TOULOUSE-LAUTREC

1864-1901

COMME l'idée de. décadence qui s'était attachée à l'art de Toulouse-Lautrec a perdu de son crédit, et comme il est frappant qu'aujourd'hui cette idée ait pour nous si peu de sens et nous apparaisse même fausse ! Et pourtant toute cette oeuvre, fourmillement du Paris fêtard de la fin du siècle, silhouettes du théâtre, du cabaret et du cirque, de la maison close et du turf; ne devrait-elle pas avoir pour nous aujourd'hui, après deux terribles guerres, quelque chose du spectre d'un passé lointain? Pourquoi donc n'en est-il pas ainsi ?

On pourrait trouver à cela une raison dans le fait que ces tableaux et ces dessins offrent malgré tout une évasion séduisante vers le romantisme, vers une vie facile et sans soucis. A quoi vient encore s'ajouter la surestimation de la vie au théâtre telle que nous la dépeint fréquemment l'art de l'époque. Les survivants de cette génération confirmeront sans doute ce que nous ne pouvons que supposer: les manifestations de la vie de plaisir ne furent pas sensiblement plus raffinées ces années-là que dans les décades suivantes, même si elles donnèrent à beaucoup de vedettes, qui firent leur apparition dans les oeuvres de Lautrec, cet extraordinaire éclat ; parmi ces vedettes, Yvette Guilbert s'élève bien au-dessus des autres, de même qu'elle joue un rôle particulier dans l'oeuvre lithographique de l'artiste. N'en serions-nous pas avertis que cela nous apparaîtrait suffisamment dans les oeuvres de Lautrec ; point n'est besoin de les étudier de si près pour découvrir clairement dans beaucoup de ses tableaux le caractère douteux de cette société mélangée, rendu parfois avec des sous-entendus démoniaques, le plus souvent pourtant simplement effleuré d'une touche légère.