Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse. Giraudoux
Publié le 22/02/2012
Extrait du document


«
partie.
Nous assistons à une «pesée» des chances qui ne tourne à l'avantage d'Ulysse que pour autant que celui-ci, à son corps défendant, est investi de la puissance de conquête de son peuple.
Si Ulysse ne doute pas un instant que la catastrophe se produise, Hector, naïf, s'imagine que « rien n'est perdu» (acte II, scène 13).
Ulysse lui explique alors combien l'apparence est trompeuse.
Fidèle à la réputation d'hommesage et clairvoyant que lui a prêtée Homère, il s'appuie sur sa connaissance des hommes et, faisant preuve d'unelucidité implacable, il décèle, d'un regard infaillible, la fatale réalité qui se fait jour.
Avec le recul nécessaire, Ulysse, de ce fait, apprécie comme il convient, c'est-à-dire avec l'humanité la plusfraternelle, ce moment unique et précaire qui le rapproche, pour la dernière fois, de son futur ennemi.
Ainsi les deux hommes, animés par les mêmes convictions relatives à la paix et à la guerre, à la haine et à l'amour,bénéficient-ils de l'insigne faveur d'établir une parfaite union au sein d'une virtuelle désunion, de parvenir à cetaccord momentané des contraires qui, faute de pouvoir conduire à une «victoire sur l'inéluctable », comme l'affirme Ulysse, fonde cette précieuse et irremplaçable «fraternité d'ennemis».
Bien entendu, un tel privilège est sans lendemain.
Le lieu de cette fraternité d'armes est désigné par Giraudouxcomme étant, en ce deuxième acte où se produit l'entrevue, un «square clos de palais.
A chaque angle, échappée sur la mer.
»
Au premier acte, le décor avait pour cadre la « terrasse d'un rempart dominé par une terrasse et dominant d'autres remparts».
11 s'agit donc d'un lieu en surplomb, propice à cette hauteur de vues dont se réclame Ulysse. Ce n'est pas que les deux hommes soient insensibles au drame qui se prépare.
Ils sont tout bonnement les premiersà le voir avec un détachement lucide, fruit de leur réflexion et de leur expérience : les «grands » se trouvent placésdans une position privilégiée pour connaître une catastrophe qui, toutefois, ne les épargnera pas plus que lesautres.
Le destin est en marche :
« ULYSSE. — Vous êtes jeune, Hector!...
A la veille de toute guerre, il est courant que deux chefs des peuples en conflit se rencontrent seuls dans quelque innocent village, sur la terrasse au bord d'un lac, dans l'angle d'unjardin.
Et ils conviennent que la guerre est le pire fléau du monde, et tous deux, à suivre du regard ces
reflets et ces rides sur les eaux, à recevoir sur l'épaule ces pétales de magnolias, ils sont pacifiques, modestes,loyaux.
Et ils s'étudient.
Ils se regardent.
Et, tiédis par le soleil, attendris par un vin clairet, ils ne trouvent dans levisage d'en face aucun trait qui justifie la haine, aucun trait qui n'appelle l'amour humain, et rien d'incompatible nonplus dans leurs langages, dans leur façon de se gratter le nez ou de boire.
Et ils sont vraiment combles de paix, dedésirs de paix.
Et ils se quittent en se serrant les mains, en se sentant des frères.
Et ils se retournent de leurcalèche pour se sourire...
Et le lendemain pourtant éclate la guerre...
Ainsi nous sommes tous deux maintenant...Nos peuples autour de l'entretien se taisent et s'écartent, mais ce n'est pas qu'ils attendent de nous une victoiresur l'inéluctable.
C'est seulement qu'ils nous ont donné pleins pouvoirs, qu'ils nous ont isolés, pour que nous goûtionsmieux, au-dessus de la catastrophe, notre fraternité d'ennemis...
Goûtons-la.
C'est un plat de riches.
Savourons-la...
Mais c'est tout.
Le privilège des grands, c'est de voir les catastrophes d'une terrasse.
»
(acte II, scène 13)
Le symbolisme universel qu'expriment le haut et le bas trouve une traduction particulière dans le va-et-vient desvieillards qui, au premier acte, témoignent ainsi leur vénération à Hélène.
Ils se sont rendu compte, en effet, qu'ilsdoivent descendre les escaliers des remparts s'ils veulent voir correctement Hélène; mais pour qu'elle entende leursacclamations, ils savent qu'ils ne peuvent rester en bas car ce n'est qu'en haut qu'Hélène les entend.
Comme leurpassion leur interdit de se passer un seul jour de la vue d'Hélène, ils montent et descendent sans trêve les escaliers,pour autant que leur âge et leur souffle s'en accommodent (acte I, scène 5).
Sûre de l'effet produit, Hélène se promène chaque jour sur les terrasses des remparts.
Tous les hommes sont fousd'elle, spécialement les vieillards, comme le constate Cassandre :
« Et tous nos frères, et tous nos oncles, et tous nos arrière -grands -oncles!...
Hélène a une garde d'honneur, qui assemble tous nos vieillards.
Regarde.
C'est l'heure de sa promenade...
Vois aux créneaux toutes ces têtes à barbe blanche...
On dirait les cigognes caquetant sur les remparts.
»
(acte 1, scène 4)
Ce n'est pas Hélène qu'Ulysse voit du haut des remparts ou de la terrasse, on s'en doute, bien qu'Hélène soitsusceptible de constituer un casus belli commode pour les va-t-en guerre.
Si les vieillards tombent sous le charme,se laissent fasciner, du même coup, par la catastrophe à laquelle Hélène demeure identifiée, Ulysse, qui connaît bienHélène, pour l'avoir observée depuis une quinzaine d'années, sait discerner, du haut de la terrasse, par-delàl'anecdote ou le fait divers, la marche inéluctable du destin :
«ULYSSE.
- Nous parlons d'Hélène.
Vous vous êtes trompés sur Hélène, Pâris et vous.
Depuis quinze ans, je la connais, je l'observe.
Il n'y a aucun doute.
Elle est une des rares créatures que le destin meten circulation sur la terre pour son usage personnel.
».
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse. Giraudoux in La Guerre de Troie n’aura pas lieu.
- Commentez et discutez le texte suivant : « Notre époque technique n'a fait qu'augmenter le besoin d'une culture générale solide... De plus en plus, les grands industriels et même les purs scientifiques, tendent à recruter des collaborateurs cultivés de préférence à des collaborateurs avertis : les se-conds, bien souvent, ne progressent guère au-delà de leur succès initial, alors que les premiers sont sus-ceptibles d'apprendre. » « La culture générale n'est nullement cette culture vaine
- Charles James Fox 1749-1806 Charles James Fox n'a exercé des fonctions ministérielles que pendant trois brèves périodes -- en 1782, 1783 et 1806 -- dont la durée totale n'atteignit pas vingt mois et l'on pourrait s'étonner de le voir rangé parmi les grands hommes d'État.
- Le Théâtre français par Pierre-Aimé Touchard Après la Libération, les grands noms du théâtre français contemporain demeuraient ceux de Claudel et de Giraudoux auxquels se joignait un nouveau venu, Henri de Montherlant.
- Grands lacs Grands lacs africains Les grands lacs d'Afrique de l'Est couvrent une région où la croûte terrestre se fissure le long de deux fossés d'effondrement, ou rifts (voir le carto-thème Fossés d'effondrement).