J'ai dit « bizarre »... comme c'est bizarre ! Louis Jouvet
Publié le 22/02/2012
Extrait du document


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tenus par l'évêque tient à la répétition purement mécanique d'un tic de langage momentané : l'emploi de l'adjectif«bizarre».
Ce qui est expressément bizarre, c'est que l'évêque ne se soit pas avisé d'avoir prononcé le mot«bizarre».
Oubli auquel il accorde cependant une certaine importance (« comme c'est bizarre!»).
Ce qui paraît êtrepur jeu de langage (« bizarre» éclairant « bizarre » sans, toutefois, l'expliquer, selon un effet métalinguistique) apourtant une raison d'être : la présence du couteau, qui n'est pas moins «bizarre» que l'emploi du qualificatif«bizarre».
Or ce couteau est l'arme supposée du crime dont est victime Margaret : le couteau est bien réel, si l'armeest fictive.La disparition de Margaret n'est qu'un artifice destiné à couvrir l'escroquerie littéraire de Molyneux.
Le redoublementde l'énoncé («bizarre») se voit donc allusivement justifié par un effet « théâtral » : l'identité du langage se dérobe,comme se dérobe l'identité de l'objet (le couteau).
Du reste, le changement d'identité de Molyneux relève desmêmes effets.L'art conjugué du réalisateur et de son dialoguiste amène le spectateur à consentir à l'invraisemblable imbroglio oùs'égare le couple des Molyneux, mais qui demeure parfaitement intelligible dans ses péripéties.
Ce n'est plusseulement la situation qui, logiquement menée à son terme, se révèle délirante; la fantaisie la plus débridée gagneles êtres et les choses : le mimosa, les plantes exotiques de la serre, entrent en transe.
Le bouquet de fleurs offertà Margaret par William Kramps est constitué de la réunion des fleurs prélevées sur le corps des noceurs assomméspar le jeune illuminé !Même la chienne (imaginaire) de la tante Mac Phaerson, Canada, trouve un semblant d'existence, dès lors que lavieille dame attribue sa pseudo-disparition aux méfaits de l'empoisonneur public, faute de pouvoir incriminer lespectre de Margaret.
Que dire de l'imagination populaire, qui métamorphose le fait divers en un folklore macabre, surle mode mélodramatique !• La « bizarrerie» ne relève donc pas d'un simple tic de langage, elle finit par équivaloir à une véritable vision,délibérément gauchie, de la réalité, au point de se révéler, le moment venu, délirante et fantastique.
C'est que,jouant sur l'ambiguïté de la « réalité », Carné transforme ses personnages en acteurs de théâtre dont l'irrécusableprésence sur l'écran est à la mesure de leur double jeu.La séquence d'ouverture du film (au Debating Hall) est représentative du caractère fallacieusement moralisateurattribué au discours de l'évêque.
Comme au théâtre, le comédien Louis Jouvet prête sa voix, sa diction, son onction,au regard de connivence que pose sur lui la caméra : la sincérité de l'acteur se soumet à un propos démystificateur.Aujourd'hui, nous apprécions, sans doute beaucoup mieux que ne l'ont fait les spectateurs de l'époque, l'humournoir, l'ébouriffante virtuosité de la mise en scène et des dialogues, sans oublier le brio de la distribution.
Ce n'estqu'en 1952, à une reprise du film, que le public lui a assuré le triomphe qu'il méritait.
Curieusement, quand le film estsorti, en 1937, les critiques se sont refusé le plaisir de rire à la loufoquerie clownesque ou théâtrale, c'est selon, quedéclenche ce drôle de drame, bizarre, bizarre....
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