Théodore Géricault (Histoire de la peinture)
Publié le 16/11/2018
Extrait du document
LA POSTÉRITÉ
• En 1824, peu après la mort du peintre, l'État se porte acquéreur du Radeau de la Méduse, qui figure depuis au musée du Louvre, dans la galerie des grands formats français du XIXe siècle, entouré des œuvres de David, Gros et Delacroix, des maîtres que Géricault a fréquentés.
• Le grand historien Michelet est l'un de ceux qui ont le plus contribué à la postérité de Géricault. Selon lui, le Radeau de la Méduse est symbolique de la période de la Restauration (18151830) : d'une certaine façon, c'est «la société tout entière qui embarqua sur ce radeau».
• Géricault est incontestablement un novateur dans l'histoire de l'art. Ses goûts le portent vers Michel-Ange et Le Caravage, mais aussi vers les peintres anglais, Constable et William Turner (1775-1851) en tête. Et c'est sans doute de ces derniers que son œuvre apparaît aujourd'hui la plus proche.
UN PASSIONNÉ
• Théodore Géricault (1791-1824) fut véritablement un artiste à part. Son existence, brève et tourmentée, nous est assez mal connue, car le peintre n'aimait guère écrire, et les documents fiables ne sont pas nombreux.
• Géricault doit sa célébrité essentiellement à un tableau, qui fit scandale à un point dont on peine aujourd'hui à se rendre compte : c'est le célèbre Radeau de la Méduse, inspiré par une horrible tragédie maritime.
• Avec Delacroix et Courbet, Géricault est l'une des figures phares de la peinture française de la première partie du xixe siècle. Par ses sujets inspirés de l'actualité ou du quotidien, il est incontestablement moderne.
• Il fut en outre un artiste passionné, par son art, et par les chevaux. Ce sont d'ailleurs eux qui ont provoqué sa perte, puisqu'il est mort des suites de plusieurs chutes.
LES ANNÉES D'ENFANCE ET DE FORMATION
De Rouen a Paris
• Théodore Géricault naît à Rouen en 1791, soit en pleine Révolution.
• Ses parents sont relativement âgés pour l’époque, quarante ans environ, lorsqu'il vient au monde. Son père, avocat, compte parmi la bourgeoisie de la ville. Sa mère, fille de procureur, est donc issue du même milieu judiciaire. La famille est riche.
• Le grand-père maternel devient fou, et le thème de la folie est assez vite présent dans la vie de Géricault avant de l'être plus tard dans son œuvre.
• En 1795, toute la famille part s'installer à Paris, qui est en pleine tourmente révolutionnaire, même si la Terreur a pris fin. Le faubourg Saint-Germain, le plus chic quartier de Paris, est désormais leur cadre de vie.
• Plus tard, après la mort de la mère de famille, le père et le fils s'installeront dans un quartier à la mode, la Nouvelle Athènes.
• La mort de sa grand-mère maternelle sera à l'origine d'un héritage qui mettra le jeune homme pour un temps à l'abri du besoin.
• Le jeune Géricault suit sa scolarité, entre autres, au célèbre lycée Louis-le-Grand. Il n'y brille pas particulièrement. D'ailleurs ses études s'arrêtent en quatrième.
La passion des chevaux
• Moins cultivé que d'autres peintres, mais plus moderne, plus de son temps, ainsi apparaît Géricault. Il n'est pas un passionné d'Antiquité ni d'histoire gréco-romaine. Il a commencé à apprendre le dessin au lycée.
• Et rapidement il se met à dessiner ce qui deviendra plus qu'une spécialité, une véritable passion : les chevaux Il se rend pour cela partout où il peut en observer, notamment dans les casernes. Il fait d'innombrables dessins d'équidés. Il rêve d'ailleurs de briller dans ce domaine plus encore que dans celui de l'art. Il admire par-dessus tout le père Franconi, un célèbre acrobate à cheval. Quant à la peinture, il place très haut l’œuvre du baron Antoine Gros (1771-1835), l'un des plus importants peintres de son temps : ses Pestiférés de Jaffa, Bataille d'Aboukir et Champ de bataille d'Eylau datent des années 18041808.
SES MAITRES
■ Vers 1808, Géricault se choisit un maître en la personne de Carie Vernet (1758-1836), un peintre à la mode, spécialiste également de peinture de chevaux.
• Puis, à partir de 1810, Géricault est membre de l'atelier d'un ancien élève de Jean-Baptiste Régnault (1754-1829), Pierre Guérin (1774-1833), un homme assez autoritaire qui forma certains des grands maîtres de la génération romantique : Ary Scheffer (1795-1858), Léon Cogniet (1794-1880) et surtout Eugène Delacroix (1798-1863). Il semble que très tôt Géricault n'apprécie guère les exercices académiques qui sont le lot de ce genre de formation.
• Il doit sans doute davantage à la fréquentation du musée Napoléon (futur musée du Louvre), où il recopie passionnément certains des grands maîtres du passé, comme le Caravage (qu’il connaîtra mieux à Rome), Rubens et Poussin. Mais, en 1812, Géricault est exclu du musée par son directeur, Vivant Denon, pour s'être battu avec des gardiens.
Premières grandes œuvres
• Alors qu'il a un peu plus de vingt ans, Géricault remporte une médaille d'or au Salon de 1812 avec le tableau Officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale chargeant. Son modèle est un militaire de rang modeste, bien loin des portraits de maréchaux qui pullulent à cette période. Rappelons que cette même année 1812 se déroule la retraite de Russie, véritable désastre pour l'armée napoléonienne. L'artiste a une vision de la guerre particulièrement forte, violente : on voit à l'arrière-plan, derrière le chasseur dont le cheval se cabre, des routes détruites, des cavaliers sautant dans les flammes. Les critiques sont très élogieuses qui louent la chaleur et la vie de cette peinture, jugée très brillante. La gloire de l'Empire, symbolisée par la fière attitude du cavalier, coexiste avec les horreurs de la guerre. L'aspect novateur de la peinture n'échappe pas à Louis David (17481825), qui aurait dit « D'où cela sort-il? Je ne reconnais pas cette touche...»
• Avec les institutions traditionnelles de la peinture, Géricault entretient un rapport ambigu. Il les critique mais y participe. Ainsi, au Salon de 1814, alors que la France est envahie par les armées coalisées, Géricault est présent avec une nouvelle œuvre : Le Cuirassier blessé.
«
LE
RADEAU DE LA MÉDUSE
UN MACABRE FAIT DIVERS
• Pour cette œuvre, Géricault ne va pas
s'inspirer, comme il était si fréquent
alors, de l'Antiquité ni d'un sujet
d'histoire contemporaine.
Il met en
scène un fait divers épouvantable
survenu au cours de l'été 1816 et qui
a fait grand bruit.
• Le 17 juin 1816, un navire nommé
Méduse quitte Rochefort, le port sur
la Charente, afin de contribuer à la
colonisation du Sénégal.
Le 2 juillet, il
s'échoue sur un banc de sable au large
des côtes mauritaniennes.
Un vaste
radeau est construit, sur lequel vont
s'entasser environ 150 hommes,
presque uniquement des militaires.
• Pendant les treize jours qui vont
constituer l'épouvantable odyssée du
«r adeau de la Méduse», toute une série
d'horreurs vont s'abattre sur les
rescapés.
La première nuit des
naufragés sont emportés par la mer
déchaînée.
La deuxième, l'excès de
boisson entraîne une bagarre à l'arme
blanche au cours de laquelle périssent
la moitié de ceux qui restaient.
Affamés,
les survivants en viennent à manger des
cadavres.
Plus tard, ce sont les mourants
puis les blessés et les malades qui sont
jetés à l'eau, tandis que les requins
rodent autour de l'embarcation.
Le
17 juillet un bateau apparaît à l'horizon,
mais l'espoir retombe vite, car personne
à bord du vaisseau n'a vu le radeau à la
dérive.
Finalement, le bateau revient et
délivre de leur cauchemar les quelques
survivants.
• L'affaire fait beaucoup de bruit,
d'autant qu'un procès a lieu, au cours
duquel comparaît le commandant
de la Méduse, Hugues Duroy de
Chaumareys qui avait rejoint la côte
à bord d'un canot.
Celui-ci est
condamné à trois ans de forteresse.
• En 1817, deux rescapés du radeau,
l'ingénieur Corréard et le chirurgien
Savigny, publient un récit, que lit
Géricault.
UNE RÉAUSATION ROCAMBOLESQUE
• Très rapidement.
Géricault a l'idée
de peindre cet épisode.
En février 1818,
il achète à cet effet une toile colossale
de 7,16 m sur 4,91 m.
Le peintre se livre
à une enquête très approfondie sur le
drame de la Méduse, lisant tout ce qui
lui tombe sous la main, s'entretenant
avec les survivants.
Il retrouve le
charpentier du navire.
L'intérêt pour
les moindres détails est nouveau et
ne va pas s'arrêter là.
Géricault va
jusqu'à changer d'atelier.
Il se procure
des cadavres auprès de l'hôpital voisin.
li les conserve plusieurs semaines, les
étudie.
La description de son atelier
dépasse l'entendement et constitue
en soi un épisode très impressionnant :
Géricault travaille au milieu des rats
et des dépouilles humaines.
• Une toile datant de cette période
montre l'originalité du peintre : il s'agit
des Fragments anatomiques : détails d'un
corps, bras et jambes en gros plan.
Delacroix sera très impressionné.
On
peut presque parler de peinture sans
sujet.
Une peinture en tout cas sans
précédent.
• Géricault se consacre complètement,
pendant près de huit mois, à son
Radeau dt la Méduse.
Il fuit les
invitations.
Il reçoit des modèles, parmi
lesquels les auteurs du récit de 1817 :
Corréard et Savigny.
Il part en
Normandie étudier les moindres
nuances du ciel et de la mer ...
• Parmi tous les moments de la cruelle
aventure du radeau, Géricault choisit
de représenter l'un des pires épisodes,
celui de l'espoir déçu des naufragés.
Ils
aperçoivent un navire qui pourrait les
sauver ...
mais qui continue sa route.
• Le spectateur ne voit guère le
vaisseau salvateur, perdu dans une
scène confuse.
On distingue surtout
une pyramide humaine au sommet
de laquelle se trouve un homme de
couleur, Joseph, un modèle alors très
connu dans les ateliers parisiens.
Géricault se montre là farouche
pourfendeur de l'esclavage et exprime
ses idées les plus libérales.
• Le peintre prépare son œuvre à
l'aide de toute une série d'esquisses,
dans lesquelles on peut suivre
l'évolution de sa pensée.
Il commence
par représenter le premier soir,
s'intéresse à l'épisode de
l'anthropophagie, puis finit par choisir
la scène qui sera le tableau final : les
survivants, mains tendues vers le salut
dans un suprême effort, aperroivent
au loin un bateau.
• Si le tableau doit une part à la
peinture d'histoire par ses dimensions
colossales et le caractère dramatique de
l'épisode raconté, Géricault a innové
par son sujet et tout autant par son
tra�ement.
Et le traitement des corps
renvoie à l'admiration qu'il a éprouvée
pour Michel-Ange, ses peintures de
la chapelle Sixtine, mais aussi ses
sculptures.
C'est à l'évidence une des
plus grandes œuvres de l'époque.
UN ACCUEIL «MITIGÉ»
• L'œuvre est présentée au Salon de
1819.
Mais elle est initialement mal
placée.
Le peintre doit batailler pour
qu'on puisse mieux apprécier son
tableau.
• Si Le Radeau de Jo Méduse est la
peinture la plus commentée durant ce Salon,
ce n'est pas tout à fait le tableau
maudit que l'on en fit par la suite.
Il exerce une certaine fascination sur
les spectateurs, impressionnés par tant
d'horreur.
La lecture des commentaires
de l'époque montre la passion
déclenchée par cet« amas de
cadavres» fait pour « réjouir la vue
des vautours».
Une œuvre qui repousse
un grand nombre de spectateurs.
Au fond, le radeau ne plaît pas aux
conservateurs, sur le plan tant politique
qu'artistique.
Il est vrai que l'œuvre
veut dénoncer l'attitude du capitaine,
favori du régime.
En même temps,
Géricault montre à quel point il est
éloigné des conceptions artistiques de
David, si répandues alors.
Par exemple
les corps sont très affaiblis, fatigués,
très loin des corps idéalisés de David.
Quant au clair-obscur qui caractérise
le tableau, il évoque le Caravage.
Le
tableau fait figure de manifeste de la
peinture romantique française.
US DERNIÈRES ANNÉES
Sucds AU RoYAUME-UNI
• À
la suite du demi-échec ou du demi
succès du Salon de 1819, Géricault part
pour l'Angleterre en compagnie de
Nicolas Charlet (1792-1845), un jeune
et pauvre peintre et lithographe.
Il faut
dire que l'anglophilie est alors à la
mode.
• Pourtant, le pays est en crise lorsque
Géricault y arrive.
Londres, la plus
importante ville du monde à l'époque,
offre le spectacle de la misère.
Une
misère partout présente dans les rues
et qui frappe Géricault.
le peintre fait
de nombreuses lithographies qui
montrent la noirceur de la capitale
anglaise : Le Joueur de Cornemuse, Le
Paralytique ou Le Marée/Jal-ferrant
sont autant de témoignages sur la vie
quotidienne à Londres à cette époque.
• Géricault est également impressionné
par la dureté de la justice.
En témoigne
par exemple Le Gibet, une œuvre dans
laquelle il représente les derniers
instants avant la pendaison.
·À Londres, l'artiste loge chez un
marchand de chevaux, animaux pour
lesquels il éprouve toujours la même
passion.
Charles Hullmandel, l'un des
plus importants imprimeurs
d'estampes, publie sa série de
lithographies réalisée sur les chevaux
de labour et autres.
•
Le Radeau de Jo Méduse est montré
à Londres à I'Egyptian Hall par William
Bullock, homme d'affaires plus
qu'amateur d'art qui souhaite avant
tout une chose : que cela lui rapporte
de l'argent.
En juin 1819, la haute
société puis les simples Londoniens
peuvent voir le tableau.
La méthode
de présentation est inhabituelle :
chaque visiteur doit s'acquitter de la
somme modique de 1 shilling.
L'e xposition du tableau se prolonge
pendant près de six mois.
Puis c'est au
tour de Dublin.
• Le séjour à Londres se révèle pour
le peintre peu bénéfique sur le plan
financier (malgré peut-être 50 000
visiteurs), mais il lui permet de
rencontrer des artistes qu'il admire,
tels Thomas Lawrence (1769-1830) et
surtout John Constable (1776-1837).
Géricault est le sujet d'articles flatteurs
dans la presse.
Il est reconnu comme
un grand peintre.
• Du séjour londonien date un tableau
majeur de Géricault : Course de
chevaux, dit Le Derby de 1821 il
Epsom.
Les courses sont alors un
véritable phénomène de société outre
Manche.
Le titre semble inadéquat,
car il faut plutôt voir ici une course
imaginaire.
Quatre cavaliers rivalisent.
Le ciel est particulièrement bas.
On
sait depuis les travaux des
photographes qui ont décomposé les
mouvements du cheval au galop que
la position d'envol que leur prête le
peintre n'existe pas.
Peu importe, le
tableau est impressionnant, tirant
presque sur le fantastique.
• En novembre 1821, sur le chemin du
retour, Géricault fait étape à Bruxelles,
où il aurait rencontré David, alors exilé.
UNE CHUR DE CHEVAL
• Au début de l'année 1822, Géricault
revient à Paris.
Il dilapide ses revenus
en menant la grande vie.
• Curieusement, dans ses dernières
œuvres, il se tourne vers des sujets
difficiles.
Ainsi, il peint cinq portraits
d'aliénés après avoir effectué des
visites à la Salpêtrière.
En cela, il est
d'ailleurs bien un romantique, puisque
le thème de la folie est très présent
pour les artistes se réclamant de ce
mouvement.
Au Louvre, à Paris, on
peut voir La Folle monomane du
jeu : dans cette œuvre très sobre, on
ressent l'égarement de l'esprit de
cette femme.
Autre toile de cette série, Le
Monomane du vot d'enfant offre
un bouleversant portrait quasi clinique,
d'une fine observation psychologique.
• C'est alors que Géricault, pourtant
excellen t cavalier, tombe de cheval sur
des pierres et se blesse à la colonne
vertébrale.
La moelle épinière est
atteinte.
Négligeant sa santé, le peintre
reprend (trop) vite l'équitation.
• Après un moment de répit, la maladie
l'oblige à garder le lit à partir de l'hiver
1823.
L'année est aussi difficile sur le
plan financier, puisque, en août, l'artiste
se retrouve ruiné.
Pendant près d'un
an, le peintre vit une longue agonie.
Il doit vendre des œuvres.
• Ary Scheffer, grand peintre
romantique, a peint la mort dt
GérlcauH : vêtu de blanc, livide, il est
allongé sur un lit; alors qu'il a à peine
trente ans, il paraît presque deux fois
son âge.
Gros et Delacroix sont parmi
les derniers à lui rendre visite.
• Géricault meurt le 26 janvier 1824
des suites de ses blessures.
Le cheval,
qui a été une de ses passions, a
provoqué sa perte.
Il a trente-deux ans.
• Il est enterré au cimetière du Père
Lachaise, à Paris, comme le seront
d'autres grands noms du romantisme,
notamment Chopin.
• Selon ses biographes, Géricault laisse
de grands projets inachevés en
particulier La Traite des Noirs.
montrant
que son engagement n'a, jusqu'à la fin,
pas faibli.
• En 1824, peu après la mort du peintre,
l'État se porte acquéreur du Radeau de
Jo Méduse, qui figure depuis au musée
du Louvre, dans la galerie des grands
formats français du XIX' siècle, entouré
des œuvres de David, Gros et Delacroix,
des maîtres que Géricault a fréquentés.
• Le grand historien Michelet est l'un
de ceux qui ont le plus contribué à la
postérité de Géricault.
Selon lui, le
Radeau de Jo Méduse est symbolique
de la période de la Restauration (1815-
1830) :d'une certaine façon, c'est« la
société tout entière qui embarqua sur
ce radeau».
• Géricaul t est incontestablement un
novateur dans l'histoire de l'art.
Ses
goûts le portent vers Michel-Ange et
Le Caravage, mais aussi vers les
peintres anglais, Constable et William
Turner (1775-1851) en tête.
Et c'est sans
doute de ces derniers que son œuvre
apparaît aujourd'hui la plus proche..
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