"L'obéissance au devoir est une résistance à soi- même." Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion. Commentez cette citation.
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Agir par devoir est un idéal de la raison. Les hommes sont mus par leurs passions. Chacun a sa pente. L'obéissance ne consiste pas à se conformer à ce qu'exige la loi morale, mais à s'opposer aux premiers mouvements de la conscience qui choisit la facilité.
Le véritable sens de l'obéissance n'est pas de se plier à une loi extérieure à soi, à une force, mais de reconnaître le devoir comme la forme interne de tout acte raisonnable. En ce sens, l'homme doit résister à lui-même mais aussi à la peur de la loi.
Analyse du sujet
- Les inventeurs du régime républicain, les grecs, eurent à défendre leurs cités contre une invasion par l’Empire perse. De cette guerre, la bataille des Thermopyles est demeurées célèbre : trois cents spartiates, pour n’avoir pas fui, périrent en tentant de stopper pendant deux jours l’avancée de dizaines de milliers de soldats ennemis. Sur le lieu de leur mort, leur épitaphe était : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts d’obéir à ses lois. «
- Ils ont montré ainsi que le sens du devoir peut-être plus fort que la volonté de vivre ; on peut célébrer leur gloire et leur amour de la liberté, mais on peut déplorer qu’un prétendu devoir les ait envoyés à une mort certaine. S’ils avaient eu le choix, peut-on penser, ils auraient probablement préféré vivre ; le devoir a eu raison de leur bon sens, et de leur libre choix. L’obéissance au devoir est-elle toujours synonyme de résistance à soi, c’est-à-dire de résistance contre sa volonté propre, a fortiori contre sa propre liberté.
Problématique
Peut-on, en droit, opposer le vouloir individuel (qui témoigne d’une singularité propre à soi), à la nécessité sociale d’obéir ? Tout se passe comme si le sens commun considérait que, là il y a obéissance, il ne peut y avoir expression de son libre-arbitre, ni, a fortiori, expression de son individualité propre : or c’est précisément cette exclusion spontanée qui doit être ici mise à la question ?
«
superficiel, mais néanmoins nécessaire à la survie de l'individu.
Le Moi profond est individuel, singulier, atome isolé,monade sans porte ni fenêtre, soumis à une tendance anti-naturelle et antisociale, insociable, tandis que le Moisuperficiel est le moi social, lié par mille obligations morales à la communauté des autres individus.
Toutefois, le Moiprofond (individuel) est rare et exceptionnel, alors que le moi social superficiel domine le plus souvent nos faits etgestes, ainsi que nos paroles.
La surface du Moi est son point de contact avec la société, c'est-à-dire avec lesautres individus.• Plus il creuse profondément en lui-même, plus l'homme découvre l'individu singulier qu'il est (irréductible etincommensurable aux autres), plus il est attentif aux exigences morales de la société plus il s'éloigne de son proprecentre et s'extériorise, et mieux il s'insère dans le tissu (quasi organique) de la société des autres personnes etnoue avec elles des liens de solidarité.
Mais, paradoxalement, par la société et par ses obligations morales, l'individune se décentre pas en se diluant dans l'extériorité des relations avec les autres ; en réalité, en forçant son Moisocial superficiel, le Moi individuel profond travaille à sa propre survie, car il ne se saurait se maintenir durablementsoupé de la société, de même que la cellule coupée de son organisme meurt immédiatement.
La société certes est lasurface, la pellicule, la couche externe de notre Moi.• Mais « L'obligation que nous nous représentons comme un lien entre les hommes, lie d'abord chacun de nous àlui-même », c'est-à-dire lie la surface à la profondeur, la dimension sociale ou universelle de notre être à ladimension individuel et profonde de notre être.
Il n'y a pas d'hiatus, ou d'incompatibilité, de tension, selon Bergson,entre les obligations du Moi social superficiel et celles du Moi individuel profond : les unes et les autres vont (entout cas la plupart du temps) dans le même sens : les intérêts de l'individu (bien compris) ne sont pas autres queceux de la société (argument des éthiques utilitaires = se faire du bien à soi-même, c'est travailler indirectement àfaire du bien à l'ensemble de la société humaine).
« C'est donc à tort qu'on reprocherait à une morale purementsociale de négliger les devoirs individuels ».
Car la morale sociale imprègne de façon immanente les actions, lesparoles des individus, qu'ils le veuillent ou non.
Tout se passe comme si, selon la métaphore bergsonienne, la surfacesociale finissait par compénétrer l'intimité la plus profonde de l'individu, comme si les obligations morales de lasociété finissait par contaminer insidieusement jusqu'aux racines les plus profondes de la personnalité individuelle, desorte que l'individu naturellement, spontanément, presque mécaniquement, automatiquement, sans y faire attention,obéit aux obligations morales de la société à laquelle il appartient.• Dès qu'existe une solidarité horizontale entre les Mois sociaux, les obligations morales de la société pénètrentdans l'intériorité profonde de l'individu, jusqu'à devenir sa seconde nature, même si parfois, exceptionnellement, parle crime par exemple, il rompt de nouveau le lien social.
Ce qui n'était d'abord que surface - les obligations moralessociales - finissent par être intériorisées par tous les individus, et deviennent pour chacun comme une secondenature, à laquelle ils se soumettent habituellement comme une cellule se plie à la loi naturelle qui régit l'organisme.• Bergson fait du moi social, greffé sur le moi individuel profond, le principal voire l'unique moteur de son activité,de son énergie, de sa force, mais également un équivalent du « spectateur impartial » d'Adam Smith, c'est-à-direune sorte de conscience morale, qui sans cesse relance notre effort et nous pousse à vivre.
Sans le moi social, lemoi individuel, souvent faible et paresseux, se laisserait facilement mourir, se laisserait aller, s'abandonnerait àl'inertie, au repos de la matière.
Le moi social est l'aiguillon vital du moi individuel ; sans le moi social, c'est-à-dire lemoi tel qu'il apparaît aux autres individus de la société humaine, le moi individuel non seulement cesserait d'agir, maisencore s'abandonnerait au repos de la mort.• Selon Bergson, toute conscience individuelle est consubstantiellement unie au tissu horizontal de la société.
Elley puise non seulement la force de vivre, l'énergie d'agir et de se battre, mais encore ses références culturelles, sesvaleurs et ses principes, ses obligations morales, la norme de ses désirs et de ses besoins.
Bergson étend la fonctionde la société de réservoir de normes et de principes pour l'individu y compris et surtout au champ moral, contre laphilosophie morale de Kant, qui tente, au contraire, d'arracher l'individualité morale à l'influence des moeurshumaines sociales, du moins qui refuse de faire de la vie éthique concrète d'une peuple ou d'une société la normecomme telle du bien moral.
Le moi individuel ne serait rien sans le moi social auquel il s'adosse, qui lui fournit sa vie,sa force et ses valeurs et que le moi individuel intériorise jusqu'à en faire une seconde nature en lui - l'exemple d'unindividu, le criminel, qui, par son crime, s'excepte de la société des hommes, rompt le lien social.
Bergson montrequ'en réalité même le plus grand criminel ne saurait se maintenir durablement dans cet état d'existence asocial.Malgré lui, le criminel est toujours ramené vers la société possible avec un autrui possible.
Car rester totalementisolé, coupé de toute société humaine, ce serait pour le moi individuel (ici du criminel) se condamner lui-même à lamort, car chaque moi individuel est en un sens la société.
Le criminel cherchera toujours par quelque biais (parexemple en avouant, en reconnaissant son crime dans l'élément universel et commun du langage) à renouer lecontact avec la communauté des hommes, dont son crime l'a temporairement éloigné.• Ce qui constitue l'individualité d'un homme, ce n'est donc pas son indépendance, sa solitude, son indépendance,sa dimension une, simple, indivisible, sans porte ni fenêtre, sans dépendance horizontale aux autres individus, c'est-à-dire sa dimension monadique, mais bien plutôt son insertion dans un tissu social au moins idéalement possible.
Cequi constitue l'individu, lui permet d'exister et de se constituer dans son identité, de se donner son style propre(pour reprendre l'exemple sartrien du magistrat bossu), c'est « l'adhérence de l'individu à la société », qui poussel'individu presque mécaniquement, presque naturellement, comme s'il obéissait à une loi naturelle, à se conformeraux obligations morales de la société, quand bien même il les aurait ponctuellement enfreintes, comme dans le casdu criminel.
L'individu tient à la société par toute une série de points de contact, par une insertion dans des groupesde plus en plus vastes : il appartient ainsi à plusieurs sphères concentriques, dont il est le centre et qui s'élargissentjusqu'à la société humaine dans son ensemble (qui n'est autre que l'espèce humaine), en appartenant à diverscercles : sa famille, ses amis, la corporation de métier, la commune, le département, la région, le pays, le continent,la planète Terre, etc.
II.
Le devoir d'être libre, le devoir d'être soi.
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