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CHARLES D'ORLÉANS

Publié le 01/09/2013

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Petit-fils de Charles V, neveu et gendre de Charles VI, cousin germain de Charles VII, grand-père de Louis XII : voilà sans doute un illustre destin, mais qui, pour un poète, n'est point facile à porter. Il est vrai que Charles d'Orléans tient de son père le goût du luxe et des arts, et que Valentine de Milan, sa mère, lui apporte le reflet de la Renaissance italienne. Mais Charles n'a que seize ans, en 1407, quand son père est assassiné par les Bourguignons, dix-sept ans quand sa mère disparaît, lui laissant pour premier héritage une vengeance, dix-huit ans quand meurt la femme qu'on lui fit épouser trois ans plus tôt : Isabelle de Franc; fille de Charles VI.
Il n'a pas suffi à Jean sans Peur de tuer le duc d'Orléans; il a fait approuver ce meurtre par la justice royale. Pour venger son père, l'orphelin devient un politique, un factieux, un chef de bande : il épouse la fille du comte d'Armagnac, recrute des hommes en vendant ses biens, se jette dans la guerre civile, s'empare de Saint-Denis, impose enfin, en 1414, la réhabilitation de son père. Mais l'année suivante, c'est Azincourt; pour Charles, pris par les Anglais, commence une captivité de vingt-cinq ans.
Qu'attendre du prince aventurier, ainsi réduit à l'impuissance, traîné de Calais à Windsor, puis à Pontefract, tandis que s'aggrave la rigueur de sa détention et qu'il voit, à ses vainqueurs, à ses gardiens, aux ennemis de son pays, s'unir les meurtriers de son père ? Cris de rage, désespoir, abattement : en vérité, rien ne pourrait nous surprendre, sinon cette poésie, la plus gracieuse qui soit jamais sortie d'une prison. Hamlet, vaincu, fait de sa prison une tour d'amour et chante la louange d'Ophélie.
Certes, le prince d'Orléans regrette la France; il en déplore les malheurs comme il déplore sa propre infortune, et trouve, pour le dire, des accents qui savent encore nous toucher. Mais nul cri, nulle violence, nulle passion; il tire de sa peine une complainte, il en fait des ballades nostal¬giques. Dès cet instant, il a reconnu ses limites et son timbre exact : il ne sera point le poète de l'éclat, du tumulte et de la tragédie, mais celui de la souplesse et de la vivacité, de l'harmonieuse mesure, des allusions et des réticences, celui même de la fantaisie jusque dans ses heures les plus nues. Il s'est réfugié, une fois pour toutes, dans la grâce du chant. 


« d'images et de symboles, le plus frais à la fois et le plus pimpant; non pas un réseau qui lui cache le monde, mais délicat, mais transparent, et tel que chaque heure du jour comme chaque spectacle de la saison s'y mêlent et s'y trouvent retenus.

Il se parle, il dialogue avec lui-même; à défautd'un journal intime, il fait la chanson de sa vie.

Aussi bien, qu'il revienne eri France après sa longue captivité, qu'il se marie une troisième fois, négocie la paix, tente à Milan (qu'il revendique) une dernière aventure, et s'installe enfin à Blois, prince-poète dans une cour de poètes, il garde le même univers, le même chant, on dirait presque le même exil.

A mesure qu'il vieillit, sa voix se fait plus légère; son art s'affine encore.

Ce n'est plus le temps des complaintes, mais c'est toujours celui de la mélancolie.

Une mélancolie d'autant plus singulière, qu'à présent elle peut sembler sans cause; d'autant plus profonde, qu'elle ne s'enchante plus des prestiges amoureux; d'autant plus émouvante, peut-être, qu'elle se veut enjouée.

La louange de la femme a fait place au badinage galant, désabusé, volontiers ironique.

Ce quinquagénaire ne demande plus à la vie que ce qu'elle lui donne chaque jour; il la goûte en homme lucide, il s'y prête, il cueille l'instant et lui fait, d'être périssable, une vertu.

Plus que jamais, il se détourne de la passion, des nobles attitudes, des grands mots, des grands vers, de l'éloquence.

Il regarde en souriant la parade : Que nous en faisons De telles manières Et douces et fières Selon les saisons! C'est là sans doute un curieux sourire, et d'une bien faible gaîté.

On dirait que le poète se console de ses plaisirs comme il se consolait de ses peines ; mais enfin, de tout, et de sa mélancolie même, qui peut-être ne va pas sans amertume, il sait faire une chanson.

Quelles chansons! Les plus légères qui soient et les plus sûres.

Elles semblent naître comme un caprice, au hasard d'un proverbe, d'un mot, d'un son; tout cède au rythme : mais le rythme verbal est aussi celui du cœur; et c'est le privilège d'un tel poète que d'allier à des sentiments si subtils une si limpide aisance.

D'un art exquis dans la ciselure, ses chansons n'en semblent pas moins spontanées; davantage : jusque dans leur élégance, voici qu'elles nous paraissent familières.

Trois siècles de poésies s'y retrouvent, et le poète ne cherche point à cacher son héritage.

C'est le savant héritage de Thibaut de Champagne, de Guillaume de Lorris et de Machault; c'est l'héritage populaire de nos vieilles chansons, ballades et reverdies.

Et par là, Charles d'Orléans peut nous apparaître comme le dernier de nos trouvères.

Mais cette poésie du moyen âge, s'il la reprend, il la renouvelle.

Je sais bien que l'on salue en Villon le premier des poètes modernes.

Je n'en demande pas tant pour notre grand amateur; mais comment douter de ce qu'il apporte et de ce qu'il annonce, et d'où vient qu'il nous semble encore si proche de nous? Devant les œuvres les plus délicates de Marot et de la Pléiade, nous songeons à lui; devant Théophile, Tristan et La Fontaine lui-même; devant Marceline, Musset et Heine; devant Nerval et Verlaine, Laforgue et le symbolisme; devant Apollinaire comme devant le meilleur Toulet ; devant Eluard, Supervielle ou Tardieu ...

On l'a trop longtemps négligé; trop souvent, aujourd'hui encore, on le traite en poète mineur.

C'est un poète, un vrai poète, et maintes fois, par son esprit comme par sa forme, un grand poète.

Il plaît, il ravit, il émeut, il reste en nous.

Faut-il en dire davantage? Il se prête moins que tout autre à l'analyse; mais reprenons tel de ses poèmes : Dedans mon livre de pensée Les en voulez-vous garder, J'ai trouvé écrivant mon cœur Ces rivières, de courir ...

La vraie histoire de douleur, Ah ! Dieu, qu'il m'ennuie ! De larmes tout enluminée...

Hélas! qu'est ceci ...

Levez ces couvre-chefs plus haut, D'espoir, il n'en est nouvelles ..

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Qui trop couvrent ces beaux visages...

Quand j'ai ouï le tambourin ..

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Rien de plus simple, semble-t-il ; ce n'est fait de rien, et pourtant nous sommes pris : l'enchantement joue, le miracle est là, le pur chant, la vraie grâce.. »

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