« Ce n'est pas avec le coeur qu'on écrit, c'est avec la tête. » FLAUBERT
Publié le 22/09/2010
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La première intuition de Flaubert en matière de style va prendre l'allure d'une rébellion contre le mouvement littéraire qui domine son temps : le romantisme. Cette rupture, qui donnera naissance à une esthétique nouvelle selon laquelle il s'agira désormais d'« écrire froidement«, est facilitée par la distance, la répulsion qu'éprouve Flaubert pour un sujet qu'on a choisi pour lui et dans lequel il ne se reconnaît pas. Cette circonstance particulière lui permet d'en finir avec les élans romantiques qui poussent l'écrivain à se confondre avec son sujet, à se laisser aller à «cette espèce d'échauffement qu'on appelle l'inspiration et où il entre plus souvent d'émotion nerveuse que de force musculaire«. Non. Emma Bovary n'est pas une héroïne qu'il porte en lui au point de lui prêter sa voix pour qu'elle fasse entendre sa plainte.
«
Flaubert, en effet, va tirer parti de la vanité même de son sujet pour, une fois la trame établie, se préoccuperuniquement du style.
Flaubert n'est pas un conteur, l'histoire ne l'intéresse que médiocrement, « le récit est unechose qui [lui] est très fastidieuse ».
Pour lui, l'intrigue n'est jamais qu'un prétexte ; seule une formidable obsession de beauté formelle motive sa création.
Dans une même lettre, il laisse entendre à Louise ce qu'il pense des histoires recherchées au dénouement inattendu:
« La fin de Candide est ainsi pour moi la preuve criante d'un génie de premier ordre.
La griffe du lion est marquée dans cette conclusion tranquille, bête comme la vie...
»,
puis il précise son rêve de perfection plastique :
« J'en conçois pourtant un, moi, un style : un style qui serait beau, [...], et qui serait rythmé comme le vers,précis comme le langage des sciences, et avec des ondulations, des ronflements de violoncelle, des aigrettesde feu, un style qui vous entrerait dans l'idée comme un coup de stylet...
»
ne s'agit pas simplement de savoir trouver et combiner harmonieusement les mots, encore faut-il créer un réseaucohérent qu'on ne puisse distinguer de la portion de réalité qu'il enferme, une unité de ton qui donne vie à l'ensembleet lui confère un sens : « le style c'est la vie, le sang même de la pensée.
» Or, voilà une nouvelle limite à la notiond'impersonnalité : le style, la griffe, est cette présence, certes diluée, mais constante de l'auteur tout au long del'oeuvre, une espèce de micro-signature en continu, l'expression même de ce qu'un créateur a d'unique.
Le style, ensomme, est le fruit, né dans « les affres », d'un fabuleux orgueil.
« Pas de limites ; l'humanité est un pantin à grelots que l'on fait sonner au bout de sa phrase...
»
Qu'on ne s'y trompe : ce goût pour le style n'a rien à voir avec les théories de l'Art pour l'Art, chères àGautier.
L'écriture flaubertienne est un moyen de connaissance.
Comme la science — on serait tentéd'écrire comme les autres sciences —, cette écriture a pour but d'étudier des rapports de causalité, dedécrire et d'expliquer des phénomènes, de progresser vers la vérité.
Le style est son instrument ; elles'est donné un champ d'action : le réel ; un objet privilégié : l'âme.
« Tournons au rythme, balançons-nous dans les périodes, descendons plus avant dans les caves du cœur.
»
Remonter puis redescendre les fils qui meuvent ces «pantins», chercher dans la destinée de chacun des personnages la part de fatalité, voilà ce que ne cesse de faire Flaubert dans Madame Bovary — et toutspécialement à propos d'Emma, dont la psychologie invite à ces retours en arrière nostalgiques, à ces projectionsfumeuses du présent vers un avenir incertain, quoique inévitablement tragique.
La narration proprement dite se situequelque part dans ce mouvement de va-et-vient, le plus souvent parasitée par la présence d'objets qui font écranou la multiplicité des points de vue qui sauve l'analyse psychologique de toute raideur dogmatique.
Il y a quelquechose d'impressionniste dans la phrase flaubertienne, un tremblé qui, à la netteté scientifique, oppose leshésitations et la diversité de la vérité poétique, comme s'il lui fallait saisir à la fois la forme et le mouvement, et nejamais rien montrer, âmes ou choses, dont l'image ne soit la synthèse des regards qui s'y posent..
»
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