Exposé sur « Une certaine tendance du cinéma français » de Truffaut(n°31 janvier 54 des Cahiers)
Publié le 15/03/2023
Extrait du document
«
INTRODUCTION :
Dans le cinéma français des années 40-50 se déploie ce qui est appelé la « tradition de la qualité
française », fondée sur le genre du réalisme psychologique d'après guerre (issu du réalisme poétique
des années 30), elle se constitue d'une dizaine de films par an, qui, de par leur qualité présumée,
retiennent l'attention des critiques à l’internationale.
Ce genre est symptomatique d'une volonté de faire un cinéma d'adaptation de roman parfois assez
célèbre pour garantir le succès du film sur la notoriété de l'œuvre originale.
Ce terme « tradition de qualité française » se popularise en 1954 par volonté critique de François
Truffaut, célèbre cinéaste de la NVF alors plume pour la revue spécialisée Les Cahiers du cinéma.
C'est à travers la diatribe « Une certaine tendance du cinéma français » (n°31 janvier 54) que le jeune
critique fustige cette soit disante "qualité" dont il attaquera les fondements ainsi que ses piliers, non
pas les réalisateurs mais les scénaristes à la base de ce cinéma trop "littéraire", un point de vu
également partagé par bon nombre d'autres membres des Cahiers tel que Jean-Luc Godard ou
encore Jacques Rivette.
Truffaut n'est pas le premier à dénoncer cette tendance à l'adaptation mais
son texte est considéré comme décisif dans le paysage cinématographique français.
Truffaut découpe alors intentionnellement son texte dénonciateur en différentes parties, possédant
des intitulés, abordant des thématiques diverses gravitant autour du réalisme psychologique comme
l’influence des scénaristes (particulièrement Jean Aurenche et Pierre Bost), la volonté anti-bourgeoise
ou encore le principe d’équivalence que le critique s’évertue à déconstruire.
«C'est pourquoi il ne sera question ici que des scénaristes, ceux qui, précisément, sont à l'origine du réalisme psychologique
au sein de la Tradition de la Qualité [...] » p.
16
Il rédige ainsi un procès à ce réalisme psychologique en évoquant les limites du genre.
Des limites
dues à des auteurs/réalisateurs et scénaristes enfermés dans un conformisme certain, je cite :
« Ces notes n’ont pas d’autres objets qu’essayer de définir une certaine tendance du cinéma français - tendance dit du
réalisme psychologique - et d’en esquisser les limites.
» p.
15
Pour mieux appuyer son argumentaire, le texte regorge de références aussi bien
cinématographiques que littéraires.
On y compte par exemple La Symphonie pastorale (Delannoy
1946 œuvre éponyme d’André Gide 1919), Le Diable au corps (Claude Autant-Lara 1947 œuvre
éponyme de Raymond Radiguet 1923), Madame Bovary (Flaubert 1856) ou encore Le Journal d’un
curé de campagne (Bresson 1951 œuvre éponyme de Georges Bernanos 1936).
La critique de François Truffaut nous amène à une question qui reconsidère le travail des
scénaristes à l’origine de cette « tradition de la qualité française » :
Dans quelle mesure le réalisme psychologique est-il un genre soumis aux œuvres littéraires et aux
facilités d’écriture ? Mais également comment le texte de Truffaut témoigne-t-il d’un passage du
travail de scénariste du cinéma classique aux codes de narration des auteurs modernes ?
Nous commencerons donc par contextualiser l’émergence du réalisme psychologique en évoquant
son prédécesseur, le réalisme poétique.
Puis nous nous pencherons sur les méthodes d’adaptation
d’œuvres littéraires chez Aurenche et Bost en prenant également Le Diable au corps (Claude
Autant-Lara, 1947) comme exemple à travers une analyse filmique.
Nous terminerons en exposant la
valeur fondatrice de ce texte faisant la monstration du travail d’auteur et notamment celui des auteurs
modernes.
I ) ≈ CONTEXTE ET ÉVOLUTION DU RÉALISME PSYCHOLOGIQUE, SES FACETTES
1) Le réalisme poétique
Truffaut valorise donc d’abord le réalisme poétique de la pré-Second Guerre mondiale et ses auteurs
tels que le réalisateur Marcel Carné (ex : Le Quai des brumes de 1938) ou l’auteur Jacques Prévert,
considérés tous deux comme les grandes figures de cette influence.
Def : Le réalisme poétique est le premier grand courant cinématographique français du parlant.
Il est
marqué par un romantisme reflétant tour à tour le chômage, la montée de la gauche et la menace de
la guerre.
Une recherche de la réalité sociale se plaçant proche du public populaire en
l’accompagnant d’un engagement esthétique mais aussi d’une pensée.
Ce cinéma évolue avec Jean
Renoir qui avec La Marseillaise (1937) développera un propos plus pessimiste et fataliste.
« La guerre et l'après-guerre ont renouvelé notre cinéma.
Il a évolué sous l'effet d'une pression interne, et au réalisme poétique
- dont on peut dire qu'il mourut en refermant derrière lui Les Portes de la Nuit s'est substitué le réalisme psychologique.
» p.
15
Cette citation fait référence (dans sa parenthèse) au film Les portes de la nuit de Marcel Carné sorti
en 1949, véritable échec à sa sortie en salle, un contraste assez grand avec le succès du même
réalisateur 4 ans plus tôt du film Les Enfants du Paradis (1945, à la sortie de la guerre).
Cet
évènement marque la fin de l’âge d’or du genre.
2) Le réalisme psychologique
Le réalisme psychologique succède donc au réalisme poétique, il est cinéma généralement
d'adaptation à succès et est ici l'exutoire des critiques de Truffaut, je cite :
« On s’en prend à regretter les scénarios de Prévert » p.
23
D’abord reconnu comme genre littéraire, c’est un mode d’écriture très centré sur les personnages
dont la particularité est de développer les pensées les plus profondes (d’où l’aspect psychologique).
Au lieu de faire procès aux réalisateurs qu'il cite tout de même (Claude Autant-Lara, Jean Delannoy,
René Clément…etc), Truffaut s'attaque plus spécifiquement au travail des scénaristes : Jean
Aurenche et Pierre Bost (Jacques Sigurd, Henri Jeanson, Robert Scipion, Roland Laudenbach, etc...).
Il les tient responsable d'un constant choix de scénarii articulés autour des modes et des références
bourgeoises.
Un cinéma bourgeois qui tente d'être sincère avec le monde populaire comme le faisait
le réalisme poétique en échouant ici sur un manque de propos honnête.
« Mais qui sont Aurenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret
sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne manque pas d'amener chaque film
tiré d'un roman, sinon des bourgeois ?
Quelle est donc la valeur d'un cinéma anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ? » p.
27
Le problème ici est que l’essence même du réalisme n’est pas respectée, c’est-à-dire représenter
les aspects du réel et de la société même sous les aspects les plus sombres.
Je cite Truffaut :
« Cette école qui vise au réalisme le détruit toujours au moment même de le capter.
» p.
24
Le réalisme poétique était maître de ces représentations du réel alors que ce genre d’après guerre
ne fait que convoquer des romans célèbres sans en rajouter de la plus value au média
cinématographique mais en réhabilitant seulement les trams narratives de la littérature à l’écran.
« Aurenche et Bost sont essentiellement des littéraires et je leur reprocherai ici de mépriser le cinéma en le sous-estiment.
Ils comportent vis à vis du scénario comme l’on croit rééduquer un délinquant en lui trouvant du travail,
ils croient toujours avoir « fait le « maximum » pour lui.
» p.
20
II ) L’ ADAPTATION D’ŒUVRES LITTÉRAIRES : L’ EXEMPLE DE JEAN AURENCHE ET PIERRE
BOST
1) Aurenche et Bost (de l’équivalence…)
C’est pour cette raison que la critique tend à définir les films du réalisme psychologique comme des
films de scénaristes.
Je cite :
« [...] La Symphonie pastorale, Le Diable au corps, Jeux interdits, Manèges, Un homme marche dans la ville
sont essentiellement des films de scénaristes.
» p.
16
Selon lui les seules audaces tiennent du scénario et ne proviennent que de techniques
malhonnêtes pour que cela marche à l’écran, que les scènes selon eux intournables le soit.
Pourtant
selon le critique, il n’existe pas....
»
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