Suzanne VALADON: NU A LA COUVERTURE RAYÉE
Publié le 22/02/2012
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Élevée par Madeleine Valadon, sa mère (une mère adoptive, disait-elle parfois), elle serait venue à Paris à l'âge decinq ans.
Elles habitèrent d'abord du côté de la Bastille où Madeleine Valadon exerça l'état de blanchisseuse.
Puiselles vinrent se loger à Montmartre.
Marie-Clémentine fut, sur les pentes de la Butte, l'enfant prédestinée les graffiti au charbon, où palpitait un sensmerveilleux du mouvement, annonçaient un grand dessinateur déjà.
Dans cette Athènes aux étroites frontières qu'était alors Montmartre, des hommes s'en avisèrent.
Ils s'appelaientRenoir, Toulouse-Lautrec, Zendoménéghi, Puvis de Chavannes, Degas.
Bientôt adolescente, on la vit constammentdans leurs ateliers ; comme modèle, et puis comme disciple.
Elle fut, pour Renoir, la mince valseuse de “ la Danse àla Ville ” ; pour Puvis, l'éphèbe gynandre qui suspend un trophée à l'extrême droite du grand “ Bois sacré ” de laSorbonne.
Et Degas, le redouté Degas se penchait curieusement sur les dessins de cette fille enfant aux brasminces et musclés d'acrobate.
Ingres a dit un jour : “ Le dessin est la probité de l'art : Dessiner ne veut pas diresimplement reproduire des contours...
le dessin, c'est encore l'expression, la forme intérieure, le plan....
” Or, il yavait tout cela dans les dessins de Suzanne Valadon, et Degas ne pouvait se déprendre de leur charme.
En 1922,dans une petite édition de la N.R.F.
je publiai, pour la première fois, des fragments de lettres qu'il adressait àSuzanne, à sa “ terrible Maria ”, comme il l'appelait : “ De temps à autre, dans ma salle à manger, je regarde votredessin au crayon rouge...
et je me dis toujours : “ cette diablesse de Maria avait le génie du dessin.
” Pourquoi neme montrez-vous plus rien ?...
” Et encore : “ Venez me voir avec des dessins.
J'aime à voir ces gros traits sisouples...
” Et, plus loin : “ Quand me montrerez-vous quelques bons dessins durs et souples comme vous les faitessi bien ? ”
De tels encouragements, lui venant d'un esprit tellement rigoureux et d'une ironie si volontiers cruelle, donnèrent àSuzanne Valadon le courage d'affronter le public.
Le sculpteur Bartholomé l'y incitait aussi.
Pour commencer, elles'adonna surtout au dessin, puis elle aborda la peinture et la gravure.
Elle exposa pour la première fois à la Nationaledes Beaux-Arts, en 1894.
Son envoi consistait en dessins, en portraits à la sanguine et à la pierre dure.
Puis,pendant plusieurs années, elle ne figura sur le catalogue d'aucun Salon.
Elie vendait ses oeuvres par les soinsd'Ambroise Vollard et de Lebarc de Bouteville.
A partir de 1909, elle se remit à exposer régulièrement au Salond'Automne et, depuis 1912, aux Indépendants.
La vie de Suzanne Valadon se déroula, parfois opulente, souvent chamarrée d'adversités, mais constammentdominée par sa passion majeure : dessiner, représenter des êtres, des femmes, habillées, nues, des enfants, deschiens, des chats, sa vieille mère, son fils, Maurice Utrillo (comme elle, fécond en génie et en malheurs), des fleurs,des fruits.
Suzanne les cerne d'un infaillible trait, qui fait penser au mot de Géricault rêvant d'enfermer toute forme,comme dans les bras d'un mâle amour, dans un impérieux tracé : “ Le trait, je le voudrais en fil de fer ! ” Le volume,en deçà du trait, de cette prison aux murs flexibles, Suzanne Valadon l'emplit de ses couleurs portées au maximumde leur intensité, toujours ardemment caressantes, marquant des plans de lumière ou bien, en touchers longs etronds, faisant se bomber une cuisse, un sein se gonfler, fuser l'épanouissement explosif d'une corolle.
L'âge n'estjamais parvenu, chez Suzanne Valadon, à calmer son incoercible soif de vivre et de créer les brûlants simulacres dela vie.
Je l'ai vue ce soir mourante et demain se jeter sur ses pinceaux comme d'autres sur leur fiole de morphine.Certaines de ses toiles sont apparues comme violentes.
Elles chantaient, si l'on peut dire, sur un mode aux sonoritéspresque trop éclatantes.
Mais Suzanne s'en référait à ceux des grands artistes qui, dans les périodes puissantes,ont osé faire rutiler leur palette.
Elle savait aussi que le temps descend les tons ; donc que les harmoniser avec tropde prudence au départ a pour effet de les anémier à mesure que l'oeuvre prend de l'âge.
“ Ses compositions, a ditGustave Coquiot, un de ses admirateurs les plus fervents et les plus perspicaces, se comptent par centaines et ellessont héroïques.
Il y a une force illimitée et d'une qualité nerveuse extravagante dans cette femme à l'aspect menuet frêle.
” “ Elle préfère, dit-il encore, une sorte de rudesse à la jolie expression qu'elle ne veut pas subir.
” Il luiétait aussi impossible qu'à un Jean Fouquet de “ flatter ” son modèle.
A ses yeux, le seul fait que la fleur ou levisage qu'elle représentait participait de la vie, excluait toute notion de beauté ou de laideur.
La beauté, pour ellecomme pour les Primitifs, était dans la vie et c'est cette vie, donc cette beauté, dont elle donnait, dans son dessinet sur sa toile, un équivalent passionné.
Suzanne Valadon, pour peu que l'État eût su employer un talent siabondant et si expansif, aurait accompli de merveilleuses décorations murales.
Sa grande composition : “ lesLanceurs de filets ”, que je fis entrer dans les collections nationales peu de temps avant sa mort, l'attestenthautement.
L'état de santé de son fils, Maurice Utrillo, dont les toiles sécrètent une poésie spleenétique et souvent déchirante,compliqua l'existence de Suzanne Valadon.
On a fait trop de littérature à propos du déplorable penchant d'Utrillopour la boisson ; penchant qui le conduisit maintes fois au seuil de la démence.
Or, jusqu'à son dernier jour, SuzanneValadon eut à veiller sur cet enfant génial et parfois terrible.
La gloire lui était venue, la gloire en même temps que l'argent.
Mais elle n'avait pas le temps de penser à la gloire etsemait à tout vent son argent.
Elle oubliait de payer son gaz, son électricité, son eau, qu'on lui coupait ; car elle nesavait plus à la fin du jour, ce qu'était devenue la liasse qu'on lui avait apportée le matin.
Extraordinairement émotive, les ans n'avaient point apaisé cette âme constamment vibrante.
Au moindre chocd'enthousiasme ou de colère, son regard, demeuré étonnamment jeune dans un masque tourmenté, brasillait delarmes généreuses..
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