Le cinéma s'est-il affirmé comme un divertissement de choix et comme un art original ?
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Le cinéma n'a pas été d'emblée considéré comme un art. Les milieux cultivés sont restés longtemps méfiants en face de ce divertissement nouveau; et certaines critiques dont Bunuel se fait ici l'écho ne sont pas sans objet. Mais le cinéma ne s'est-il pas affirmé néanmoins comme un divertissement de choix et comme un art original?
«
pourrait appeler son « habitat psychique >>, le cinéma est capable de le
mettre en extase mieux qu'aucune autre expression humaine.
Mais
mieux qu'aucune autre, il est capable de l'abêtir.
Et malheureusement
la grande majorité de la production cinématographique actuelle sem
ble ne pas avoir d'autre mission :les écrans font étalage du vide moral
et intellectuel dans lequel se vautre le cinéma; en effet, il se borne à
imiter le roman ou le théâtre avec la différence que ses moyens sont
moins riches pour exprimer la psychologie; il répète jusqu'à satiété les
mêmes histoires, que déjà le XIX• siècle s'est fatigué de raconter et qui
se continuent encore dans des romans contemporains .
Un
individu moyennement cultivé rejetterait avec mépris le livre qui
contiendrait un des arguments racontés dans les plus grands films.
Cependant, assis
confortablement dans une salle obscure, ébloui par
la lumière et le mouvement qui exercent sur lui un pouvoir quasi
hypnotique, fasciné par l'intérêt des visages humains et les change
ments instantanés de lieux, ce même individu presque cultivé accepte
placidement
les poncifs les plus dépréciés.
Le spectateur de cinéma en vertu de cette espèce d'inhibition
hypnagogique perd un pourcentage important de ses facultés intellec
tuelles .
Je donnerai un exemple concret, celui du film intitulé Detec
tive story (Histoire de détective) .
La structure de son sujet est par
faite, le metteur en scène excellent, les acteurs extraordinaires, la réa
lisation
géniale, etc.
Mais tout ce talent, tout ce >, tou
tes les complications que suppose la fabrication du film, ont été mis
au service
d'une histoire stupide, d'une remarquable bassesse
morale.
Cela me rappelle la machine extraordinaire de 1' Opus 11,
appareil gigantesque fabriqué avec le meilleur acier, de mille engrena
ges compliqués, de tubes, de manettes, de cadrans,
exact comme
une montre de la taille d'un transatlantique, dont le seul usage serait
de
coller des timbres-poste.
Luis
BUNUEL, Exposé fait à l'Université de Mexico en 1953.
(Trad., Michèle Firk et Manuel Michel pour Cinéma 57 .)
Ce texte riche d'intérêt n'est pas construit rigoureusement.
Plutôt
que d'en établir un résumé, il vaut mieux procéder
à une analyse
en s'attachant à rétablir dans leur juste perspective les aperçus
intéressants qui
y figurent..
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