« Je dis « je » en sachant que ce n'est pas moi. » Samuel Beckett, L'Innommable. Commentez cette citation.
Publié le 09/03/2010
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Il y a une sorte de fossé entre le sujet qui pense et le sujet qui parle ou agit d'où notre incapacité à exprimer l'essentiel.
Cette citation de Beckett s'appuie sur un problème récurrent et complexe : celui de l'identité personnelle. En effet, toute notre culture européenne s'organise autour d'une pseudo certitude : le « je «, le « moi «, l' « ego «, qui sont autant de mots censés qualifier l'individu que je suis et qui semble certain de son existence et de son appartenance.
Vaste problématique puisque celle-ci plonge ses racines dans un doute profond (voire radical) qu'expriment et questionnent simultanément différentes approches : philosophiques, éthiques, métaphysiques, logiques, psychologiques, psychanalytique...
«
cartésien comme l' « unité originairement synthétique de l'aperception ».
Cette unité est la seule, en son sens, quipermet de comprendre comment est possible une expérience de la totalisation du divers et de la représentation (cf.Critique de la raison pure ).
Cette silhouette réflexive, le « Gemüt », sera d'ailleurs le fondement et l'objet éminent de son triptyque critique.
Rien, donc, ne peut remplacer ou faire s'effondrer cette certitude identitaire, qui, bien aucontraire, est la pierre de touche de toutes nos expériences.
Comment, donc, concevoir cette réfutation beckettienne d'un principe pourtant fondateur d'éminentes théories de laconnaissance, mais également de notre capacité à concevoir, transmettre et à nous représenter toute expériencevécue : l'identité du « moi », du « je ».
Le procès psychanalytique du « moi » II.
Pourtant, reconnaissons que cette identité est propice aux polémiques.
Qui est ce « moi », tout d'abord, que « je »suis censé être ?
Freud, le père de la psychanalyse, va fondamentalement transformer notre perception rassurée de l'identitépersonnelle.
La théorie psychanalytique, et c'est bien son apport majeur, va profondément remettre en questioncette idée que je suis transparent à moi-même.
Bien au contraire, cette certitude du « je suis moi » s'effrite dansl'expérience troublante du rêve, du lapsus, de l'acte manqué, de la pulsion.
Cette identité, qui reposaittraditionnellement sur des racines rationnelles et logiques, ne peut rendre compte de ces différentes expériencestroublantes.
Le sujet n'est pas un ! Pense Freud.
Il considère certes le « moi » (d as Ich ) comme l'instance qui, dans sa topique (schéma abstrait de la psychée humaine), joue un rôle d'arbitre et de conciliateur.
Mais ce rôle marquebien la présence de deux autres instances, à l'intérieur même de l'individu psychique : celle, énergétique etpulsionnelle du « ça » (d as Es ) et celle, exigeante et culpabilisatrice du « Surmoi » (d as Über-Ich ) (cf.
Essais de psychanalyse ).
Ce que Freud met en lumière, c'est justement cette division au sein même de la pseudo unité psychique de l'individu,tiraillé par des forces diverses, voire antagonistes.
Dans L'inquiétante étrangeté , l'allemand va jusqu'à affirmer l'existence d'une « folle du logis », sorte de « sorcière dans le placard » qui s'amuse à parasiter justement toutecette rassurante identité personnelle.
Cette « folle du logis », que Freud nomme « Unheimlichkeit » (ce qui est en soi mais qui n'y appartient pas), a pour particularité de se manifester à revers de la conscience, provoquant ainsicette inquiétude du sujet qui agit, malgré lui, bizarrement aux yeux de sa conscience.
Quelque chose est donc,selon Freud, en nous, et qui pourtant semble aller à l'encontre même de nos intentions conscientes.
Freud prônedonc une pensée complexe et diffuse d'une identité, sommes toutes, bien opaque et divisée.
Le « je » et le « moi »seraient donc, en son sens et en celui de Beckett, deux termes bien artificiels et trompeurs venant qualifier uneidentité qui ne va vraiment pas de soi.
Conclusion.
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