Whistler, LA MERE DE L'ARTISTE (analyse de l’œuvre)
Publié le 03/10/2018
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Il y a du tour de force dans cette volonté de réussir une peinture en se passant presque entièrement de la couleur, comme si Whistler s'appliquait à résoudre un problème périlleux afin de mesurer son savoir et sa virtuosité. Et certes celle-ci est digne d'admiration. L'art avec lequel le peintre détache la figure noire en avant de la plinthe noire, le détail de la gravure située à droite, dont ne se voit qu'un coin noir et gris, l'élégance légère des dentelles, autant de morceaux de bravoure à la mesure de l'ambition du peintre. Mais quelle est la nécessité d'une telle entreprise? De très grands artistes du passé, des peintres contemporains de Whistler, se sont imposé quelquefois la même contrainte d'une peinture en camaïeu de gris pour réussir de grands chefs-d'œuvre. Velâzquez, en Espagne, Frans Hals, en Hollande, ont ainsi excellé dans l'emploi des noirs et des gris : les Ménines du premier, les Régentes de l'hospice des vieillards du second sont des œuvres célèbres.
«
James Abbott McNeill Whistler
Natif de Lowell , dans le Massachusetts , en 1834, brièvement élève de l' Acad émie
milita ire de West Point pour compla ire à sa famille, Whistler s'embarque en 1855
pour la France.
Élève de Gleyr e à l 'École des
beaux-a rt s.
il échappe vite à l'em prise académique pour se lier d'a mitié avec Cou rb et, Man et et Fa n tin-Latour .
Aussi
ses premières œuvres, Au piano (1858-
59) et le Portrait de Jo (1861 ) sont-elles refusées par le jury du Salon.
Ses toiles marquées par la peintur e ja ponai se,
dont il est l 'un des tout premiers à s'ins pirer, en compagnie de Manet et de Degas , ne sont pas mieux comprises que ses eaux-fortes, d'un réalisme cru
"à l'espa gnole ».
Comm e l'accueil de Londre s lui est
moins hostile , Whistler, tout en vivant et travaillant à Paris , prend l'habitude d'exposer dans cette ville où il finit par
s'établir dans les années 1870.
Ses por· traits lui valent le succès, renfo r cé par l'expos ition d e pastels et de gravures sur des sujets vénitiens à partir de 1880.
Élégant , recherché autant pour l'acidi té d e sa conversat ion que pour
son talent , homme de querelles, de pro· cès et d'amours troublées , il s'impose comme une figure majeur e de l'art anglais.
Il obtient enfin la célébr ité à Paris , où il ne cesse de revenir pour des séjou rs de plus en plus longs.
Fort de l 'amitié de Mall arm é, qui traduit son Ten o'Clock, un e con férence qui a ff irme l'ind épendance de l'artiste e n son temps, admiré de Huysmans , Whistler
se métamorphose peu
à peu en figure
my th ique, celle d'un dandy excentrique et satirique .
«D ragon , guerroyant, exul tant, précieux, mondain», écri t Mallarmé.
Le «dragon » meurt à Londres en 1903.
Une mère redoutée
La comparaison n'est pas que de forme et de
technique.
La Mère de l'artiste est une
«régente » contemporaine.
À sa manière, avec
plus de discrétion, - la «discrétion affinée»
célébrée par Mallarmé -, Whistler n'est
guère moins sévère que le Ho llandais, qui a
métamorphosé les vieilles femmes
de
Haar lem en chouettes aux regards funèbres.
De sa mère, bien loin de tracer une image
chargée de sentiment et de gratitude, il ne
dépeint que la sévér ité et le mutisme.
Elle
tient plus de la directrice de conscience obsti
née que de la protectrice.
Ce que l'on sait d'Anna Mathilda, de son
caractère et de son comportement avec son
fils , est de nature à renforcer pareille inter
prétation.
En 1871, cette femme austère,
d'éducation puritaine, lectrice de la Bib le et
sermonneuse, décide de moraliser de force
la vie du peintre.
Tout au long des années
1860, à Paris, ce dernier a mené une exis
tence passablement agitée.
La plus célèbre
de ses liaisons l'a retenu longtemps aux
côtés d'une jeune femme irlandaise, fameuse
pour sa beauté et sa rousseur, Joanna
Hifferman.
Elle ne dédaignai t pas de poser
nue pour Gustave Courbet au temps où
Courbet et Whistler étaient intimes.
La
pudibonde Mrs Whistler obtint de son fils
qu'il rompe avec Joanna et s'é ta blisse à
Londres sous sa surveillance.
À défaut
d'avoir comblé les désirs de ses parents, qui
avaient rêvé qu'il serait officier dans l'armée
américaine, du moins Whistler serait -il un
peintre «co nvenable ».
Que les calculs de Mrs Whistle r aien t
échoué, que
le peintre ait rapidement
éch appé à sa censu re, ce portrait le laisse
soupçon ner.
Sous couvert de recherche
esthétisante, le fils métamorphose ironique
ment sa mère en rigide et noire personne,
immobile, les lèvres serrées.
Elle ne le
rega rde même pas , elle ne laisse voir de son
corps qu'un profil anguleux et des doigts
maigres, elle s'enveloppe de ténèbres, à
l'opposé des goûts de son fils , grand ama
teur d'estampes japonaises et de couleurs
claires .
Pour représenter le plus justemen t
possi ble une femme toute de rigueur et de
trist esse, la peinture de Whistler s'est faite
rigou reuse et mélancolique, grise et noire
comme le caractère et les humeu rs de la très
morale Anna Mathilda.
«Sarcasme• écrivait
Mallarmé .
Sarcasme en effet, subtilement
masqué.
-+ Voir aussi : p.
170-17 1 (Le Banquet des officiers
de Saint-Georges); p.
196 -197 (Les Ménines)..
»
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