Un écrivain contemporain, pour se justifier d'avoir entrepris une biographie de Victor Hugo, déclare : « La connaissance de sa vie est nécessaire pour comprendre ce génie tourmenté. ». « J'estime — a écrit un autre écrivain — que la connaissance de la biographie des poètes est une connaissance inutile, si ce n'est nuisible, à l'usage que l'on doit faire de leurs ouvrages. » Examinez la question posée par ces deux affirmations et, en vous appuyant sur des exemples empruntés à vos lectu
Publié le 16/06/2009
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Aux candidats de Première, on demandait avant tout qu'ils témoignent de leurs connaissances littéraires. En philosophie, il s'agit beaucoup plus de réflexions générales sur la question posée, et la réponse doit être appuyée sur des raisons psychologiques, les exemples n'intervenant qu'à titre d'illustration. INTRODUCTION. - Nous désirons naturellement connaître l'auteur des écrits que nous lisons. Aussi devient-il assez courant de fournir sur une page de la couverture, d'ordinaire avec un portrait, les renseignements essentiels; il est même des revues qui donnent des informations sur les collaborateurs de chacun de leurs numéros. Est-ce là vaine curiosité ? Il semble bien que non, car, dans une certaine mesure, on peut dire de tout écrivain ce que remarque un biographe de Victor HUGO : « La connaissance de sa vie est nécessaire pour comprendre ce génie tourmenté. « Comment comprendre une oeuvre coupée des conditions d'existence de son auteur ? Cependant on a pu écrire en sens contraire : « J'estime que la connaissance de la biographie des poètes est une connaissance inutile, si ce n'est nuisible, à l'usage que l'on doit faire de leurs ouvrages. « (P. VALÉRY, Variétés, Villon et Verlaine.)
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Pour lui, en effet, l'événement essentiel, c'est son oeuvre même: qu'on songe à la Comédie humaine de BALZAC,Tout le reste est accident.
Parfois même — on l'a vu lors de la dernière guerre et de l'occupation de la France parl'armée ennemie — des auteurs entreprennent un travail de longue haleine afin de détourner leur esprit destristesses de leur époque : leur oeuvre, alors, s'élabore complètement en marge de leur vie.C'est d'ailleurs d'une façon générale que l'écrivain fait abstraction de son histoire personnelle pour s'élever à laconsidération de l'homme et de ses problèmes : il chante l'amour et non pas ses amours; les drames qu'il a pu vivre,il les transpose en imaginant une intrigue nouvelle ou en reprenant un sujet antique.Jusque dans des pièces écrites expressément à l'occasion d'un événement de sa vie personnelle, par exemple lanoyade de Villequier, le poète s'élève à des thèmes universels : la famille, la mort, la douleur, l'espérance...
Lephilosophe le fera remarquer : il nous est impossible de faire autrement, car nous ne pensons que par idéesgénérales.
C'est d'ailleurs par le détour des idées générales que nous devons passer pour faire comprendre auxautres nos expériences individuelles.Les recherches laborieuses pour établir les circonstances précises dans lesquelles un auteur a composé un écrit nesont donc pas ordinairement indispensables; elles sont même pour le moins inutiles : c'est dans l'oeuvre elle-mêmequ'il faut chercher ce qu'elle signifie.Nuisibles. — Ce qu'a voulu dire l'auteur, le sens et la portée de ses paroles risquent d'échapper à l'érudit trop uniquement soucieux d'accumuler des détails biographiques.Sous prétexte de vivre ou de revivre plus exactement ce qu'il a vécu, on s'éternise dans la poursuite du documentinédit, des recoupements explicatifs, sans oser se permettre une reconstruction qui semble toujours prématurée : lapréoccupation d'une analyse exhaustive ferme la voie à la synthèse.Bien plus, dans la mesure où l'historien hasarde une vue synthétique, une connaissance trop circonstanciée de la viede son héros, loin de lui donner une impression plus authentique de l'état d'âme de ce dernier, il contribuerait plutôtà une déformation de la réalité psychologique.
En effet, ce moment que l'homme de lettres rêve de reconstituer, ilest passé pour lui; par suite, il peut le contempler, non seulement avec la vue d'ensemble que permet le recul dutemps, mais encore avec les suites qui le font mieux comprendre et lui donnent tout son sens.
Au contraire, cemoment, l'auteur dont nous tâchons de revivre l'existence le vivait comme présent, avec une impression de réalité,mais aussi de nouveauté et de confusion qui se dissipe à mesure qu'il s'enfonce dans le passé.
On pourrait donccroire que, pour la compréhension d'une oeuvre, une information élémentaire sur la vie de son auteur est préférableà une connaissance érudite : cet à-peu-près semble mieux correspondre à l'à-peu-près qui caractérise laconscience que chacun a de son propre présent.On le voit donc, elle ne manque pas de fondements, l'opinion qui estime la connaissance de la vie des auteurs,inutile sinon nuisible « à l'usage que l'on doit faire de leurs oeuvres ».
Que l'historien de la littérature s'efforce dereconstituer dans le plus petit détail la journée de Victor Hugo lors du coup d'État du 2 décembre, il est dans sonrôle; mais il ne fait pas un usage littéraire ou poétique de l'oeuvre de notre grand poète.
Cet usage consiste àprendre les écrits en eux-mêmes, à goûter leur forme indépendamment de la contingence historique et à y chercherl'écho de l'éternel humain.
Pour cela il est contre-indiqué de s'appesantir sur les détails biographiques.
III.
— ESSAI DE CONCILIATION.
Les deux affirmations qu'une lecture rapide pouvait faire considérer comme contradictoires et incompatibless'avèrent, quand on y réfléchit, facilement conciliables.L'objet en question n'est pas le même.
— Il suffit de s'en tenir à ce qui est explicitement formulé pour se rendre compte que les auteurs dont on a opposé les opinions ne parlent pas de la même chose.Concernant Victor Hugo, le premier déclare : « La connaissance de sa vie est nécessaire pour comprendre ce génietourmenté.
» Directement il n'y s'agit donc pas de l'oeuvre mais de l'auteur ou plutôt de l'homme.
Or pourcomprendre l'homme, c'est trop indiscutable, on ne peut pas se passer de connaître son ascendance, son milieufamilial, les pérégrinations de son enfance à la suite du général Hugo...Le second considère l'oeuvre elle-même, non l'auteur.
On comprend, dans ce cas, que les considérationsbiographiques n'aient pas à intervenir.
Ne pourrait-on même pas aller jusqu'à dire que la compréhension ou l'usaged'un texte littéraire est d'autant plus pur qu'il est plus indépendant de toute considération de l'auteur, comme c'estle cas pour les oeuvres anonymes ?Le but diffère. — Le biographe de Victor Hugo parle bien de « comprendre » et cherche la compréhension de la vie de son héros par cette sorte d'expérience vécue qui constitue la forme supérieure de la compréhension.
Mais,historien littéraire, il vise surtout à expliquer, c'est-à-dire à rendre compte du héros de son étude par les causes oules conditions d 'existence.Au contraire, l'écrivain qu'on lui oppose se place au point de vue de l'usager de l'oeuvre littéraire, de celui qui,comme vous ou moi, prend un recueil de poésies pour se mettre dans un milieu de beauté.
Il est bien évident que,alors, les données biographiques n'ont pas grand-chose à voir et empêcheraient plutôt d'être pris par la lecture.
CONCLUSION.
— Partis avec l'idée de donner raison au biographe de Victor Hugo, en cherchant les raisons qui motivent l'opinion qui lui est opposée, nous avons été amenés à mettre une importante sourdine à notreapprobation.
Sans doute, dirons-nous, pour comprendre une oeuvre poétique, il convient de connaître la vie de sonauteur.
Mais cette connaissance doit rester en quelque sorte à l'arrière-plan, l'oeuvre elle-même occupant le foyerde la conscience.
Nous pourrions dire encore, reprenant le mot de RENAN : la véritable admiration est historique,mais d'un savoir historique qui sait s'oublier; par suite elle ne saurait être érudite..
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