GUILLAUME IX, duc d'Aquitaine
Publié le 20/04/2012
Extrait du document
Comte de Poitiers et duc d’Aquitaine et de Gascogne, il est un grand féodal agité, occupant deux fois Toulouse. Ayant de nombreux démêlés avec l’Eglise, il est deux fois excommunié. Cela ne l’empêche pas de conduire une armée à la croisade (1101). Lettré sceptique, aimant les plaisirs, il est un des plus anciens et des plus remarquables poètes de langue d’Oc.
«
pour le vrai chrétien, l'amour de Dieu ou l'amour de Dieu à travers le prochain.
Un abîme sépa
rait ces deux mondes; et voilà l'homme qui va le combler, le premier troubadour (r).
Guillaume IX descendait d'une famille toujours très attachée à l'Eglise; ses ancêtres avaient
fondé des abbayes et fait des donations sans nombre.
Guillaume V le Grand passait régulière
ment le carême à Rome, ou faisait le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Mais il faut
aussi
rappeler le goût du plaisir et du faste qui régnait à la cour des comtes de Poitiers et dans
les châteaux de leurs vassaux.
Les chroniqueurs ne tarissent pas sur ce sujet.
Ajoutons enfin que
les femmes, épouses légitimes et maîtresses, y jouèrent toujours un grand rôle et y exercèrent une
influence profonde.
Le premier troubadour hérita de ses ancêtres le goût de la femme, du plaisir et du faste,
mais
il s'était complètement émancipé de l'Eglise, qu'il narguait partout où il avait occasion de le
faire.
Il se trouvait constamment en querelle avec les évêques de Poitiers, de Limoges, d' Angou
lême.
La croisière qu'il entreprit en 1 ror, et qui fut d'ailleurs un désastre complet, n'était nulle
ment dictée par sa piété, mais par son esprit d'aventure.
Nous connaissons une seule donation
pieuse de Guillaume IX.
Il la fit dans un moment de dépression lorsqu'il gisait blessé à Saint
Jean-d' Angély.
Or c'est sur le territoire de ce cynique dévergondé que surgit un mouvement religieux
d'un ascétisme prononcé, qui entraîne avec lui toute une partie de l'aristocratie angevine et
poitevine.
Ce mouvement aboutit à la création de l'ordre de Fontevrault, fondé par Robert
d'Arbrissel qui, pour la première fois dans l'ère chrétienne, place la femme au-dessus de l'homme :
à
la tête des nombreuses communautés religieuses et des quelques couvents de moines, Robert
n'a pas placé un abbé, mais une abbesse.
C'est elle que les moines doivent servir, comme saint
Jean, à la prière du Christ, servit la Vierge.
Cette abbesse, notons-le bien, n'est pas une vierge,
mais
une jeune veuve, qui incarne en même temps la pureté et la femJUe accomplie.
N'est-ce pas là
déjà la dame des troubadours qui, on le sait, adressaient toujours leurs
hommages à
une femme mariée et non à une jeune fille? En effet, le parallélisme est frappant.
La poésie de Guillaume IX n'est pas inspirée par Fontevrault, dont l'ascétisme exaspérait le
comte.
Guillaume IX avait des raisons pour réagir contre le nouveau mouvement : sa première
femme,
Ermengarde d'Anjou, dont il était divorcé, se réfugia à Fontevrault; puis ce fut le tour
de la fameuse Bertrade de Montfort, comtesse d'Anjou, qui auparavant s'était fait enlever par
Philippe Ier, roi de France, au grand scandale de l'Eglise ct du pays; puis celui de la sœur de
Bertrade, Isabelle de Conches- Toesny, une des plus belles et des plus brillantes dames de l'aris
tocratie normande.
Enfin, vers la fin de 1 1 15, la seconde femme de Guillaume IX, Philippa
de Toulouse, profondément attristée par la vie licencieuse de son mari, et surtout par sa liaison
avec la vicomtesse
de Châtellerault, prit le voile à Fontevrault, accompagnée de sa fille Audéarde.
Robert d'Arbrissel avait été son conseiller déjà en 1 1 13, peut-être dès 1098.
Guillaume avait
commencé par couvrir l'ordre de Fontevrault de ses sarcasmes.
Robert d'Arbrissel avait converti
des courtisanes
en les cherchant au fond d'une maison mal famée de Rouen.
Guillaume IX,
pour le railler, se vante de fonder à Niort un couvent de religieuses, daFls lequel ne peuvent
entrer que les grandes amoureuses, dont la plus experte sera nommée abbesse.
Il n'adhère pas
au nouveau mysticisme de Fontevrault.
Il se révolte; toute sa forte et violente personnalité se
cabre.
Son amour, nous fait-il entendre, n'est pas seulement de la concupiscence, il est l'élément
vital même.
Mais, sans s'en apercevoir peut-être, il est influencé par son adversaire.
Au mysti
cisme religieux, il oppose
un mysticisme profane.
Son amour ne nie pas la vie et les sens.
Il les
affirme
au contraire et ennoblit celui qui en est pénétré.
Sa dame est un être merveilleux de
beauté, dont l'amour guérit celui qui l'aime de la passion qui le travaille.
La nouvelle concep
tion
de l'amour surgit comme une fleur miraculeuse qui, s'inspirant de l'élévation de la femme
à
Fontevrault, peut-être aussi d'éléments platoniciens et arabes, crée l'idéal féminin des trou
badours, dame lointaine et inaccessible, qui fera naître le véritable amour.
La forme que le
comte choisit pour donner essor à ce nouveau sentiment sera la strophe tirée des chants litur
giques
de Saint-Martial de Limoges.
La langue qu'il emploiera sera celle de l'aristocratie limou
sine,
émancipée de la tutelle de l'Eglise, affirmant par sa façon de vivre, par sa magnificence,
par sa libéralité, la valeur qu'elle attribue à la vie comme telle.
( 1) Nous avons donné de la personnalité du premier troubadour une présentation plus détaillée et documentée dans la revue trimestrielle Romania, vol.
LXVI, Paris 1940, p.
145-237: Guillaume IX et les origines de l'amour courtois.
45.
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