Les personnages - La Règle du jeu de Renoir
Publié le 09/08/2014
Extrait du document
CHRISTINE
Le personnage central
Christine est sans aucun doute le personnage central du film. C'est autour de cette femme aussi séduisante que vertueuse que se nouent et se dénouent les intrigues. C'est pour elle qu'André Jurieu vient de risquer sa vie en traversant l'Atlantique en avion. C'est à cause d'elle que l'aviateur, désespéré par son absence à l'aéroport lors de son retour triomphal, tente de se suicider en jetant sa voiture contre un talus. C'est aussi par amour pour Christine que son mari Robert de La Chesnaye décide, au début du film, de rompre avec sa maîtresse, Geneviève. Plus tard, au cours de la fête au château, c'est à cause de Christine que vont s'affronter violemment Robert, Jurieu et Saint-Aubin. Enfin, c'est en voulant la rejoindre que Jurieu sera tué par erreur par le garde-chasse Schumacher.
Comme Nora Grégor que Renoir a choisie pour incarner le rôle, Christine est d'origine étrangère, ce qui explique en partie son ignorance des règles et des usages en vigueur dans ce milieu de la grande bourgeoisie parisienne où se déroule le film. De son vrai nom princesse de Stahremberg, Nora Grégor appartient à ces cercles très raffinés de la bourgeoisie et de l'aristocratie d'Autriche qui ont choisi, en 1938, après l'annexion de leur pays par Hitler, de s'exiler plutôt que de collaborer avec les nazis. Dans le film, Nora Grégor joue ainsi, en quelque sorte, son propre rôle : celui d'une jeune femme belle et riche, arrachée à ses racines et tentant de trouver dans son pays d'adoption, la France, une nouvelle vie.
«
Une femme qui se heurte à un
«code social féroce»
Le personnage de Christine a pour modèle l'héroïne des
Caprices de Marianne d'Alfred de Musset1, pièce dont
s'est inspiré
au départ Jean Renoir pour écrire le scénario
de
La Règle du jeu.
Comme Marianne, Christine est une
femme entière, incapable de mentir, fidèle moins par
principe que parce
qu'elle ne peut imaginer qu'on puisse
épouser
quelqu'un pour le tromper ensuite.
Parce qu'elle
croit à l'amour durable, à la fidélité, à la sincérité dans les
relations
entre hommes et femmes à une époque où «tout
le
monde ment2», Christine, dit Renoir, est «une
romantique attardée».
«L'histoire
qui est racontée dans ce film.
écrivait le
cinéaste dans la première ébauche du scénario de La
Règle du jeu,
est celle d'une femme d'un milieu très riche
qui essaierait d'être heureuse
en suivant les aspirations de
son cœur.
» Cette tentative se heurtera aux exigences du
«code féroce» qui régit, ce «clan» qu'est la grande
bourgeoisie française.
L'un des fondements de ce «code»
est l'inégalité entre hommes et femmes.
Alors qu'un
homme peut tromper sa femme au vu et au su de tous
(comme
le fait Robert de La Chesnaye avec Geneviève),
une
femme mariée qui se lie, même assez naïvement
comme
le fait Christine, avec un autre homme s'expose
aux insinuations, aux sarcasmes, voire
au scandale.
Déjà, à
la fin du Mariage de Figaro, pièce dont s'est aussi inspiré
Renoir (et
qu'il cite en exergue du film), Suzanne ne
1.
Rappelons brièvement l'intrigue des Caprices de Marianne : Cœlio aime éperdument Marianne, la jeune épouse du vieux juge Claudio.
Désespéré de voir son amour repoussé, il se confie à son
ami Octave.
un libertin désabusé, qui accepte de plaider sa cause
auprès de Marianne.
Furieuse d'être injustement soupçonnée par
son mari jaloux.
Marianne accorde un rendez-vous à Octave.
Ce dernier envoie à sa place Cœlio.
Mais le malheureux tombe dans un guet-apens organisé par Claudio et y trouve la mort.
2.
«On est à une époque où tout le monde ment : les prospectus
des pharmaciens.
les gouvernements, la radio.
les journaux ...
Alors pourquoi veux-tu que nous autres, les simples particuliers, on ne mente pas aussi ?»dit Octave.
36.
»
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