Atmosphère... Atmosphère... Arletty
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
«
longuement hésité.
J'ai envisagé de la supprimer!ARLETTY.
— Je comprends.
Jeanson avait vu à l'avance les intonations que pourraient avoir les acteurs.
MARCELCARNÉ.
— Mais sur le papier, je vous assure qu'elle était ridicule.ARLETTY.
— Je peux le comprendre.MARCEL CARNÉ.
— C'est une scène 'fabriquée, qui est sauvée par l'intonation que vous avez, vous et Jouvet.
On meregarde en coin quand je dis cela, mais je m'obstine à la trouver peu naturelle.ARLETTY.
— Cette scène est magique! Chaque fois que je la regarde, elle ne me paraît pas démodée, pas plus quele film.MARCEL CARNÉ.
— C'est votre lyrisme, Arlette, votre intelligence, à vous et à Jouvet, qui font tout passer.
Vousaviez peu répété.ARLETTY.
— Très peu.
C'est foutu, si vous répétez trop.
Personne ne riait de ces trucs-là sur le plateau.
A la sortiedu film, j'ai juré que je ne redirais jamais cette réplique célèbre.
Et je m'y suis tenue.
Je ne l'ai fait qu'une fois, pourl'anniversaire de la mort de Jouvet à l'Odéon.
Mais là, c'était comme pour une oeuvre, enfin presque.
Et après,figurez-vous qu'il y a eu des types pour me le reprocher et me demander de la redire! ...
Je ne l'ai jamais refait.
»
Annabella, la Renée du film, était alors la vedette la plus en vogue du cinéma français et sa participation avait étéimposée par le producteur Lucachevitch pour incarner l'histoire d'une servante de l'hôtel éprise d'un jeune et beaumarin scandinave (qui, en fait, sera le Pierre du film) En collaboration avec Jean Aurenche, Carné adapte le romand'Eugène Dabit, paru en 1929, Hôtel du Nord: Dabit connaissait bien ce milieu puisque ses parents habitaient, quaide Jemmapes, cet hôtel situé sur les bords du canal Saint-Martin.Choisi par Carné comme dialoguiste, Henri Jeanson réussit à donner une telle ampleur aux rôles de Mme Raymonde(Arletty) et de M.
Edmond (Jouvet) qu'il transforme le scénario : le couple formé par les amoureux, candidats ausuicide, ne l'intéresse pas outre mesure et il en réduit l'importance, à la satisfaction, du reste, des producteurs,alors intéressés par ce monde interlope des souteneurs et du « milieu » que, précisément, incarnent M.
Edmond etMme Raymonde.Même si Mme Raymonde fait penser à la Denise, femme de mauvaise vie, du roman, ces deux personnages sontsortis de l'imagination de Jeanson.
Ces deux personnages on ne peut plus conventionnels, mais hauts en couleurs,nous plaisent surtout par le style inoubliable que leur transmettent les interprètes.
Du reste, le dialogue fourmille debon mots qui, dans la bouche de tels acteurs, font mouche.
Ainsi cette observation d'Arletty :
« Vocabulaire...
marrant...
le seul mot d'argot que j'entrave mal.
»
Et Jouvet a cette réflexion « philosophique » quand il explique que, poursuivi par deux malfrats, il dut changer depersonnalité pour ne pas être reconnu :
« C'est dur de se quitter à ce point-là.
»
C'est Jeanson qui a proposé à Carné le choix de son vieil ami Louis Jouvet pour tourner dans ce film.
Mais c'estCarné qui s'est acquis la participation d'Arletty.
Il s'est souvenu d'elle, au temps où celle-ci jouait dans le film deJacques Feyder, dont Carné était alors l'assistant, Pension Mimosas (1934).
Arletty tenait un tout petit rôle dans cefilm (celui d'une parachutiste).Hôtel du Nord est le film qui a consacré les « vrais débuts au cinéma» d'Arletty, comme elle le reconnaît volontiers,alors qu'elle n'y joue que quelques scènes qui n'ont exigé d'elle que dix jours de tournage.
A vrai dire, Arlettyadmirait beaucoup Carné, notamment Drôle de Drame (1937) et, surtout, Quai des Brumes (1938), qui venait desortir.
Le tournage d'Hôtel du Nord a instauré une période de féconde collaboration entre Carné et Arletty, sur plusde quinze ans (de 1938 à 1954).
Elle tournera encore, sous la direction de Carné, dans Le Jour se lève (1939), LesVisiteurs du soir (1942), Les Enfants du Paradis (1943-44) et L'Air de Paris (1954).
Si le cinéma muet a ignoré Arletty, la fin de l'après-guerre (les années trente) va faire valoir cette présence et,particulièrement cette voix ou plutôt, la musique de cette voix : sans celle-ci, la réplique «Atmosphère» n'auraitprobablement pas marqué de son empreinte la mémoire des cinéphiles ni celle du grand public.Une voix, certes.
Mais aussi un style de femme affranchie des stéréotypes qui, à cette époque, étaient supposésdéfinir la jeune fille française.
« Mademoiselle » Arletty a su faire fusionner le côté peuple et le côté aristocrate quiconstituent le vieux fonds français.
Celle qu'on a pu définir comme « L'Impératrice des faubourgs » (Jean-ClaudeBrialy) révèle son côté peuple par sa voix nonchalante et gouailleuse (du genre de « celle à qui on ne la fait pas»)ainsi que par son parler dru relevé de cette verdeur acidulée qu'agrémente un judicieux recours à l'argot.
C'est cequ'avait parfaitement saisi François Périer le jour même de la mort d'Arletty (le 24 juillet 1992), quand il déclarait à latélévision :
« Elle parlait comme les gens du peuple, comme les gens de la rue...
Elle avait la noblesse de la rue.
»
Faisant allusion au titre d'un film que Jeanson aurait voulu tourner avec elle, Carné, dans La Vie à belles dents,.
»
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