Plutarque
Publié le 21/05/2012
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Plutarque naquit en Béotie dans une famille bien considérée, d'un père philosophe et biographe. Il étudia les mathématiques et la philosophie à Athènes, voyagea à Sparte et Alexandrie, mais il passa l'essentiel de son existence dans sa ville natale de Chéronée, où il avait la charge publique d'archonte. A l'approche de la cinquantaine, il fut nommé à la fonction de prêtre d'Apollon à Delphes, charge qu'il exercera jusqu'à sa mort. Prétendant avoir été initié aux mystères de Dionysos, il guidait les pèlerins dans le temple sacré et interrogeait l'oracle. Plutarque écrivit une œuvre très abondante dont un tiers seulement nous est parvenu, essentiellement des traités moraux et des biographies. Dans ces dernières, les Vies parallèles, il retraça l'histoire privée et publique des chefs militaires et des hommes politiques grecs et romains. Ses descriptions par paires de personnages illustres des deux civilisations visaient à rapprocher les deux peuples, incitant au respect et à l'estime mutuelle. Dans ses Moralia, il traita de thèmes éclectiques (religion, politique et littérature) avec un angle d'approche platonicien, philosophe dont il se réclamait. Ses biographies qui propageaient le culte des héros eurent un impact immense sur la pensée moderne. Figurant au nombre des textes les plus lus de tous les temps, elles inspirèrent des hommes politiques (Frédéric le Grand, Napoléon), des écrivains (Machiavel, Erasme, Rousseau) et furent la source inépuisable du théâtre de Shakespeare.

«
C'était un patriote, que ses fonctions d'archonte (conseiller municipal) à Chéronée, et de prêtre
d'Apollon à Delphes, remplissaient d'une juste joie.
Un modeste dans la grandeur.
Il ne trouvait
rien de plus important que l'amélioration de son âme et les progrès moraux qu'il voulait faire
accomplir à sa famille, à
ses intimes, à sa cité.
Chose curieuse, il ne semble pas avoir connu le
christianisme,
lui qui l'avait pourtant rejoint à bien des égards.
Il n'en fait nulle part mention.
A
Rome, il avait d'illustres amitiés, appartenant à l'entourage immédiat de Trajan : un grand
personnage consulaire, Sossius Senecio, et Fundanus, le familier de Tacite et de Pline.
Voici, pour établir la doctrine de Plutarque, et le style des parties ardues de son œuvre,
un texte décisif, traduit au plus près de l'original.
Il se trouve au chapitre V du traité De la vertu
morale.
« Quant à la justesse (phronésis), descendant parmi les réalités pleines 'd'errement et de
trouble, force lui est souvent de se mêler aux aléas et d'employer le délibératif dans les incerti
tudes, et,
se rendant accessible au délibératif, d'agir une bonne fois par le pratique (praktikon),
sans rejeter
la présence de l'irrationnel (alogon), mais en le faisant même intervenir dans les déci
sions (krisis).
Car celles-ci ont besoin d'un élan (hormè).
Or c'est l'équilibre moral (êthos) qui,
sous l'action de l'affectif (pathos), détermine l'élan, élan ayant besoin de raison !imitatrice pour
se développer avec mesure, sans aller au delà ni demeurer en deçà de l'occasion.
Car l'affectif
et l'irrationnel ont des mouvements dont les uns sont trop violents et trop aigus, les autres plus
mous
et plus paresseux qu'il ne faut.
D'où provient que de tous nos actes successifs il y a des réus
sites
dans la singularité et des échecs dans la multiplicité.
Car toucher le but est chose une et simple,
mais
on le manque variablement, soit en dépassant, soit en n'atteignant pas même la mesure.
Voici
donc la fonction naturelle de la raison pratique : abolir les fausses mesures de l'affectif, et les
dissonances.
En effet, là où l'élan, par faiblesse ou nonchalance, ou crainte ou hésitation, renonce
au bien et demeure en deçà, là surgit, réveillante et rallumante, la raison pratique.
Mais où en
revanche l'élan se précipite en masse et en désordre, elle abolit et bloque l'impétuosité.
Limitant
ainsi le mouvement affectif, la raison pratique instaure les vertus morales (éthiques) dans les
domaines irrationnels, vertus
qui sont des centralités par rapport au manque ( elleipsis) et à l'excès
(hyperbolè).
Il ne faut pas dire cependant que toute vertu est le produit d'une centralité.
Mais
la sagesse et justesse qui n'a pas besoin de l'irrationnel et qui prend consistance dans le domaine
spirituel du pur et de l'inaffecté, cette sagesse-là détient sa propre perfection, sommet de la raison,
et faculté, par quoi s'engendre le plus divin de la connaissance, et ce qui fait sa plus grande béati
tude.
Quant à cette autre justesse, dont notre corps nous fait une nécessité, celle qui a besoin,
pour le pratique, du service de l'affectif comme d'un instrument, cette justesse-là, n'étant ni des
truction de l'irrationnel de l'âme, ni abolition, mais ordonnance et arrangement, se trouve être,
sous le
rapport de la faculté et de la qualité, un sommet, mais, sous celui du plus ou du moins
(de
la quantité), la voilà une centralité, abolissant l'au delà et l'en deçà.
»
La centralité, qui définit la vertu morale, évoque la notion de centre d'un cercle.
Car, dit
Plutarque au chapitre suivant, elle n'est pas mélange des vices, elle n'environne pas le domaine
du manque, pas plus qu'elle n'est entourée du domaine de l'excès.
Autrement dit, nous le préci
sons
en français, la vertu morale dans le sens de Plutarque n'a pas pour image un cercle, qui
serait plutôt la vertu inférieure et relative qu'il nomme continence (enkrateia).
Elle est le centre
du cercle, une centralité (mésotès) ou perfection qu'il nomme tempérance ou chaste sagesse
(sôphrosynè).
Plutarque développe : il y a milieu et milieu.
Le moyen terme entre le blanc et le
noir, c'est le gris.
La moyenne entre quatre et douze, c'est huit.
Le moyen terme entre le bien et
le mal, c'est l'indifférent.
Mais, s'exclame Plutarque : ni le gris, ni huit, ni l'indifférent, bien que
moyens termes, ne sont des centralités.
Car ils n'ont aucune excellence, ils ne sont pas des sommets
(akrotès).
Il ne suffit donc pas, ajoutons-nous, d'être situé entre deux extrêmes (akron) pour appa
raître sommité (akrotès).
Le bien comporte en soi une élévation mystérieuse.
Il ne comporte,
comme dit Plutarque, aucun mélange.
La partie affective de l'âme, les élans de la passion, utilisés
par la vertu morale, éprouvent donc mystérieusement une transsubstantiation.
Cela est le point
original de la doctrine de Plutarque.
En effet, la langue est en général empruntée à Platon, la notion
de centre parfait remonte à Pythagore, les discussions sur l'excès et le manque se trouvent dans
le Protagoras de Platon, et la définition de la vertu, comme art de rencontrer le juste milieu, est
largement développée dans l'Ethique à Nicomaque, d'Aristote.
L'attelage de l'âme, selon Platon, a.
»
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