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Le cinéma suédois

Publié le 24/11/2018

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LE FEU SOUS LA GLACE

 

Un art venu du froid, école de rigueur, de rudesse, de morale ? Les choses ne sont pas si simples, ni la création si schématique.

Le cinéma suédois reflète les contradictions de sa terre natale : un enracinement rural, mais une industrie solide ; des structures stables, mais un régime progressiste ; une forte tradition littéraire, mais une grande modernité audiovisuelle ; l’ombre de Luther, mais une vraie liberté de mœurs...

Et enfin, paradoxe essentiel, ce cinéma à la production relativement féconde (environ 2000 films depuis le début du xxe siècle) n'est connu dans le monde qu'au travers de quelques réalisateurs phares et d'une poignée d'œuvres - l'infime partie émergée d'un impressionnant iceberg.

LES DÉBUTS (1896-1911)

Le 28 décembre 1895 a lieu à Paris la première projection payante du Cinématographe des frères Lumière. Les Suédois n'attendront que six mois pour découvrir des films de Méliès et assister à des démonstrations du kinétoscope d'Edison. Déjà la présence de l'Amérique !

Un photographe, Numa Peterson, fait tourner par un opérateur des Lumière, Georges Promio, des vues d'actualité comme l'arrivée du roi Oscar II à l’exposition de Stockholm, le 15 mai 1897. Initié par Georges Promio, Ernest Florman sera le premier cinéaste suédois : ses bandes documentaires, réunies sous le titre Images suédoises, connaissent un succès prodigieux - 200 000 entrées en deux mois et demi durant l'été 1897. Après quoi, on passe à la fiction : films comiques, pièces de théâtre, drames historiques...

Des tourneurs à l'industrie

CINEMATOGRAPHIQUE

Dans cette nation profondément rurale, les projections sont assurées par des tourneurs (montreurs de lanterne magique reconvertis), qui colportent le cinéma au fin fond des campagnes, intégrant les films à des spectacles de cirque ou de music-hall.

Mais la Suède est aussi en voie d'industrialisation : dès 1904, des exploitants installent des salles fixes dans les grandes villes (19 salles en 1907), puis se regroupent. La société Svenska Biografteatern, dirigée par Charles Magnusson, importe, distribue et se lance dans la production. À partir de 1909, les premiers films nationaux sonorisés sortent, abordant des thèmes

« LA DIVINE GRETA GARBO Née à Stockholm en 1905 , Greta Gustafsson, vendeuse, puis modèle , tourne un petit film publicitaire pour une marque de chapeaux .

Elle est remarquée par Mauritz Stiller , qui lui confie un rôle dans La Légende de Costa Berling (Costa Berlings saga , 1924).

Rebaptisée Greta Garbo, la jeune actrice tourne en Allemagne La Rue sans joie de G.

W.

Pabst (Die freudelose Casse, 1925), avant d'être appelée à Hollywood par Louis B.

Mayer , patron de la Metro-Goldwyn-Mayer , avec son Pygmalion et compagnon Mauritz Stiller.

Celle que l'on surnommera la Divine fera la carrière éblouissante que l'on sait (dont la célèbre Reine Christine ), tandis que le malheureux Stiller sera écarté des plateaux.

du cinéma suédois, ce grand réalisateur ira mourir , à quarante­ cinq ans, à Stockholm .

À l' inverse , Sjostrom s'adaptera aux mœurs hollywoodiennes : La Lettre écarlate (The Scarlet Letter , 1926) , avec Lillian Gish, est un succès.

Puis il retourne en Suède , où il soutiendra les débuts d'lngmar Bergman.

REPLI ET EXIL La crise économique , la reprise des autres pays européens et la toute-puissance d'Hollywood vont entraîner une léthargie profonde du cinéma suédois : certains réalisateurs (Erik Gustaf Edgren, Gustav Molander, Per Lindberg) n e travaill ent que pour le m arch é interieur .

d'autres se reconvertissent dans le théâtre , et les comédiens et comédiennes ne font parler d'eux que lorsqu 'ils exercent à l'étranger .

LA RENAISSANCE : INGMAR BERGMAN lngmar Bergman est un géan~ dont l'œuvre dense et complexe a marqué l'histoire du cinéma de la seconde moitié du XX' siècle.

Né en 1918 , fils d'un pasteur luthérien strict(« J'étais bloqué dans tous les domaines ...

C'était vraiment le silence de Dieu » , confiera-t-il dans son livre de souvenirs Laterna magica , paru en 1987), il s'enfuit, à vingt ans, pour faire du théâtre comme auteur et metteur en scène .

Il écrit des scénarios pour le cinéma et réalise son premier film, Crise (Kris) , en 1946 .

Soixante ans et quarante-quatre films plus tard , il est l'un des réalisateurs les plus connus au monde .

DES CliS POUR L'ŒUVRE? Résumer une telle œuvre est impossible.

Du moins peut-on l'éclairer de quelques oppositions fondamentales .

La première est celle du mystique et du charnel, du cœur et du sexe .

Le Septième Sceau (Det Sjunde lnseglet , 1957) et Sourires d 'une nuit d'été (Sommarnattens Leende , 1955) illustrent bien ce balancement entre des angoisses fondamentales (Dieu , le bien et le mal) et les déchirements du couple, entre les scénarios de l'âme et ceux de l 'incommunicabilité , entre l'austérité du premier et le libertinage poétique du second .

Seconde dualité de l'auteur : la vie et sa transcription, l'inspiration autobiographique et l'aspiration à traiter de l'universel.

À l'inverse de ses parents , désunis mais enchaînés par le refus du divorce, lngmar Bergman mena une vie sentimentale pleine et agitée (quatre mariages et huit enfants ), et ses liaisons avec ses interprètes principales irriguent son œuvre : Harriet Andersson (Monika , Sommaren med Monika, 1953), Bibi Andersson (Sourires d 'une nuit d'été) , Liv Ullmann (Persona , id., 1966) .

Mais l 'auteur transcende toujours ses émotions intimes pour parler de l'être humain dans son essence et sa totalité.

Jamais guéri de son enfance(« à la fois idyllique et panique» , en dira-t-il) et rongé par l'idée de la déchéance physique et de la mort, il en tirera un formidable album de souvenirs (Fanny et Alexandre, Fanny och Alexand e r, 1982) , dans leque l, à soixante-quatre ans, il évoque l'enfant de dix ans qu'il fut et qui, de son théâtre miniature, observe la comédie des adultes , leurs vérités et leurs mensonges.

Décidément peu avare de contradictions, Bergman avait moins de quarante ans lorsqu'il réalisa le plus beau film qui soit sur la confrontation de l'enfance et de la vieillesse , de la vie et de la mort : dans Les Fraises sauvages (Smultronstiil/et, 1957), un vieil homme , le temps d'un voyage , revoit l'essentiel de sa vie et de son œuvre.

Ce n 'est autre que Victor Sjostrom, père du cinéma suédois, qui signa là, à quatre-vingt-sept ans, sa dernière apparition à l'écran .

Bergman y glissait, par l'image d'un corbillard sans cocher, un hommage à La Charrette fantôme .

Celle de la mort.

NOUVELLES VAGUES (1960-1970) La notoriété de Bergman ne doit pas faire oublier les problèmes que rencontre le cinéma suédois dans les années 1960 .

La production chute, passant de 40 films par an, en moyenne, pendant la Seconde Guerre mondiale, à 17 en 1962 , 12 en 1963.

Ces difficultés s'expliquent en grande partie par la concurrence de la télévision et parce que les films suédois s'exportent mal.

Une procédure d 'aide à la création, voisine du système français, est alors créée par le biais de l'Institut suédois du cinéma : plus de vingt jeunes réalisateur s en bénéficieront.

Parmi eux figurent les maîtres de cette nouvelle vague : Jorn Donner, Vilgot Sjoman, Bo Widerberg, Mai Zetterling et Jan Troell.

Le premier , Jorn Donner , d'origine finlandaise, n'hésite pas à «tuer le père » en publiant un pamphlet anti­ Bergman.

Ses films , Un dimanche de septembre (En s6ndag i september , 1963) , Aimer (Att iilska , 1964) ou Anna (id., 1970) constituent des satires légères empreintes d'une franche sensualité .

Dans ce domaine, Vilgot Sjoman , romancier et, lui, ami de jeunesse d 'lngmar Bergman , va frapper encore plus fort dans la négation des tabous et devenir l'homme scandale de sa génération.

Si La MaÎtresse (/llskarinnan , 1962) , avec Bibi Andersson et Max von Sydow ,joue encore sur un registre classique, 491 (id., 1964) est un brûlot sur la délinquance juvénile , tandis que Ma sœur mon amour (Syskonbiidd 1792, 1966) choquera en évoquant des relations incestueuse s .

Dans ses deux films suivants , Sjoman évolue encore et fait sienne la rudesse du cinéma vérité : J e suis c uri eu se (Jag ii r nyfik en - gul, 1967) et sa suite , Je veux tout savoir (log iir nyfiken-bld , 1968), passeront à la postérité comme des manifestes de la liberte sexuelle revendiquee au grand jour.

Sur un mode provocant et une forme un peu brute, Sjoman apparaît comme l'homme charnière, certes héritier de Bergman, mais rapidement suspect de roublardise commerciale .

À l'inverse, Bo Widerberg s'inscrit dans la lignée classique , comme s'il tendait la main aux grands anciens (Sjostrôm et Stiller) par-dessus Bergman.

Même s'il emprunte à la Nouvelle Vague française des procédés de tournage légers et une part d 'improvisation , son œuvre , puissante et grave, reflète les soubresauts de la société suédoise, dans un style naturaliste (Le Quartier du corbeau, Kvarteret Korpen, 1963) ou lyrique (Adalen 31, id., 1969).

Son cinéma engagé -et parfois moralisateur- sera mondialement reconnu (Elvira Madigan, id., 1967; Joe Hil/.id ., 1971 ).

Mai Zetterling s'est d 'abord fait un nom comme actrice dans les années 1950, où elle tourne principalement aux États-Unis .

Passée à la réalisation avec Les Amoureux (fllskande par, 1964) et surtoutleux de Nuit (Nattlek, 1966) , elle incarne un féminisme militant non dénué de baroquisme avant de se consacrer au documentaire tout en continuant sa carrière de comédien ne.

À l'origine chef opérateur- il a notamment travaillé sur Péché suédois (Barnvagnen, 1962) de Widerberg - , Jan Troell réalise son premier film en 1966, Les Feux de la vie (Hiir har du ditt !iv), une œuvre austère, exigeante , naturaliste, mais qui laisse deviner sa veine épique.

Il deviendra une star internationale avec Les Émigrants (Utvandrarna , 1971 ), puis Le Nouveau Monde (Nybyggarna , 1972 ), qui raconte l'arrivée en Amérique de paysans suédois dans la première moitié du X Ix' siècle .

UN DÉCLIN TRANQUILLE (1970-2005) rHÉCtMONIE AMÉRICAINE Dans les années 1970 , la Suède , comme les autres pays européens (France exceptée) , subit l'hégémonie des films américains sur le marché intérieur, tandis que la production nationale ne s 'exporte plus et ne figure plus guère dans les compétitions internationales.

Cannes en est un bon reflet : mis à part Bo Widerberg , qui est devenu l'unique représentant de son pays (Adalen 31, Grand Prix du jury en 1969 ; Joe Hill , Prix du jury en 1971 ; Vidoria, sélectionné en 1979) , la Suède brille par son absence.

Chemin du serpent Ormens vag hal/eberget, 1987- est un chef-d'œuvre), sa disparit ion, rtROTISME À LA SUtDOISE Le fameux érotisme scandinave repose sur une imagerie trompeuse .

le naturisme (à la lois doctrine religieuse ancienne privilégiant les forces de la nature et pratique commune) n'est pas plus sexue que la nudité au sauna.

Mais sa présence a toujours impressionné les pays latins alors qu'une morale farouchement luthérienne imprègne le cinéma suédois de la notion de péché .

Les premiers mélodrames , s'ils abordent la sexualité de façon frontale, condamnent sans appel les amours coupables.

Dans Les Proscrits, célèbre film de Victor Sjôstrom (1918), le couple illégitime perd son enfant avant de se suicider.

En 1951, Elle n'a dansé qu'un seul été (Hon dansade en sommar, Arne Mattsson), fameux pour une scène de bain au clair de lune, se conclut par la mort de la jeune coupable, maudite par un pasteur farouche.

À propos de l'Amant de Lady Chatterley (D.

H.

Lawrence), Bergman disait : «Voilà un roman sincère qui aura des milliers de lecteurs douteux.

» Une formule qui pourrait s'appliquer à nombre de ses films.

Qu'il soit panthéiste et simplement érotique (M011llr•J.

joyeux (Sourires d'une nuit d'été), fantasmatique en 1989 , laisse la place vide : Jan Troell , après bien d'autres , s'est perdu à Hollywood .

Deux réalisateurs prennent aujourd 'hui une timide relève, qui viennent l'un et l'autre -signe des temps -du clip et de la publicité .

Lasse Hallstrôm, qui se fit connaître en 1979 avec un film sur le groupe Ab ba, puis avec Ma vie de chien (Mitt /iv som hund , 1985 ) , a entrepris une nouvelle carrière américa ine avec Le Chocolat (Chocolat, 2000 ) , qui réunit Johnny Depp et Juliette Bino che.

Le plus original est sans doute Roy Andersson , auteur de centaines de clips publicitaires réputés.

Il a fondé son propre studio à Stockholm , ce qui l~i permet de tourner en toute liberté et en prenant son temps : 4 films en vingt ans et quatr e ans de tournage pour le dernier (Chansons d u deuxième étage , Sanger fflin and ra vaningen, 2000).

En écho et en guise (peut-être) de testament, lngmar Bergman a réuni de nouveau et trente ans plus tard ses interprètes de Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett iiktenskap , 1973 ), Liv Ullmann e t Erland Josephson.

Dans Saraband (2003), les deux comédiens retrouvent leurs personnages (Marianne et Johan, ce dernier ayant quatre-vingt-six ans comme Bergman) pour un nouveau tête-à-t ête désenchanté .

Entre violence et amour, désespoir, tendresse et secrets inavouables , le réalisateur signe une nouvelle œuvre intimiste et limpide , annoncée comme ultime .

(La Source, Jungfrukiillan, 1960), cru (Le Silence, Tystnaden, 1963) ou terrifiant (Cris et Chuchotements, Viskningar och rop, 1972), le sexe est omniprésent dans l'œuvre de Bergman.

En 1963 , Le Silence choqua beaucoup, aucune séquence n'ayant été coupée par la censure.

À l'ombre de ce libéralisme put alors fleurir une génération sans tabous, celle de Vilgot Sjôman avec 491 et surtout, Je suis curieuse, qui fit un triomphe aux États-Unis et ouvrit la voie du cinéma X.

Alors, le label suédois devint synonyme d'érotisme, décliné sous les titres les plus vulgaires.

Pour les quelques films majeurs précédemment cités, combien de « Péchés suédois », de « Sensuellement suédoise » ou de « Suédoises au pensionnat» vinrent confirmer la phrase de Bergman à propos du roman de Lawrence .... »

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