Albert Camus (biographie complête)
Publié le 17/11/2018
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UN MORALISTE TRAGIQUE
Romancier, dramaturge, essayiste, journaliste et résistant, Albert Camus est un des principaux acteurs de la vie intellectuelle de l'après-guerre. Comme bien des écrivains de sa génération, il pratique tous les genres littéraires qui peuvent contribuer à l'expression de ses idées ou de ses doutes. Son oeuvre, qui poursuit une interrogation sans complaisance sur les raisons d’espérer en l'homme, reste indissociable de sa vie. Profondément engagé dans les luttes et les débats de son temps, malgré les malentendus que sa renommée vaut à son œuvre lucide et sincère, il reste étonnamment présent dans la sensibilité et la littérature contemporaines.
UNE ENFANCE ALGÉRIENNE
• Albert Camus naît le 7 novembre 1913 à Mondovi, près de Bône, dans l'est de l'Algérie.
• Son père, employé agricole,
est mortellement blessé dès le début de la Première Guerre mondiale. À la fin de sa vie, Camus entamera la rédaction d'un roman consacré notamment à ce père qu'il n'a pas connu - le Premier Homme (1994, posthume).
• Le jeune Camus, qui habite avec sa mère le quartier Belcourt à Alger, fait l'apprentissage de la pauvreté et ressent les premières atteintes de la tuberculose, une maladie dont il souffrira toute sa vie.
• Un père jamais connu, une mère illettrée, silencieuse et « étrange », une enfance pauvre, la menace de la tuberculose : les premiers éléments déjà déterminants d'un destin que Camus perçoit comme injuste sont réunis. L'intuition de l'absurdité de la vie - que signifie-t-elle si, dès son début, elle est marquée par la mort ? - trouvera son expression dans les premières œuvres de Camus dans les années 1930-1940.
• Élève appliqué, encouragé par son instituteur, Louis Germain, il bénéficie d'une bourse qui lui permet de poursuivre ses études au lycée, puis à l'université d'Alger, où il obtient un diplôme d'études supérieures en philosophie. À son grand dam, l'administration lui interdit de présenter l'agrégation
à cause de sa tuberculose.
• Renonçant à une carrière de philosophe-fonctionnaire, Camus exerce de multiples activités intellectuelles, notamment dans le milieu du théâtre. Avec des troupes qu'il fonde et dirige, au Théâtre
du Travail, puis au Théâtre de l'Équipe, il adapte et joue les œuvres du répertoire classique et contemporain qu'il veut mettre à la portée du public défavorisé.
• Camus adhère au Parti communiste français en 1935 et
le quitte deux ans plus tard en raison de divergences sur la question de l'indépendance de l’Algérie. Ce sera sa seule expérience de militant au sein d'une formation politique.
«
•
Il pousse ainsi jusqu'à l'absurde la
négation de sa propre mort, prétendant
faire de celle-ci un « suicide supérieur ».
Pour Camus, cet homme qui défie
le divin est un homme révolté, le seul,
« à sa connaissance, à avoir tourné
en dérision le pouvoir lui-même ».
L'ESSENCE DE LA RÉVOLTE
• Camus évolue peu à peu, comprenant
qu'il ne peut s'en tenir à la prise de
conscience de l'absurdité de la condition
humaine.
Tirant les enseignements
de la situation de la France occupée,
il réfute la coupable indifférence des
nihilistes et des stoïques.
La nécessité
de l'action, en vue de changer sa
condition, est une exigence impérieuse
de l'homme.
• À la Libération, il devient au côté de
Pascal Pia le rédadeur en chef du
LA PESTE
• La Peste, publiée en 1947, vaut
à Camus son premier grand succès
de librairie : il s'en vendra plus de
160 000 exemplaires dans les deux
premières années de sa parution.
Ce
succès est renforcé par l'attribution du
prix des Critiques, véritoble consécration
qui fait de Camus un écrivain en vue.
• La Peste se présente comme une
chronique en cinq parties, ou une
tragédie en cinq actes.
l'action se situe
en avril 1940 à Oran, une ville
« fermée » qui «tourne le dos à la
mer », où des rats porteurs de la peste
sont découverts.
Dès la mort des
premières victimes, les habitants sont
placés en quarantaine.
Confrontés à
leur sort, ils présentent différentes formes
de réaction : panique, indifférence,
mysticisme ou résignation.
Le docteur
Rieux -héros tragique, ayant perdu
à la fois l'amour et l'amitié -décide
de résister, bientôt rejoint par d'autres
volontaires.
Son petit groupe s'organise
alors pour soulager les souffrances
et combattre le fléau.
Rieux en tirera
la leçon que seule la force des hommes
peut vaincre une maladie comme
la peste.
Sachant que le virus peut
réapparaître, il appelle à la vigilance.
• La Peste propose une morale fondée
sur l'être et sur l'action.
La maladie
est le symbole du mal sous toutes
ses formes -symbole transparent
du nazisme et, plus généralement,
du totalitarisme -, mais elle agit
aussi comme un révélateur qui met
l'homme face à lui-même, l'incitant
au renoncement ou à la révolte.
journal
Combat devenu quotidien, pour
lequel il couvre notamment le procès
du maréchal Pétain.
Il se fixe l'objectif
d'assainir la presse qu'il critique en
fustigeant la «futilité des informateurs ».
Par son exigence morale et politique,
Combat devient une référence dans la
presse de la guerre et de l'après-guerre.
• Confronté aux exactions commises
au nom de l'épuration, il juge nécessaire
la justice rendue aux martyrs de la
Résistance, à la condition que celle-ci
soit limitée dans le temps.
Il polémique
à cette occasion avec François Mauriac,
opposé aux excès de l'épuration.
• Camus participe aux grands débats
de l'aprés-guerre :la position à adopter
vis-à-vis du parti communiste, le danger
de la bombe atomique, les révoltes
coloniales, la peine de mort ...
• La publication en 1947 de son roman
la Peste inaugure le cycle de la révolte
- complémentaire de celui de l'absurde.
Au sein de ce cycle prendront aussi
place l'État de siège (1948), adaptation
dramatique de la Peste, les Justes
(1949), drame historique sur le thème
de la responsabilité individuelle et de
la révolte et des sacrifices qu'elle impose
- un homme peut-il en tuer un autre
pour le bien de l'humanité ? - et
surtout l'essai l'Homme révolté (1951).
DOUTES ET DÉSILLUSIONS
• A la suite de l'accueil mitigé réservé
à ses dernières pièces, l'État de siège
et les Justes, et des critiques suscitées
par l'Homme révolté, Camus se met
en retrait de la scène intellectuelle.
• En 1950, il regroupe ses articles, textes
et préfaces dans le recueil A duel/es/.
Un deuxième recueil, Aduel/es 1/,
suivra en 1953.
L'HOMME RÉVOLrt
• Camus développe dans son essai
J'Hamme révolté (1951) la réflexion
sur le thème de la révolte entamée
dans la Peste.
Il s'agit de son œuvre
la plus ambitieuse, la plus
« philosophique ».
• Dédié à Jun CrHi@r.
son ancien
professeur
de
philosophie,
l'essai constitue
c< une
réflexion
de l'époque
sur elle
même»,
marquée par la situation politique
qu'engendre la guerre froide.
• Camus examine la révolte, seule
réponse humaine à ses yeux face
à l'absurde, en reprenant ses
interrogations favorites : pourquoi
vivre ? quels sens donner à une vie
de dénuement ? le suicide est-il
défendable ?
• Il étudie les diverses formes de
révolte -métaphysique, politique,
artistique ...
-qui s'offrent à
l'homme pour aussitôt en souligner
les perversions et les impasses.
la révolte naît spontanément
dès que quelque chose d'humain
est nié ou opprimé ; elle s'élève ainsi
contre la tyrannie et la servitude.
• Parce que la révolte n'est pas
un principe abstrait, mais l'action •
En 1952, il démissionne de son poste
de conseiller à l'Unesco pour protester
contre l'apathie de cette organisation
qui va admettre l'Espagne franquiste
en son sein.
• Il renoue avec le journalisme,
publiant notamment dans des revues
syndicalistes révolutionnaires des textes
qui défendent des thèses anarchistes
contre l'idéologie marxiste-léniniste.
• Continuant à cultiver son goût
pour le théâtre, il adapte des pièces
d'auteurs étrangers : Dostoïevski,
Calder6n, Buuati, Faulkner.
• En 1954, Camus publie Été,
un recueil d'essais dans la lignée
de Noces mêlant méditations, récits
et description.
Le recueil insiste sur
« les vertus conquérantes de l'esprit
humain » et témoigne à la fois de
la fidélité de Camus à ses idées et
de l'évolution continuelle de celles-ci.
• lorsque la gue"e d'indépendance ..------ .....
éclate en
Algérie
en novembre
1954, Camus
n'en perçoit
pas toute
la portée,
n'y voyant
lfii!!!'.Jiœ!!l
qu'un l.l�--· IC� Il mouvement
sans lendemain.
Il estime que le conflit
nécessairement limitée d'un individu,
elle représente, pour Camus, la seule
« valeur médiatrice » grâce à laquelle
l'absurde peut être provisoirement
dépassé.
• S'appuyant sur ses expériences
personnelles, il se montre très
inquiet face aux dérives du monde
et aux risques de guerre.
li s'en
prend notamment au communisme
stalinien dont les effets historiques
sont en contradiction flagrante
avec les principes.
Et il n'épargne
pas non plus les intellectuels,
qu'il juge en partie responsables
de la situation du monde.
• la parution de l'Homme révolté
déclenche une longue et violente
controverse qui agite les milieux
intellectuels de gauche, à
commencer par les surréalistes
et les communistes, qui reprochent
à Camus d'adopter un conformisme
« bourgeois».
· l'essai est notamment à l'origine
de la rupture définitive, un an après
sa parution, entre Camus et Sartre,
alors directeur de la revue les Temps
modernes.
Il souligne clairement
les divergences entre la pensée
du premier et l'existentialisme du
second.
Camus pose le problème
existentiel de l'homme tout en
réfutant la philosophie sartrienne
de l'existentialisme.
la rupture
affecte Camus, déçu et blessé,
tandis que sa santé se dégrade.
n'a
pas de réel fondement national
et que l'anticolonialisme du FLN est
alimenté par des intérêts extérieurs.
• Il demeure un militant de la paix
-en Algérie et ailleurs -, tant à travers
son action politique que par ses écrits
-Appel pour la trêve civile en Algérie,
demande de retrait des troupes
soviétiques de Hongrie, dénonciation
de la répression antiouvrière
à Poznan, en Pologne.
• Cependant, la crise morale que
Camus traverse trouve bientôt son
expression littéraire avec la publication
en 1956 de la Chute.
Ce récit qui
marque un renouvellement de sa
manière ressemble à une remise
en cause : à Amsterdam, loin du ciel
méditerranéen, un ancien avocat
confesse sa mauvaise conscience
et sa culpabilité en un monologue
qui mêle ironie et réalisme.
Camus
se regarde dans un miroir qu'il tend
dans le même geste au monde entier.
Simone de Beauvoir voit clair dans
cette " confession calculée », affirmant :
« Camus réalisait son vieux projet :
combler la distance entre sa réalité
et sa figure.
»
• En 1957 paraît l'Exil et Je Royaume,
un recueil de six nouvelles dans
lesquelles Camus exprime plus de
doutes que de certitudes.
L'ouvrage
ne traite qu'un seul thème, celui de
l'exil, traité de six façons différentes,
depuis le monologue intérieur jusqu'au
récit réaliste.
li s'agit de l'exil mental,
intérieur -dont l'Étranger donnait
déjà l'expression littéraire-, mais aussi
de réconciliation.
de
l'ex il géo
graphique,
alors que
les dévelop
pements
de la guerre
d'Algérie
semblent
interdire
tout espoir
• l'exil, c'est aussi le silence dans
lequel Camus va s'enfermer à propos
de cette guerre sur laquelle il n'a pas
de prise.
Les intellectuels de gauche
lui reprochent.
compte tenu de ses
engagments passés, de ne pas entrer
« en résistance » aux côtés des insurgés
algériens.
Il ne veut et ne peut choisir
un camp au détriment de l'autre,
chacun des deux étant à la fois celui
de la justice et de la terreur.
« J'ai
toujours condamné la terreur, dira-t-il.
Je dois condamner aussi un terrorisme
[du FLN] qui s'exerce aveuglément
dans les rues d'Alger par exemple,
et qui peut un jour frapper ma mère
ou ma famille.
Je crois à la justice,
mais je défendrai ma mère avant
la justice.
»
• Poursuivant néanmoins son action
militante, il publie en juin 1957 son
essai Réflexions sur la peine capitale
dans lequel il réfute l'exemplarité de la
peine de mort, en démontre les limites,
et exprime sa méfiance vis-à-vis d'une
justice qu'il estime faillible.
r ÉPREUVE DE LA CONSÉCRATION
• Comme Jonas, le peintre d'une
des nouvelles de l'Exil et le Royaume,
qui vit enfermé dans une cage pour
échapper aux visiteurs, Camus se sent
prisonnier de son public, que celui-ci
l'admire ou le conteste.
•
Cette célébrité qui lui pèse va
atteindre
son sommet
en 1957 avec
l'attribution
du prix Nobel
de littérature
qui lui est
décerné pour
cc avoir mis
en lumière
les problèmes se posant de nos jours
à la conscience des hommes »
et pour • son engagement moral
authentique ».
Camus envisage
de le refuser, regrettant que le jury
de Stockholm n'ait pas récompensé
André Malraux.
Lui se trouve encore
« un peu jeune » : à quarante-trois ans,
il est en effet le plus jeune écrivain
distingué par le prix Nobel de
littérature.
Dans son discours de
réception, qu'il dédie à son instituteur,
il expose ses idées sur le rôle de
l'écrivain et plus généralement de
l'artiste dans sa confrontation avec
la réalité sociale : l'art« se forge
dans cet aller-retour perpétuel de lui
aux autres, à mi-chemin de la beauté
dont il ne peut se passer et de la
communauté à laquelle il ne peut
s'arracher », dit-il.
• Les obligations engendrées par cette
consécration internationale augmentent
encore sa fatigue.
S'y ajoute l'angoisse
de la stérilité littéraire, dont il fait part
à ses proches.
Il a le sentiment de
n'avoir pas élaboré une vraie sagesse,
mais simplement développé une
mauvaise conscience.
• Il met en chantier un nouveau
roman, Je Premier Homme, une fresque
des quartiers pauvres d'Alger dans
les années 1920, qui aurait inauguré
un cycle de l'amour.
Toutefois, celui-ci
avance de manière inégale et restera
inachevé.
• En 1958, il achète une maison
à lourmarin, dans le Luberon,
où il espère retrouver la créativité.
• Il publie Aduel/es Ill (1958), une
somme de chroniques algériennes
écrites depuis 1939 qui retrace l'effort
accompli en faveur de l'égalité et
de la justice entre les communautés
de sa terre natale.
• A la fin de 1959, on lui propose
la direction du théâtre Hébertot
à Paris.
Il doit donner sa réponse
à son retour dans la capitale,
au début de l'année.
Le 4 janvier 1960,
il rentre à Paris en voiture ; son éditeur,
Michel Gallimard, est au volant.
Près de Montereau, dans l'Yonne,
le véhicule quitte la route et percute
un arbre : Camus et Gallimard
sont tués.
• Esprit libre, rebelle à tous les
endoctrinements, Albert Camus a
repoussé les idéologies et les tyrannies
doctrinales.
Rattrapé par l'absurde,
il laisse un œuvre dont le moindre
des apports est d'aider l'homme
à démasquer les mythes qui
travestissent la réalité..
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