Dissertation : Le bonheur des uns doit-il reposer sur le malheur des autres ?
Publié le 30/11/2022
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«
Dissertation : Le bonheur des uns doit-il reposer sur le malheur des autres ?
« Le malheur des uns fait le bonheur des autres » : cette idée est largement diffusée dans le
roman philosophique Candide, qui dresse un tableau du monde où le malheur est partout, et où
Voltaire s’attache à réfuter la théorie de l’optimisme de Liebniz selon laquelle « tout est pour le
mieux dans le meilleur des mondes possibles ».
L’expression proverbiale signifie qu’un événement
néfaste à une personne est bénéfique à une autre, et, plus cyniquement, que d’une situation
malheureuse pour les uns, les autres en tirent parti et profit.
Dans le sujet : Le bonheur des uns doitil reposer sur le malheur des autres ? , les termes de l’expression proverbiale de Voltaire sont
inversés, pour renforcer son cynisme et insister davantage sur le bonheur et la question de son
fondement.
La présence du connecteur logique « doit-il » donne une dimension morale au sujet
(question quid juris et non quid facto) afin d’évacuer la constatation de fait selon laquelle il y a
toujours plus malheureux que soi.
Bonheur et malheur sont-ils d’inséparables compagnons ? Faut-il
penser son bonheur forcément en rapport avec le malheur d’autrui comme si la quantité possible de
son bonheur était inversement proportionnelle à celle d’autrui ? En somme, faut-il qu’autrui soit
malheureux pour qu’on se sente heureux ?
Ayant montré que le bonheur des uns peut reposer sur le malheur des autres, nous verrons quelles
sont les objections à ce concept.
Enfin, nous analyserons quel est le véritable fondement du
bonheur.
Comme disait Pierre Desproges : « Il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les
autres soient malheureux ».
Ce principe est traduit par la notion que les Allemands ont appelé :
Schadenfreude (littéralement, joie née du dommage).
Il s’agit de la joie malsaine, ou du malin plaisir,
qu’éveille en nous le spectacle du malheur des autres.
Aristote déjà, dans son Éthique à Nicomaque,
avait dû forger un nouveau nom, epichairekakia (littéralement, joie née du mal), pour dire la vilaine
émotion que ressent celui qui, loin de s’affliger du malheur des autres, s’en réjouit.
Se réjouir du malheur des autres semble donc nourrir notre bonheur.
Notre plaisir à observer le
malheur des autres ne date pas d’hier, mais notre époque semble être l’âge d’or de ce sentiment,
tellement présent qu'il a donné naissance à des heures de programmes télévisés, les calamiteux
sottisiers.
Une des conditions qui favorisent l’émergence de cette attitude est le gain que l’on peut
attendre du malheur de l’autre : celui qui aura accès à la mission de ses rêves, parce que son collègue
tombe malade, ne pourra peut-être pas se réjouir extérieurement, mais il jubilera intérieurement.
En
quelque sorte, les malheurs des autres nous consolent, nous donnant le sentiment que l’autre a
mérité son malheur.
Avouons-le : ne ressentons-nous pas un petit pincement de plaisir quand notre
voisine, tellement donneuse de leçons, a raté ses examens.
Enfin, la Schadenfreude émerge aussi
lorsque nous jalousons la personne qui souffre, car nous la jugeons plus compétente, ou plus élevée
socialement.
Ses malheurs la rendent moins enviable, et nous sommes revalorisés par sa perte de
statut.
C’est un des ressorts d’ailleurs de la presse people, qui se focalise volontiers sur les malheurs
des célébrités.
De plus, les individus qui se placent en situation de rivalité, peuvent être agacés par le bonheur
d’autrui.
Il arrive alors qu’ils se réjouissent de l’épreuve ou de l’échec qui affecte quelqu’un en qui ils
voient un concurrent sur le plan professionnel ou un rival sur le plan affectif.
Cet esprit de rivalité est
un poison qui rend le bonheur dépendant des autres dans une spirale négative : heureux quand les
autres échouent, malheureux quand ils réussissent.
A ce point, nous pouvons passer à la critique de notre première hypothèse selon laquelle le
malheur d’autrui est nécessaire pour qu’on se sente heureux.
Dans ce cas, on fait alors dépendre son bonheur d’autrui.
Ceci est en contradiction avec les sagesses
philosophiques.
Epicure, par exemple, nous dit que, par le quadruple remède, le bonheur est à
portée de main.
Les stoïciens, pour leur part, considèrent avant tout que le bonheur dépend de soi et
non d’autrui, ni de la quantité de malheur qui peut l’affecter.
Il ne faut pas penser le bonheur en
comparaison avec la situation des autres car on s’aliénerait à un bonheur qui ne dépendrait pas de
nous.
Notre première hypothèse induit également l’idée que le bonheur est uniquement pensé en terme
de chance.
En effet, étymologiquement, le mot bonheur vient du latin bonum augurium (bon augure
ou bonne fortune) et signifie donc la bonne chance.
Au contraire le malheur, c’est le mauvais augure,
le manque de chance, ne pas être né sous la bonne étoile.
Cette idée de chance et de fatalité sousentend que le bonheur s’obtient en gagnant un jeu de hasard, thèse confirmée dans l’expression de
l’homo Ludens : « l’heureux gagnant ».
En somme, le bonheur serait un jeu à somme nulle et sa
quête nous mettrait en position de concurrence avec autrui : le bonheur des uns fait nécessairement
le malheur des autres.
Cette vision concurrentielle de la vie humaine suppose des gagnants et des
perdants.
Or le bonheur est aussi insaisissable que le vent.
Dès qu’on pense s’en être emparé, il nous
échappe.
Le bonheur n’est pas quantitatif, de l’ordre matériel de l’avoir mais qualitatif, de l’ordre
existentiel de l’être.
Il arrive même qu’on ne le reconnaisse, qu’une fois le malheur survenu : « J’ai
reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant » a écrit Jacques Prévert.
D’un point de vue utilitariste, le bonheur se mesure à la quantité de plaisir pour le plus grand
nombre : « the greatest happiness for the greatest number ».
Dès lors mon bonheur ne peut pas se
nourrir du malheur d’autrui : je dois œuvrer pour un bonheur collectif.
Un bonheur qui ne reposerait
pas sur le malheur des autres serait un bonheur collectif.
C’est justement le projet de l’utopie....
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