Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.
Publié le 08/01/2019
Extrait du document
Paul VALÉRY
avril 1919
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.
Cette belle phrase, et si juste, fut inspirée à Paul Valéry (1871-1945) par les horreurs de la guerre de 1914-1918. Elle se situe dans la première lettre de
«
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles, Valéry.
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• Cette phrase est tirée de « La crise de l'esprit », un texte figurant dans les « Essais quasi politiques » publiés dansVariété (Tome I, page 988 des Œuvres en Pléiade).« La crise de l'esprit » est constituée par deux « lettres » originellement parues en anglais dans une revuelondonienne en 1919.
La version française paraîtra la même année dans la Nouvelle Revue Française.
La phrase citéeest la première phrase de la première de ces deux lettres.• « La crise de l'esprit » paraît au lendemain de la Première Guerre mondiale, guerre qui — outre le fait qu'elleoccasionna plus de huit millions de morts — provoqua une profonde crise de la conscience européenne.Pour Valéry, cette guerre a montré que la civilisation européenne pourrait sombrer comme l'ont fait dans le passédes civilisations parmi les plus brillantes :
«Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu designification pour nous que leur existence même.
Mais France, Angleterre, Russie...
ce seraient aussi de beaux noms.Lusitania aussi est un beau nom.
Et nous voyons maintenant que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout lemonde.
Nous sentons qu'une civilisation a la même fragilité qu'une vie.
Les circonstances qui enverraient les oeuvresde Keats et celles de Baudelaire rejoindre les oeuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sontdans les journaux.
»Mais Valéry ne s'arrête pas à cette constatation somme toute banale.
Il s'arrête sur le fait que ce qui vient de sepasser nous conduit à remettre en cause un certain nombre de valeurs :«Les grandes vertus du peuple allemand ont engendré plus de maux que l'oisiveté n'a créé de vices.
Nous avons vu,de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus sérieusesadaptés à d'épouvantables desseins.
Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus.
Il a fallu,sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d'hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peude temps; mais il a fallu non moins de qualités morales.
Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects?»Un nouvel ordre est à instaurer; tâche difficile «car deux dangers ne cessent de menacer le monde : l'ordre et ledésordre.»La seconde lettre et la longue note ajoutée à « La crise de l'esprit » s'interrogent sur le devenir de l'Europe :
«Or, l'heure actuelle comporte cette question capitale : l'Europe va-t-elle garder sa prééminence dans tous lesgenres ? L'Europe deviendra-t-elle ce qu'elle est en réalité, c'est-à-dire : un petit cap du continent asiatique? Oubien l'Europe restera-t-elle ce qu'elle paraît, c'est-à-dire la partie la plus précieuse de l'univers terrestre, la perle dela sphère, le cerveau d'un vaste corps?»
L'histoire, d'une certaine façon, a déjà partiellement répondu à cette question..
»
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