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Guy de Maupassant, Le Horla: 19 août

Publié le 31/03/2011

Extrait du document

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19 août. Je le tuerai. Je l'ai vu ! Je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d'écrire avec une grande attention. Je savais bien qu'il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ? Et alors !... alors, j'aurais la force des désespérés ; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l'étrangler, l'écraser, le 5 mordre, le déchirer. Et je le guettais avec tous mes organes surexcités. J'avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminée, comme si j'eusse pu, dans cette clarté, le découvrir. En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, 10 ma porte fermée avec soin, après l'avoir laissée longtemps ouverte, afin de l'attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour, pour me raser, pour m'habiller, et où j'avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant. Donc, je faisais semblant d'écrire, pour le tromper, car il m'épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon épaule, qu'il était là, frôlant mon oreille. 15 Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans... et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait 20 encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. Comme j'eus peur ! Puis voilà que tout à coup je commençai à m'apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise mon image, de seconde en seconde. C'était comme la fin d'une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours 25 nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s'éclaircissant peu à peu. Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant. Je l'avais vu ! L'épouvante m'en est restée, qui me fait encore frissonner. 20 août. [...] Guy de Maupassant, Le Horla, 1887.

QUESTIONS

question 1 Le narrateur présente le récit de son aventure sous forme de journal intime. Relevez dans le texte des indices qui le prouvent. Pourquoi, à votre avis, utilise-t-il cette forme ? (2 points) question 2 Qui est d'après vous le personnage évoqué par le narrateur ? Comment le désigne-t-il ? Décrivez les rapports qu'ils entretiennent. (3 points) question 3 Dans un commentaire organisé de trente lignes minimum, vous montrerez comment cette aventure bascule dans le fantastique. (5 points)

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« a fixé sur le papier la trace de ses pensées ou des événements qui lui sont arrivés.

En outre, nous pouvons ajouterque le rédacteur d'un journal intime s'exprime en son nom personnel en usant des pronoms personnels de premièrepersonne du singulier « je » (ce qui est ici le cas à 29 reprises), « me » (17 fois), « moi » (3 fois), et aussi del'adjectif possessif « ma, mes » ou « mon » (17 fois). Chacun de ces représentants de la personne qui parle, et leur grande abondance, sert à ancrer ce genre de récitdans le journal intime.

Dans celui-ci, l'objet qui intéresse l'écrivain est l'auteur lui-même, et ses aventurespersonnelles. Ici, le narrateur, qui est aussi un peu l'auteur, choisit ce subterfuge du journal intime pour donner plus de réalité à lafiction fantastique dont il fait la matière du Horla. question 2 Oui est d'après vous le personnage évoqué par le narrateur ? Comment le désigne-t-il ? Décrivez les rapports qu'Usentretiennent.

(3 points) Le narrateur évoque dans le texte que nous venons de lire un bien curieux personnage.

Un personnage trèsmystérieux pour lui, fuyant, fugace, inquiétant.

Il le désigne à de très nombreuses reprises dans l'extrait présentésoit par le pronom personnel complément « le », soit par le pronom personnel masculin de troisième personne dusingulier : « il ». Ce personnage imaginaire est le double du narrateur, véritable « transparence opaque » — remarquons d'ailleursl'effet de cette alliance de mots constituant un bon exemple d'oxymore —, et qui est en quelque sorte comme unfantôme « sans contours nettement arrêtés ». La perception de cette présence, invisible et permanente, met l'auteur dans un état second.

Surexcité par cetteabsence-présence, pénétré d'une angoisse folle face à l'invisible, il développe une haine farouche pour ce doubleinsaisissable.

Une violence incoercible le possède alors, et il veut tuer cette chose qui ne cesse de l'épier. question 3 Dans un commentaire organisé de trente lignes minimum, vous montrerez comment cette aventure bascule dans lefantastique.

(5points) Les textes littéraires du XIXe siècle, et en particulier les nouvelles, font une large place au fantastique.

De ProsperMérimée à Charles Nodier, en passant par Théophile Gautier et Villiers de l'Isle-Adam, sans oublier Victor Hugo, lesécrivains ont souvent cédé à l'attraction de l'irréel et du surnaturel.

Dans cet extrait du Horla, Maupassant nouspermet d'étudier comment une aventure bascule dans le fantastique. Ce texte s'organise autour de deux grandes parties, de deux grands « moments ».

Le premier s'ouvre parl'affirmation « Je l'ai vu » et se développe jusqu'à la ligne 12.

Un homme : Maupassant-le diariste, attend sur sachaise, dans l'immobilité et la défensive, la venue de la forme-force qui l'obsède.

Lorsque l'étrange visite survientenfin, dans la deuxième partie, de la ligne 13 à la fin, il perd ses moyens, et se laisse envahir par une peurincontrôlable, qui ne retombera qu'après la reprise, au plus-que-parfait cette fois, de la même assertion : « Je l'avaisvu ». Dans la première partie, l'auteur cherche à rendre crédible la situation pour que nous soyons en mesure dereconnaître comme terrifiant ce qui nous sera décrit plus loin dans la seconde partie, de la ligne 16 à la ligne 20.

Salucidité est bien sûr atteinte, mais il ne veut pas que le lecteur ne prenne pas au sérieux sa vision.

Il accumule enparticulier, comme nous l'avons déjà noté (question 1), le pronom personnel de première personne « je ».

Le lecteurpense que la menace perçue par le narrateur doit être bien réelle pour qu'il se montre capable de mobiliser ainsi untel engagement de la personne et une telle détermination physique.

Maupassant accumule alors les verbes d'action :« tuer, étrangler, écraser, mordre, déchirer ».

Face à cette mise en condition violente, le lecteur ne peut ques'interroger sur la nature de la menace qui l'environne. Le fantastique repose nous le savons sur une hypersensibilité, sur une hypertrophie même, des détails signifiants etnécessaires pour ancrer dans la réalité ce que ni le regard, ni les sens ne pourraient admettre s'ils gardaient leurcalme et leur précision habituels.

De la ligne 9 à la ligne 12, l'auteur fait faire à son lecteur le tour de la chambre oùil se trouve, en s'arrêtant sur le meuble qui va immédiatement jouer le rôle principal.

Et soudain, tout bascule : « jefaillis tomber », Maupassant est alors atteint de ce que les spécialistes des maladies psychiques identifieraientcomme la tendance au dédoublement qui est une vraie perte d'équilibre, non seulement physique, mais aussiinconsciente.

La raison du sujet est atteinte.

Et c'est à la connaissance des ravages de cette « folie » que nousallons être entraînés dans la deuxième partie du passage. Ce qui pouvait être accepté comme la frayeur d'un homme aux sens sensibles, isolé dans une maison, devient unvrai cauchemar.

La pire vision est bien là.

Le fantastique de la situation éclate aux lignes 16 et 20.

À la ligne 16 toutd'abord, le trouble de l'auteur nous gagne à notre tour, lorsque se plaçant face à son armoire à glace il n'y distingueque le « vide », et plus encore à la même ligne il constate : « Mon image n'était pas dedans ».

A une période de. »

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