Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835, Chap. I « Une pension bourgeoise »
Publié le 30/03/2011
Extrait du document
Le narrateur présente une pension, à Paris, où va s'installer son héros Eugène de Rastignac. m bien ! Malgré ces plates horreurs, si vous le compariez à la salle à manger qui lui est contigüe, vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme doit l'être un boudoir. Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd'hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échangées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d'assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à Tournai. Dans un angle est placée une boîte à cases numérotées qui sert à garder les serviettes, ou tachées ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s'y rencontre de ces meubles indestructibles, proscrits partout, mais placés là comme le 10 sont les débris de la civilisation aux Incurables 1. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l'appétit, toutes encadrées en bois verni à filets dorés ; un cartel en écaille incrustée de cuivre ; un poêle vert, des quinquets d'Argand où la poussière se combine avec l'huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu'un facétieux externe 2 y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style3, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l'intérêt de cette histoire, et que les gens pressés 20 ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, là règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n'a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n'a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture. Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835, Chap. I « Une pension bourgeoise «.
1. Les Incurables : hospice créé en 1634 pour accueillir les indigents âgés. 2. Externe : pensionnaire qui ne prend que les repas à la maison. 3. Style : poinçon qui servait à graver.
question 1 A quel type de texte appartient ce passage extrait du début du Père Goriot ? Relevez les différents indices qui justifient votre réponse. (2 points) question 2 Comment se marque la présence du narrateur dans la phrase : « Pour expliquer... ne pardonneraient pas « ? (2 points) question 3 Dans un développement organisé d'une vingtaine de lignes au moins, vous ferez l'étude de ce texte en vous appuyant sur le lexique et les images. Quel rôle peut jouer ce passage par rapport à l'ensemble du roman dont il est extrait ? (6 points)
«
(1837-1843) ;
— scènes de la vie parisienne : Histoire des treize (1834-1835) ; César Birotteau (1837) ; Splendeurs et misères descourtisanes (1839-1850) ;
— scènes de la vie politique : Une ténébreuse affaire (1841) ;
— scènes de la vie militaire : Les Chouans (1829).
Cette œuvre monumentale par son ampleur se lit comme un ensemble en mouvement où les personnages reviennentd'un roman à l'autre et nouent des relations au gré de l'auteur.
question 1
A quel type de texte appartient ce passage extrait du début du Père Goriot ? Relevez les différents indices quijustifient votre réponse.
12 points)
Cet extrait du Père Goriot nous présente un texte descriptif.
L'usage répété de l'imparfait, auquel vient s'ajouter àquelques reprises l'emploi du présent intemporel est tout à fait conforme aux nécessités de la description.
De plus, la présence d'indices de localisation : « contiguë » (ligne 2), « dans un angle » (ligne 7), « là » (lignes 9 et21), permet de confirmer ce diagnostic.
Ajoutons pour finir, que l'ensemble des détails matériels, présents tout au long de ce texte de Balzac, permettent dele faire figurer, parmi les exemples connus de descriptions, aux côtés d'autres relevés chez Flaubert ou Maupassant.
t» question 2
Comment se marque la présence du narrateur dans la phrase : « Pour expliquer...
ne pardonneraient pas » ?
(2 points)
La présence du narrateur est marquée par l'usage du discours indirect libre, avec le recours au pronom personnelmasculin de la troisième personne du singulier « il ».
Ce passage pourrait être écrit au style direct, le narrateur nousdisant : « La description que je devrais vous faire retarderait...
et les gens pressés ne me la pardonneraient pas.
»
w question 3
Dans un développement organisé d'une vingtaine de lignes au moins, vous ferez l'étude de ce texte en vousappuyant sur le lexique et les images.
Quel rôle peut jouer ce passage par rapport à l'ensemble du roman dont il est extrait ?
(6 points)
Balzac, comme d'autres romanciers du XIXe siècle, dont nous avons déjà cité les noms, excelle à mettre en place undécor, et à faire circuler du sens entre celui-ci et ses personnages.
Une étude du lexique et des images de cepassage nous permettra de montrer comment P auteur procède pour réussir sa description.
Le romancier fait faire le tour de cette salle à manger au lecteur, comme un visiteur pourrait être amené à le faire.Sa vision va d'abord de la totalité de la salle à manger, pour passer ensuite, par étapes successives, à l'étude dequelques détails caractéristiques.
Attachant la plus grande importance aux choses présentes dans la pièce, il établit un inventaire réaliste, qu'un Zolane démentirait pas.
Le regard parcourt tout d'abord les murs de la salle, pour en isoler trois éléments significatifs :les boiseries, la couleur de la peinture, la présence de la crasse qui les couvre.
L'œil se dirige ensuite vers lesmeubles les plus massifs plantés dans ce lieu : buffet, boîte, table, chaises.
Il explore enfin le capharnaüm desobjets accumulés dans cette pièce, comme dans un inventaire à la Prévert : (douze éléments en tout) carafes,ronds, assiettes, baromètre, poêle, ...
Ces éléments hétéroclites sont disposés de haut en bas.
Le carreau rougeétant le dernier élément de cette salle à manger décrépite.
En outre, Balzac rythme sa description en faisantalterner un élément singulier avec des objets au pluriel, par exemple un baromètre et des gravures (lignes 10 et 11),un poêle et des quinquets (ligne 13), une table et des chaises (lignes 14 et 16).
Les objets entrant dans cette description semblent venir tout droit d'un bric-à-brac de brocanteur.
Pour accroîtrel'effet déplorable qu'ils produisent, Balzac y ajoute l'effet produit par des adjectifs dépréciatifs : gluants, ternies,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Ce corpus est composé de trois extraits, Le Rouge et le Noir écrit en 1830 par Stendhal, Le père Goriot écrit en 1835 par Honoré de Balzac, Madame Bovary écrit en 1857 par Gustave Flaubert.
- Analyse de la 1re partie : Une pension bourgeoise (pp. 21 à 130) - Le Père Goriot de Balzac
- PÈRE GORIOT (le). Roman d'Honoré de Balzac (résumé & analyse)
- Le Père Goriot d'Honoré de Balzac (analyse détaillée)
- Fiche de lecture : PÈRE GORIOT (Le) d'Honoré de Balzac