Soi-disant[e] autofiction : le jeu particularisant de l’écriture
Publié le 03/11/2023
Extrait du document
«
Soi-disant[e] autofiction : le jeu particularisant de l’écriture
« …il nous faudra remonter loin dans la lignée de ma propre famille car
mon intelligence de la mémoire collective n’est que ma propre mémoire.
Et cette
dernière n’est aujourd’hui fidèle, qu’exercée sur l’histoire seule de mes vieilles
chairs […] des histoires dont aucun livre ne parle, et qui pour nous comprendre
sont les plus essentielles.
»
Marie-Sophie Labourieux dans Texaco de
Patrick Chamoiseau.
Les situations difficiles paraissent toujours se conjuguer au présent, en général, on tend à
croire que les temps déchoient de plus en plus vite, chaque fois un peu plus qu’avant.
Face
à ces regards fatalistes, face à ces situations, on ne sait pas où recourir pour chercher des
solutions, des réponses, ni même des questions.
Quelles questions ? Est-ce valide
d’individualiser les problèmes, de se pencher sur la guérison de soi-même, par égard à une
telle réalité ? Une autre question se pose devant cette dernière.
Est-ce nécessaire de
chercher la validation des propres souffrances ? Et si on acquiesce, la chercher où ?
Trois œuvres seront abordées dans ce travail, ce sont des textes qui démontrent la
justesse d’une réflexion intime, sans se lamenter pour l’inévitable outil autoréférentiel ni
pour le constant positionnement politique du « je ».
A la façon de « matière ; méthode ;
réseau », d’abord, on examine Dans la solitude des champs de coton, où l’on va se pencher
sur les stratégies formelles qui configurent un questionnement capital : Qu’est-ce que la
littérature nous offre, quoi peut-on y chercher ? ; Ensuite, on s’enquiert sur « le[s] sens » de
l’écriture et du plaisir « à-soi » dans Quelque chose en lui de Bartleby ; enfin, on aborde la
mémoire dans Pas pleurer, comme toile qui contient et lie les expériences individuelles et
collectives, en consonnance avec l’étude que Elizabeth Jelin fait dans Los trabajos de la
memoria.
Quel désir ? l’offre est une recherche de soi
Avec la littérature, on se trouve face à une multiplicité inachevable de regards, de
possibilités et d’expériences « autres » qui déclenchent en nous une réflexion identitaire.
Mais pour éviter de flotter à la dérive, il faut un certain esprit critique qui nous questionne
ce qu’on cherche à l’intérieur du texte et la forme d’envisager une reconstruction
personnelle en fonction de nos particularités.
Dans cette perspective, elle est comme le
Dealer de Koltès qui offre la possibilité d’assouvir peu importe quel désir, à condition que
ceci soit prononcé par le client lui-même :« vous désirez quelque chose que vous n’avez
pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ».1 Voici l’impossibilité de savoir ce que le
client désire, ce qu’il cherche.
A un degré plus personnel, on est dans la même situation, le
texte offre, mais ce n’est rien de concret, car si le regard critique n’est pas présente, le désir
ne pourra pas nous impulser.
L’indétermination est présente tout te temps, l’espace géographique, l’obscurité, ce
qu’ils entendent par « sexe », le client est à la limité de deux mondes : masculin et féminin,
ce qui a une relation directe avec l’homosexualité de Koltès, qui disait se sentir marginé
dans un monde d’hétérosexuels.
L’incertitude introduite par les phrases hypothétiques qui
questionnent et font vaciller la fiction appuie cette sensation, les dialogues progressent par
le moyen des réponses hypothétiques, une de celles-ci porte le titre de l’œuvre :
[n]e me refusez pas de me dire l’objet […] et s’il s’agit de ne point blesser votre
dignité, eh bien, dites-la comme on la dit à un arbre, ou face au mur d’une prison, ou
dans la solitude d’un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit…2
La fiction parait être là pour montrer l’impossibilité de communication entre les
personnages, ils sont opposés, pas seulement dans ce qui concerne à sa fonction, mais aussi
par rapport aux idéologies, aux croyances, au désaccord sur l’amitié, à la proposition
problématique de « devenir zéro ».
Dans le but de ne pas mettre en évidence les
dissonances, la pièce privilégie un dialogue surchargé de techniques d’atténuation 3 qui
causent l’auto-censure et empêchent un échange direct.
Le temps c’est celui du spectateur, c’est-à-dire, chronologique, sans analepses ni
prolepses, il commence in media res, et cependant il n’y a pas d’explication sur le passé, ni
les causes qui ont poussé les personnages à ce moment présent, en consonance avec ce
besoin d’« achever un souvenir, la tentation de l’anéantir, de le mettre à mort, de l’oublier
pour ne pas avoir à en supporter le poids.
»4 Constamment le personnage du client rejette
les souvenirs et le passé, c’est remarquable la comparaison avec une chose digérée, comme
1
KOLTÈS, B-M.
Dans la solitude des champs de coton, Les Éditions de Minuit, Paris, 1986, p.
6.
KOLTÈS, B-M.
Dans la solitude des champs de coton, Les Éditions de Minuit, Paris, 1986.
3
ALBELDA, M.
y CESTERO, A.
“De nuevo, sobre los procedimientos de atenuación lingüística” en
Español Actual 96, 2011, pp.
121-155: “La atenuación es una estrategia pragmática al servicio de la
comunicación mediante la que se pretende minimizar el efecto de lo dicho o lo hecho […] afecta diversos
elementos del proceso comunicativo: al mensaje, al oyente o a la relación entre ambos.”
4
SERVOISE-VICHERAT, Sylvie.
« Responsabilité de l’écrivain au présent et engagement ‘présentiste’ »,
Marges, mis en ligne le 15 novembre 2010, consulté le 29 novembre 2021.
2
si « au restaurant, lorsqu’un garçon vous fait la note et énumère […] tous les plats que vous
digérez déjà depuis longtemps.
»5
Le client évoque un monde situé vers le bas, en contraposition à la hauteur de la
lumière d’une fenêtre d’appartement, ce qui a une certaine relation avec la notion des
romans d’après la fin, une « position chronologique et morale que l’on pourrait qualifier de
terminale.
»6 Ce monde d’en bas « vous condamne à marcher au milieu de tout ce dont on
n’a pas voulu là-haut, au milieu d’un tas de souvenirs pourrissants » 7.
Dès cette approche
« présentiste », on remet en cause les valeurs qui prônent les discours du progrès du futur et
les discours de l’âge d’or du passé, en nous laissant, envers les générations postérieures, la
responsabilité de nous construire par l’actualisation constante d’un passé et d’un avenir
relatifs.
Sans soi, pas de sens
Si on a dit qu’on a une responsabilité envers les générations postérieures, ce n’est pas pour
suggérer que l’unique tâche qui nous reste soit le soin des autres sans faire attention à nousmêmes, ni cette angoisse pour chacun de nos mouvements.
Quand cet esprit critique atteint
le milieu de l’autoréférence, le plaisir n’est pas fondé sur n’importe quel désir indéfini.
Tout au contraire, le plaisir peut ainsi résider dans les échos de l’individualité, c’est-à-dire,
ces instants détachés d’un discours dogmatique ou héroïque visant à changer le monde
d’une seule façon qui se veut la plus correcte.
Comme le montre le texte de Delerm, ce plaisir qu’éprouve Arnold Spitzweg a un
déroulement contraire à celui de l’Histoire.
On peut le trouver dans ce que Perec appelait
l’infraoirdinaire, car ce n’est pas quelque chose d’idéale, sinon quelque chose
d’« essentielle » qu’on tend à négliger.
L’engagement qu’Arnold conçoit, ce n’est pas celui
de l’action, sinon celui d‘une redécouverte des rites quotidiens et de la découverte intime de
l’espace, la métamorphose consciente et responsable avec tout ce qui l’entoure : les goûts,
les odeurs, les sons, les images, les sensations tactiles constituent pour lui des opportunités
privilégiées pour atteindre un sens personnel de la vie.
On pourrait dire que, pour Spitzweg, la conception de ce sens de la vie hésite entre
les memento mori qui l’entourent et les carpe diem qu’il recherche, comme s’il s’agissait
5
KOLTÈS, B-M.
Dans la solitude des champs de coton, Les Éditions de Minuit, Paris, 1986.
SERVOISE-VICHERAT, Sylvie.
« Responsabilité de l’écrivain au présent et engagement ‘présentiste’ »,
Marges, 2010.
7
KOLTÈS, B-M.
Dans la solitude des champs de coton, Les Éditions de Minuit, Paris, 1986.
6
d’une lutte afin de ne pas projeter un but absolu dans la mélancolie du passé ni dans une
espérance idéale du futur.
Si son entourage lui rappelle sans cesse « fumer tue » ou « les
jours commencent à raccourcir, souviens toi que tu es mortel », l’otium, les rites du
quotidien et son approche à l’espace lui permettent d’accéder à des méditations qui
déclenchent un moment où il peut vivre « la vie réelle », un présent qui lui permet de
« continuer seulement à cueillir le meilleur des jours ».
Pour Arnold, son écriture est une « disposition à vivre des petites bulles de temps
arrêté » et par là, une fois fixées par les mots, elles les authentifieraient, faisant possible de
les prolonger : « Il....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- L'historien des idées Roger Paultre voit ainsi le passage de l'écriture préclassique à celle qui suit 1650 : «L'art de la rhétorique ; sa pratique et sa typologie aux subdivisions sans cesse augmentées, débordent largement la période qui nous occupe, et la culture antérieure à 1650 lui assigne une place qui va bien au-delà d'une simple technique littéraire : c'est parce que le monde est formé d'un réseau de ressemblances qu'il est possible de substituer à un mot un autre mot qui, par a
- comment les mathématiques permettent ils de modéliser un jeu de hasard
- Mémoire, histoire et écriture dans l'invention du désert
- L’écriture comme la seule voix audible de l’exilé ?
- En quoi l’écriture de soi peut-elle nous rapprocher de l’autre ?