguer deux cas de réponse négative.
Il est possible que Dieu ne soit saisi par aucun concept, général ou spécifique, parce qu’il échappe à la
conceptualisation, ou, tout simplement, parce qu’il n’existe pas.
On pourra d’ailleurs tirer argument en faveur de
cette inexistence à partir de l’incohérence de certains concepts spécifiques (si, par exemple, l’omniscience, la toute
puissance, la cause incausée sont des impossibilités).
Autrement dit, l’athée aussi bien que le théiste peuvent tenir tel concept pour incorrect (en soi ou dans sa
prétendue appication à Dieu).
Mais l’athée ne dira pas que Dieu échappe à tout concept, ou, s’il le dit, il
s’exprimera mal, et voudra seulement dire que les concepts spécifiques sont incohérents ou au moins qu’ils sont
vides, et que les concepts généraux ne comptent pas Dieu dans leur extension (il y a des substances, mais aucune
n’est Dieu).
L’athée a besoin d’un concept de Dieu, pour dire que rien n’y correspond, et que Dieu n’existe pas.
Mais quand le théiste prétend que Dieu échappe à tel concept, il veut dire que ce concept lui est inadéquat, et, s’il
prétend que Dieu échappe à tout concept, il veut dire qu’aucun concept ne lui est adéquat.
Or cela, comment le saitil, comment pourrait-il seulement le savoir ? Je peux sans doute estimer, face à un individu, une situation, une
sensation donnés, qu’aucun concept disponible ne peut le ou la saisir (et encore, ce dont je ne peux alors rien dire,
je dis néanmoins que c’est un individu, ou une situation ou une expérience).
Il faut que la chose soit là et que je
puisse constater qu’aucune idée, aucun mot, ne lui vont – comme on le dit d’un vêtement.
Mais si la chose n’est
pas là, n’est donnée en aucune manière, il ne s’ensuit sans doute pas qu’elle n’existe pas, mais la seule possibilité
d’y penser et d’en parler suppose qu’un concept en soit formé (ce sera le F qui … et qui…).
Sans possibilité de
montrer ou d’éprouver (demonstratio ad sensum), il faut une conceptualisation (qui permette ensuite la
demonstratio ad intellectum).
On voudra répondre : mais le théiste prétend justement que Dieu est donné.
Ce n’est pas si sûr, ou, en tout cas,
il n’est pas sûr que tout théiste ait cette prétention.
On peut penser que Dieu a donné un certain sentiment
(religieux), a parlé et laissé une révélation, voire qu’il a donné son fils fait homme, mais, d’une part, ce n’est pas
Dieu en tant que tel, et, d’autre part, ces dons sont justement identifiés par des concepts.
Dire que Dieu lui-même
est donné ce serait dire que l’on a une expérience de Dieu.
Or il est plus traditionnel de dire que Dieu n’a pas de
corps que le contraire (même s’il peut prendre une apparence, voire prendre un corps : ce n’est pas le corps de
Dieu).
Il n’y a donc pas d’expérience sensible (vision, audition) de Dieu.
Une expérience intérieure ? La notion est
aussi ambiguë que l’expression est courante.
Veut-on dire que Dieu est éprouvé comme on éprouve une sensation,
une douleur ou une joie ? Ou bien il s’agit d’un sentiment ainsi nommé, et sa précision comme sentiment de Dieu
réclame un critère de distinction d’avec le même sentiment éprouvé en d’autres occasions.
Ou bien il s’agit d’un
sentiment spécifique, le sentiment-de-Dieu, attaché à la seule rencontre de Dieu, mais alors, comment sait-on qu’il
s’agit bien d’un sentiment de Dieu ?
On pourra également objecter que ‘Dieu’ est un nom propre, utilisé pour faire référence à son porteur, dans un
certain nombre de textes ou de discours qui rapportent des faits dont il est partie prenante.
Et comme ces discours
sont tenus pour inspirés par lui, et que seul Dieu parle bien de Dieu, nous ne saurions y ajouter une
conceptualisation étrangère : il faut s’en tenir à cette parole sacrée.
Pourtant, ces discours, en attribuant à Dieu un
certain nombre de paroles, d’attitudes, d’actions, etc., nous forcent eux-mêmes à admettre que bon nombre de
concepts s’appliquent à Dieu, voire ne s’appliquent qu’à lui.
Si l’on répond que ce n’est pas dans le sens habituel,
on demandera alors dans quel sens.
Si l’on n’obtient pas de réponse, on doutera qu’un sens puisse être donné, et
du coup que ces discours soient vrais (ou faux) et que le nom de Dieu ait un porteur.
On ne saurait interdire
l’usage de ‘Dieu’ comme nom propre.
Mais il semble judicieux de considérer qu’il y a un nom commun, ‘dieu’, et.
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