Duverger, Maurice (juriste).
Publié le 20/05/2013
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Nous avons tenté de décrire, jusqu’à présent, le fonctionnement interne du régime capitaliste, en distinguant ses acteurs et la logique qui les anime.
Ce sont les buts et lafonction du capitalisme qui ont été abordés.
Or, le terme de « capitalisme », tel qu’il est couramment utilisé aujourd’hui, fait référence au système d’organisation dessociétés industrielles, bien plus qu’aux mécanismes de son fonctionnement.
Ce faisant, « capitalisme » s’apparente à « libéralisme » et à l’organisation politique qui endécoule.
Le terme englobe alors plusieurs notions.
Il s’agit ici de dégager les éléments qui ont pu favoriser le développement du capitalisme.
L’histoire a permis de dégager un cadre juridique conforme à la logique économique du système.
Il concerne, tout d’abord, le régime de la propriété.
Les détenteurs des moyens de production disposent ainsi d’un ensemble de règles de droit leurpermettant d’exercer leurs prérogatives de propriétaires, tant sur les biens que sur les moyens de se les procurer.
Fondé sur l’échange, le droit assure la sécurité destransactions.
Le contrat, qui définit les droits et les obligations des parties à l’échange, peut se concevoir comme le prolongement juridique d’une réalité économique.
Les règles gouvernant le mécanisme du crédit ont également favorisé la formation du capital qui est à l’origine de l’offre.
Ces règles, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont été au cours du temps élaborées dans un contexte politique qui a vu l’émergence du libéralisme.
Reposant sur laliberté de fonctionnement des marchés et sur l’initiative privée incarnée par l’entrepreneur, ce courant politique et économique a permis l’émergence du capitalisme en tantque meilleur système de production possible.
Pourtant, et sans reprendre l’analyse de Marx sur les contradictions internes de ce régime qui portent essentiellement sur laformation du profit, le capitalisme ne s’identifie pas au meilleur des mondes.
Deux exemples suffiront à s’en convaincre.
L’argument tiré de la nécessité de posséder lesmoyens de production a été jugé suffisant par certains pour tenter de justifier l’esclavage.
En poussant jusqu’à l’absurde la logique de la production, il suffit d’affirmer quel’Homme est un capital, et comme tel susceptible d’une appropriation privative.
Par ailleurs, étant par définition un régime assis sur la propriété des moyens de production,le capitalisme est par essence inégalitaire.
Il oppose ceux qui possèdent à ceux qui n’ont rien.
Cette inégalité de patrimoine engendre nécessairement une inégalité derevenus.
Nul besoin d’une culture économique étendue pour comprendre que le profit rémunère avant tout le propriétaire du capital.
La sagesse populaire l’exprime fort bienlorsqu’elle constate que l’argent va à l’argent.
D’où les critiques portées contre le capitalisme, qui ne se résumerait qu’à la puissance de la fortune.
Certes, aujourd’hui, les inégalités les plus criantes engendrées par le capitalisme ont fait l’objet de corrections.
Celles-ci ont eu pour objet de redistribuer le profit vers letravail : augmentation du revenu du travail (le salaire), introduction de mécanismes garantissant un minimum de revenus.
Le capitalisme présente aujourd’hui un visagehumain, qui s’oppose à un libéralisme total qualifié de sauvage.
En outre, l’effondrement du système économique fondé sur le collectivisme a eu pour effet de valider àrebours les mérites du capitalisme, malgré les distorsions qu’il produit inévitablement.
Pour paraphraser un mot célèbre : « Le capitalisme est le pire des systèmes possiblesà l’exception de tous les autres.
» Ceci explique la nature complexe de ce mode d’organisation économique et social.
Galbraith, économiste américain, récompensé par unprix Nobel, n’a-t-il pas écrit : « Le capitalisme ? Oui, mais lequel ? » L’observation de ces conditions a servi de matière à Karl Marx pour formuler une analyse complète etune critique radicale du système capitaliste.
L’œuvre de Marx met l’accent sur le principe fondateur du capitalisme, l’exploitation de la force de travail, seule richesse duprolétariat, par le capital.
Elle présente également les crises comme un élément essentiel de régulation du capitalisme, dans la mesure où, pour maintenir leur taux deprofit, les capitalistes se voient contraints de privilégier la concentration du capital afin d’accroître la plus-value par des gains de productivité, ce qui entraîne une baissetendancielle du taux de profit.
Le capitalisme est affecté par les effets des cycles économiques, périodes d’expansion et d’essor suivies par des contractions d’activité et des vagues de sous-emploi.
Leséconomistes classiques, qui se voulaient les héritiers d’Adam Smith, n’ont pas proposé d’explications aux fluctuations de la vie économique, se contentant de considérer detels cycles comme le prix inévitable que la société devait payer pour le progrès matériel et technique.
La constitution progressive d’un mouvement ouvrier dans lesprincipaux pays industrialisés a permis la création de syndicats, dont l’action revendicative s’est concentrée sur l’augmentation des salaires, la diminution de la durée dutravail et l’amélioration des conditions de travail.
5 LE CAPITALISME AU XXE SIÈCLE
Pendant la majeure partie du XXe siècle, le capitalisme en tant que système économique, s’épanouissant en général dans le cadre d’un modèle — celui de la démocratie libérale —, a dû faire face à des situations de crises et à l’apparition de modèles économiques alternatifs à sa domination.
La Première Guerre mondiale, la révolution et lecommunisme marxiste en Russie, le national-socialisme en Allemagne, la Seconde Guerre mondiale, la mise en place de systèmes économiques communistes en Chine eten Europe orientale ont constitué autant de remises en question du capitalisme en tant que système dominant à l’échelle mondiale.
Cependant, dans les années quatre-vingt-dix, la conversion à l’économie de marché des pays de l’ex-bloc soviétique, que nombre de pays en voie de développement avaient adoptée précédemment, semblaitnéanmoins confirmer sa suprématie.
Dans les démocraties industrielles d’Europe et d’Amérique du Nord, le plus important défi au capitalisme est apparu au cours des années trente.
La crise économique de1929 a été de loin le plus grand bouleversement économique subi par le capitalisme moderne depuis ses débuts au XVIII e siècle.
Elle a amené, en s’écartant de la stricte logique libérale qui cantonne l’État à un rôle de « gendarme » chargé de garantir un cadre stable à l’activité économique, à conférer à la puissance publique un rôle derégulation et d’intervention directe, afin de corriger les dysfonctionnements du système.
Aux États-Unis, par exemple, le New Deal du président Franklin Roosevelt a permis de restructurer le système financier afin d’éviter le renouvellement des excès spéculatifsqui ont conduit au krach de Wall Street en 1929.
Les bases de l’État-providence ont été posées avec l’introduction de la Sécurité sociale et de l’indemnisation du chômage,mesures destinées à protéger les citoyens, dans une optique substituant à l’assurance privée la prise en charge collective du risque.
La réflexion sur les mécanismes du capitalisme contemporain a été profondément renouvelée avec la publication, en 1936, de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, de John Maynard Keynes, ouvrage qui a donné naissance à l’école de pensée connue sous le nom de keynésianisme.
L’apport de Keynes consiste dans la démonstration selon laquelle il est possible pour un gouvernement d’utiliser divers instruments, dont la politique monétaire etbudgétaire, afin de réguler les cycles de « prospérité et de faillite » propres au capitalisme.
Selon Keynes, le gouvernement, lorsqu’il est confronté à une période dedépression, doit augmenter ses dépenses, même aux dépens de l’équilibre budgétaire, afin de compenser l’insuffisance des dépenses privées.
Ce processus doit être inversési une vague de prospérité engendre des phénomènes de spéculation et une « surchauffe » de l’économie favorable à l’inflation.
6 LES PERSPECTIVES D’AVENIR
Après la Seconde Guerre mondiale, la combinaison des politiques keynésiennes et des mécanismes traditionnels du capitalisme a fonctionné de manière satisfaisante, aumoins pendant une trentaine d’années.
Les pays capitalistes, y compris ceux qui ont compté parmi les vaincus de la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de l’Allemagne etdu Japon, ont bénéficié d’une croissance presque ininterrompue, de faibles taux d’inflation et de niveaux de vie en constante progression, en particulier sous l’influenced’une montée en puissance de la protection sociale.
Cependant, dès la fin des années soixante, l’inflation s’est installée de manière durable dans tous les pays, et le chômage s’est imposé progressivement comme unphénomène frappant une proportion très importante de la population.
Cette situation a ouvert la voie à une remise en cause de la pertinence des théories keynésiennes,alors que les transferts financiers liés à l’État-providence ont continué de croître.
Le choix de mener des politiques monétaire, budgétaire et fiscale restrictives, effectué d’abord aux États-Unis dès le début des années quatre-vingt, puis en Europeoccidentale et dans les pays industrialisés d’Asie, a permis d’éliminer l’inflation, au prix cependant d’une très forte hausse du chômage.
À partir du milieu des annéesquatre-vingt, la plupart des économies occidentales ont connu un redressement significatif.
La recherche de politiques alternatives au keynésianisme s’est traduitefréquemment par l’adoption d’une politique monétariste et libérale, incluant des privatisations importantes et d’autres efforts pour réduire le poids du secteur public.
Leskrachs boursiers de 1987 ont entraîné une nouvelle période d’instabilité financière.
La croissance économique s’est ralentie et de nombreuses nations sont entrées dans une.
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