La leçon du théâtre. Eugène Ionesco
Publié le 15/09/2015
Extrait du document
« Je n’aime pas Brecht, justement parce qu’il est didactique, idéologique. Il n’est pas primitif, il est primaire. Il n’est pas simple, il est simpliste. Il ne donne pas matière à penser, il est lui-même le reflet, l’illustration d’une idéologie, il ne m’apprend rien, il est redite. D’autre part, l’homme brechtien est plat, il n’a que deux dimensions, celles de la surface, il n’est que social : ce qui lui manque, c’est la dimension en profondeur, la dimension métaphysique. Son homme est incomplet et il n’est souvent qu’un pantin. »
«... je pense que des écrivains comme Sartre (auteur de mélodrames politiques), Osborne, Miller, etc., sont les nouveaux «auteurs du boulevard», représentant un conformisme de gauche qui est tout aussi pitoyable que celui de droite. Ces écrivains n’offrent rien que l’on ne connaisse déjà, par les ouvrages et discours politiques. »
« Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art ; et un pays où on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves ou de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne
rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine. Car ces gens affairés, anxieux, courant vers un but qui n’est pas un but humain ou qui n’est qu’un mirage, peuvent tout d’un coup, aux sons de je ne sais quels clairons, à l’appel de n’importe quel fou ou démon, se laisser gagner par un fanatisme délirant, une rage collective quelconque, une hystérie populaire. »
«
«Toute vue uniforme, unilatérale, partisane, est
l'expression d'une mauvaise foi.
L'histoire a une multi
plicité de directions.
Les inquiétudes de l'époque nous
les portons avec nous, tout naturellement.
L'artiste doit
les laisser s'exprimer avec une liberté toute naturelle:
dans leurs contradictions vivantes, elles nous révéleront
une vérité complexe, étonnante, beaucoup plus instruc
tive que n'importe quelle leçon:
les leçons sont faites
pour nous mener par
le bout du nez et nous cacher la
vérité complexe, dans ses contradictions.
La leçon du théâtre est au-delà des leçons.
»
..,..
Avec cette dernière formule, on tient l'un des éléments
essentiels du credo esthétique et politique d'Ionesco.
Le théâtre ne doit servir aucune cause,
il ne doit se
réduire à aucun message.
La grandeur de l'art consiste
même dans
son incapacité à se ranger dans un camp ou
dans un autre.
Comme l'affirme encore Ionesco:
« ...
tous les auteurs ont voulu faire de la propagande.
Les grands sont ceux qui ont échoué
...
»
Le théâtre et la littérature ne servent à rien.
Mais, pour
suit Ionesco, c'est justement en cela qu'ils peuvent être
cependant utiles.
Dans un monde qui ne croit
qu'à
l'utilité des choses, ils démontrent «l'inutilité de
l'utile» et du même coup «l'utilité de l'inutile».
Ionesco déclarait dans une « Communication pour une
réunion d'écrivains français et
allemands» en février
1961:
« ...
s'il faut absolument que l'art ou le théâtre serve
à quelque chose,
je dirai qu'il devrait servir à rappren
dre aux gens qu'il y a des activités qui ne servent à rien
et qu'il est indispensable qu'il y en ait
...
»
Il continue ainsi :
«Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile, l'inutilité
de l'utile, on ne comprend pas
l'art; et un pays où on
ne comprend pas
l'art est un pays d'esclaves ou de
robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne.
»
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