Comment j'ai fêté la fin du monde
Publié le 15/12/2014
Extrait du document
«
le père d'Eva à jeter sa fille dans les bras d'Alex : c'est son statut de fils de policier, Andreï étant un
infréquentable.
Ici, le régime communiste crée des attentes qui éteignent (surtout chez Eva) les amours
naissants.
En temps de crise, la cause amoureuse se substitue aux droits les plus primaires.
C'est pourquoi nous pouvons voir Eva faire demi-tour au beau milieu du fleuve, laissant Andreï
goûter seul à la liberté.
L'amour qu'elle porte pour son frère (amour pré-existant) l'empêche de quitter les
terres de Ceausescu.
Une fois de l'autre côté, leur amour aurait pourtant été possible.
Encore une fois, Eva
est tributaire du sort de son pays.
C'est donc par crainte qu'elle abandonne l'idée d'un départ.
Le caractère isolé d'Eva s'explique donc par une rage silencieuse.
Pour vivre en paix, il faudrait donc
une politique plus juste.
Seul son frère semble représenter quelque chose pour elle.
Nous allons désormais
voir comment ce personnage, et la mise en scène de façon plus générale, dessinent une Roumanie fragilisée
mais loin d'être abattue.
Premièrement, nous pouvons noter que Mitulescu installe un climat étouffant, à l'école comme à la
maison des Mateï.
À l'école, une seule leçon semble être donnée, toujours la même : celle de l'hymne national.
Ce
dernier est omniprésent dans le film.
Il est signe de l'instrumentalisation (au même titre que la propagande,
portraits de Ceausescu en classe) et aussi motif en péril.
Utiliser abondamment un chant pour soumettre
toujours plus le peuple, dès l'enfance.
Chez les Mateï, l'ambiance est glaciale.
L'innocence de Lali contraste avec le désarroi de la mère.
Ainsi, quand il lui demande si tous les roumains ont eu des dents de lait, même Ceausescu, celle-ci
l'invective : il ne doit pas parler de Ceausescu, ni de Dieu.
Cette remarque, qui met le dictateur au même
niveau de tabou que Dieu, renvoie à la saturation morale de la femme qui ne supporte plus l'évocation de ces
deux entités.
Le gouvernant semble au-dessus, inappréciable, invisible et intouchable ; il est pourtant bien
présent, quelque part, sujet de nos doutes et donc responsable de notre condition.
Ce climat étouffant est renforcée par une capitale grise aux espaces rudimentaires.
C'est à travers cet
environnement sombre et pauvre que Mitulescu va avoir à cœur de faire ressortir la gaieté de ses habitants.
Ainsi, dans un quartier moyen de Bucarest, la famille Mateï profite d'une fête donnée par Titi, où tout le
monde se retrouve, pour boire, manger, jouer et échanger.
De nombreuses scènes viennent désamorcer le
poids du récit, notamment grâce au trio formé par Lali et ses amis, Silvică et Tarzan.
Ils se présenteront à
Andreï en montrant leurs aptitudes au combat.
Le personnage de Lali est le moteur de cette dynamique sensible, usant d'éléments tragiques et
grotesques.
Il est l'enfant objectif, qui, avec ses propres moyens, constate et dénonce les inégalités sévissant
au cœur d'une société abusive.
Avant de se rêver en héros national et de parodier l'hymne roumain, Lali est
d'abord naturellement victime.
Tombé malade, et chamboulé à l'idée de perdre sa sœur, il tente une première fois de se suicider, à
l'aide d'un câble de fer coupé.
La seconde fois, il est sauvé des eaux par « Boulba Superman », personnage
aussi simplet que bon.
À nouveau, l'authenticité, « la vérité de l'homme », grâce à ce sauvetage enthousiaste, servent à
transiter du drame vers la légèreté.
Ainsi, on ne s'attarde pas réellement sur cette tentative d'autodestruction.
On la suppose, lui préférant la suite : l'éveil, la résurrection ─ un retour à une réalité moins noire qu'elle n'y
paraît.
Autre exemple, où la comédie va cette fois être rattrapée par la tragédie, lorsque le père d'Eva et Lali
imite Ceausescu.
Les deux enfants se prennent au jeu, critiquent sa politique et ses conséquences sensibles
au quotidien.
Lali, révolté, veut des dessins animés à la télé.
Cette requête, comme toutes les autres, est
refusée par un Ceausescu ridicule, hystérique.
Soudain, une coupure d'électricité survient.
Le père reste
bloqué hors du salon, et demande à ses enfants de lui ouvrir, soutenant qu'ils se sont assez amusés.
L'espace
d'un instant, prétendument, les enfants ont eu l'ascendant sur le dictateur.
À la fin du film, Lali va voir le fameux discours du 21 décembre 1989 donné par Ceausescu à
Bucarest.
Muni de son lance-pierres, il est prêt à faire tomber le pouvoir.
Devant leur télé, ses camarades
l'encouragent, et le miracle s'accomplit.
Ils y croient.
Lali a sauvé la Roumanie.
Seules quelques images d'archives viennent témoigner de la répression.
On bascule, fugitivement, de
la narration fictive à la réalité documentaire.
Ainsi, nous est montré un homme, pris dans la foule, fixant la
caméra de surveillance et tendant la main vers elle.
Demande-t-il de l'aide, ou proteste-t-il simplement pour
l'arrêt du filmage, et la liberté en passe d'être retrouvée ?
Mitulescu délaisse Eva et Lali un seul instant, pour ramener la vie, le soulèvement et le soulagement.
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