Ce qui est aisé à croire ne vaut pas la peine de croire. Minerve ou De la sagesse Alain, Emile-Auguste Chartier, dit. Commentez cette citation.
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
pas de plus et entreprend de dériver toutes les modalités de croyance d'une croyance mère, ou
croyance originaire, qui est l'affirmation pure et simple, laquelle fait correspondre à la
certitude simple du « je crois que...
» le caractère d'être du « cela est ainsi ».
Mais le problème
philosophique de la croyance n'est pas pour autant épuis é : la croyance mère ou croyance
originaire, telle qu'elle se présente dans l'affirmation, au sens tout à fait élémentaire de dire
oui ou non, face à quelque énoncé ou proposition, constitue une sorte d'énigme ou de
paradoxe ; elle joint, en effet, des tra its que l'on peut dire subjectifs, à savoir tous les degrés
de la certitude, et des traits que l'on peut dire objectifs, à savoir tous les degrés du probable
jusqu'au vrai pur et simple.
Le problème critique est né de là : c'est, au sens fort du mot, une
question de discernement, dans la mesure où, pour le sujet de la croyance, les degrés de la
certitude ne sont pas distingués de ceux de la vérité, mais où les premiers sont pris pour les
seconds.
Bref, l'énigme de la croyance, c'est celle du tenir -pour -vrai .
En quoi consiste cette énigme ? La croyance ne pose pas seulement un problème de degré :
du doute à la certitude.
Elle pose un problème de valeur qui tient à son rapport ambigu à la
vérité.
Tenir pour vrai, n'est -ce pas prendre pour vrai ce qui, peut -être, paraît vrai, mais n'est
pas vrai ? Cette interrogation se reflète dans les évaluations contradictoires qui s'attachent au
mot croyance.
Les significations de ce mot ne nous paraissent pas seulement multiples,
diverses, variées ; elles semblent en o utre se distribuer en fonction de pôles de valeur
opposée ; nous avons déjà évoqué la parenté entre croyance et opinion ; or l'opinion, dans sa
signification majeure d'origine grecque, véhicule une estimation négative, en opposition à la
notion de science ou de savoir.
Mais nous avons évoqué aussi la parenté entre croyance et
foi ; or le mot foi, dans sa signification majeure d'origine judéo -chrétienne, est évalué
positivement par rapport aux catégories qui, dans ce second système d'oppositions, véhiculent
l'estimation négative, telle que péché, chair, monde, œuvres, souci, etc.
Le mot croyance
souffre de ce tiraillement entre l'opinion, appréciée négativement dans un système
épistémologique et ontologique qui la met au bas de l'échelle de valeurs, et la foi , appréciée
positivement dans un système de valeurs de caractère religieux.
La situation est même plus
compliquée, car, dans chacun des deux systèmes de gravitation, l'opinion et la foi sont
susceptibles de recevoir elles -mêmes des valeurs opposées.
L'opinion, premier synonyme de
la croyance, ne s'épuise pas à signifier le non -savoir, la non- vérité.
Il est aussi l'équivalent du
jugement, comme on voit avec le verbe opiner : opiner, croire, c'est porter un jugement ; or,
en tant qu'opération et activité d'opiner, la croyance- opinion tend à prendre une signification
positive, qui compense l'estimation négative qui s'attache à la croyance en tant qu'elle est en
défaut par rapport au savoir.
Inversement, la croyance -foi n'a pas dans tous ses emplois une
valeur p ositive ; le croyant sera un superstitieux aux yeux de l'incroyant ; le gnostique
opposera la gnose, qui veut dire connaissance, à la foi du croyant ; selon la perspective
eschatologique ou mystique elle -même, la foi sera en défaut par rapport à la vision des
derniers temps ou à la contemplation des bienheureux ; enfin, même dans l'économie actuelle,
la foi du croyant, principalement sous la sollicitation de la science et de la philosophie, est
invitée à « chercher l'intelligence » (fides quaerens intellect um), ce qui signifie qu'elle ne la
comporte pas d'emblée dans ses premières démarches aveugles.
Ainsi, la croyance- opinion n'a
pas qu'une valeur négative, par défaut de science, et la croyance- foi n'a pas qu'une valeur
positive, en tant qu'adhésion profonde d'un être à un autre être ; chacune des deux
significations majeures se retourne en quelque sorte contre elle- même, la négative devenant
positive, et inversement.
Le verbe croire, plus manifestement que le substantif croyance, porte
la marque de ces écar tèlements ; ainsi, on dit croire que..., croire à..., croire en...
; dans
l'acception croire que..., la teneur en savoir et en vérité peut être voisine du néant (je crois
bien que l'été sera pluvieux) ; et pourtant croire à...
comporte la note de persuasion intime de
l'existence de quelque chose : ainsi le poète chante- t- il « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui.
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