Vermeer: L'ATELIER DU PEINTRE - Analyse du tableau
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
Le rideau est peint dans des couleurs sourdes,
tons de rouille, bleus richement dégrad és, un
peu de blanc, du vert, toutes couleurs nuancées
par des jeux d'ombre et de lumière q ui don
nent au motif une grande richesse plastique .
En arrière, la pièce proprement dite com
mence .
Elle est éclairée depuis la gauche par
une fenêtre qu'on ne voit pas mais d'où tombe
la lumière.
Cette lumière caresse le visage et le
corps de la femme dans le fond, elle illumine
un triangle de la cloison contenu entre la trom
pette , le rideau et la carte murale , et elle met
en
valeur les contrastes des noirs et des blancs
dans la perspective du sol carrelé , sur la che
mise du peintre et sur ses chausses.
Enfin, elle
donne une teinte éclarla t e aux b as rouges de
Vermeer , et elle se reflète sur les boules en
cuivre du lustre , où s'esquisse la forme de la
croisée de la fenêtre , comme dans les tableaux
flamands du W siècle .
Cette lum ière très particulière, c'est celle qui
baigne tous les tableaux de Vermeer .
Elle crée
une impression de paix, de sérénité extraordi
naire .
Les demeures de Vermeer semblent des
retraites très éloignées du monde .
On n'y
entend point
les rumeurs de la ville , le temps
semble s'y a rrêter, elles constituent des refuges
qu'aucun drame ne paraît pouvoi r atteindre .
L'écrivain Marcel Proust, au début de ce siècle,
appréciait ces peintures pour cette qualité .
Une carte des Pays-Bas
Dans le fond de la pièce, la lum ière met en
valeur une carte géographique accrochée au
mur et légèrement jaunie.
Cette carte , suspen
due entre deux tringles , a été jadis pliée et des
traits verticaux marquent les saillies du tissu
aux limites des bandes de pliure.
Par ailleurs,
la carte est mal tendue et ses ondula tions
déterminent
des effets de creux et de reliefs.
Toutes ces irrégularités sont peintes avec soin ,
et toutes
affectent, ainsi qu'il se doit , la repré
sentation par ailleurs extrêmement précise
des territoi res cartographiés.
Ces terri toires sont ceux des anciens Pays-Bas,
c'est-à-dire les sept Provinces -Unies et les dix
provinces restées fidèles à la domination espa
gnole .
La carte est orientée non pas au nord ,
mais à l'o uest, comme c'étai t la tradition au
xvu • siècle dans la partie septentr ionale de
l 'Europe, et elle est bordée sur ses deux côtés
verticaux des vues de villes de la région.
Une
représentation si précise est évidemment effec
tuée d 'après modèle.
Ce modèle a été identifié:
la carte qui se trouve pein te d ans /'Atelier du
peintre a été exécutée après 1635 par un certain
Claes Jansz Visscher, cartographe et graveur sur
cuivre à Amsterdam , et rééditée par son fils
Nicolaes Visscher après 1652.
La Bibliothèque
nationale de Paris en conserve un exemplaire .
Vermeer
Johannes Vermeer , dit Vermeer de
Delft , est né à D el ft en 1632 , d 'un père
a ub erg iste qu i é ta it égale m e
nt m ar
c h a nd d e tab lea ux.
On sait p eu d e
chose de
la vie du pei ntre qu i, oubl ié,
fu t redécouvert au x1x • siècle se ule m ent .
Il se mar ia et eut onze enfants ,
p ra ti qua lui au ssi le comm e rce de ta ble au x, et r encontr a, à mes ure qu' il viei llissai t, de terri bles diffic ult é s financ ières.
F
orm é à Delft chez un élève d e
R em brandt , C.
Fabriti us , Vermee r fut
Or, une carte géographique est, au xvn • siècle,
un objet précieux : c'est un signe extérieur de
richesse en même temps que Qorsqu 'il s'agit ,
comme
ici, d 'une carte des Pays-Bas) une
preuve de l'attachement de son propriétaire à
sa patrie.
Ce n'est donc certainement pas un
hasard si Vermeer a choisi de donner tant
d'importance à cet élément
du décor dans
/'Atelier du peintre.
D 'ailleurs, la majorité des
tableaux de Vermeer comportent , comme
dans cette to
ile, une car te géographique
visible entièremen t ou en partie sur le mur du
fond de la pièce , en face , donc, du spectateur.
Dans /'Atelier du peintr e, si la carte de Claes
Jansz Visscher prend une importance si consi
dérab le, c 'est que l'artiste veut donner de lui
même l'image d'un peint re patr iote, et p lus
précisément celle d'un peintre hollandais .
En
effet , à bien regarder la composition de la
scène et la disposition des pliures de la carte ,
on s'aperçoit que le peintre s'est placé avec
son chevalet sur le côt é droit du tableau,
c'est-à-dire, par rapport à la carte, du côté de
la Hollande ; et la principale pliure de la carte,
presque au milieu de celle -ci, souligne la fron
tière de cette région.
Un manifeste sur l'art de peindre
La carte géographique introd uit aussi dans
!'Atelier du peintre une image du monde exté
rieur qui y serait autrement invisible .
Elle res
sus cite donc, sous une forme nouvelle, le pro
cédé du miro ir en vigueur au W siècle pour
suggérer que le peintre n'a saisi, dans le
tableau, qu'une infime partie d'une réalité que
le spectaEeur doit apprendre à regarder (ainsi
dans les Epoux Arno/fini de Van Eyck ).
Mais d 'autres objets et un personnage occu
pent la pièce.
Vêtue de b leu, la femme, dans le
fond, est le modè le du pein t re : celui-ci a
entrepris de reproduire sa couronne végétale
sur la toile à peine commencée.
La couronne ,
faite de feuilles de laurier , la trompette dans sa
main droite , le livre dans sa main gauche dési-
a dmi s dans la corpo ration de peintr es
d e la vill e dès 1653 .
Sa produ ction , p eu
n o mbr e use (il reste entre 34 et 38 tabl ea ux), est c omp osée d'œ uvr es gé né rale ment non datées : outre deu x Vues de vill e, ce so nt des scènes d e genre représentan t des person nages , souvent fémin ins , dans des intéri eur s, en train de lire , de jouer 'de la mu sique , de co n ve rs er o u d e
p e indre , c omme dan s /'Ate lier du peintr e.
L 'a rtiste est mort à Delft en 1675 .
Officier et jeune fille riant , Vermeer (New York , The Frick Collection).
gnent ce modèle, d'après les traités d 'icono
graphie du temps, comme étan t Clio, la Muse
de ! 'Histoire.
Sur la table, des accessoires for
ment une nature morte riche de sens.
Un
cahier d'esquisses évoque le dessin , une tête
en plâtre la sculpture, un livre rappelle l'impor
tance du sujet, des étoffes celle du d écorum,
élément qui contri bue au prestige d e la pein
ture.
Les mêmes objets consti tuent, plus pro
saïquement , un rappel des différents métiers
qui collaborent dans la guilde de Saint-Luc ,
corporation à laquelle appartien nent avec
l
es peintres, les libraires, les marchands
d'estampes, les sculpteurs, mais aussi les tapis
siers et même les fabricants de meubles, dont
l'activité est rappelée par la présence des deux
chaises , à l'avant et à l'arrière du tableau.
L'autoportrait du peintre se fait ains i allégorie
non pas du, mais des métiers artisti ques, dans
la tradition des peintures de corpora tions et de
confréries propres aux Pays-Bas , le portrait des
individus étant remplacé par l'évocation sym
bolique de leurs activités ..
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