Rubens : L'ENLÈVEMENT DES FILLES DE LEUCIPPE
Publié le 14/09/2014
Extrait du document
«
Rubens , détail de
!'A utopo rtrait au chapeau (Florence , musée des Offices).
Le plaisir des contrastes
La véhémence du mouvement est rendue par
une composition
où dominent les obliques.
Les têtes de Cas to r et de Pollux, et celle d'une
des femmes, créent une première diagonale
qui traverse
le tableau, de l'angle supérieur
gauche vers l'angle inférieur droit, renforcée
par le tracé de l'encolure du cheval.
Une
autre diagonale, orientée en sens inverse,
sép are les corps des femmes et crée dans le
tableau une zébrure que prolongent la main
levée de Phœbé et les jambes du cheval.
Dans le détail, les obliques dom inent aussi.
Le mouvement interdit toute pose, toute
direction stable; les corps s'arquent ou
se
penchent, les bras sont projetés en tous sens,
les cheveux, les crinières, les vêteme nts
s'envolent.
Les vertica l es, les horizontales
son t absentes.
JI n'en va pas de même pour le fond du
tablea
u.
Là, un paysage est esquissé, cam
pagne aux ond ulations à peine sensibles, sous
un ciel où les i:uages s'étalent en traînées
horizontales.
A droite,
au premier plan,
quelques herbes et
des plantes , immobiles,
dessinent
une nature morte.
Rubens joue de
cette opposition : le calme du lieu fait
paraître
plus véhémente encore la gesticula
tion
des acteurs.
Cela constitue le contraste le plus évident.
Mais d'autres oppositions, dans la toile, ser
vent le langage pictural : chairs pâles contre
peaux brunes, derme lisse des femmes contre
Peint
à l ' huile sur une toile de 222 cm de haut sur 209 cm de large, /'E nlèvement des filles de Leucippe est conservé à l'Alte
Pinakothek de Mun ich.
Le tableau a été exécuté en 1616 -
1617 .
Les femmes de Rubens
"Depuis les premières années jusqu 'aux dernière s, un type tenace semble logé dans le cœur de Rubens ; un idé al fixe a hanté son amoureuse et
constante imagination ; il le poursuit en
quelqu e sorte en ses deux mariages ,
comme il ne cesse de le répéter à tra
vers ses œuvres .» Ainsi le peintre et cri tique Eugène Fromentin parle -t-i l des
femmes de Rub ens, dans un ouvrage
fondamental de la critique romantique , les Maîtres d'autrefois .
Isabelle.
Isabelle Brant est la pre
mière femme de Rub ens.
Il l'épouse le 8 octobre 1609 : il a 32 ans, elle 18.
Le mariage est raisonnable : la femme qu'il choisit appartient à la bonne société
d 'Anvers , et elle est unie par des liens familiaux à Pierre Paul Ruben s, c'est la nièce de sa belle-sœ ur, l'épouse de son frère Philippe .
De nombreux portraits la représentent , seule ou avec Rubens .
Ils montrent un visage avenant, avec de très grands yeux et un nez délicat.
Lorsqu 'elle meurt , en 1626 , lors d'une
épidémie de peste, Rubens juge ainsi sa
première épouse : «J'ai pe r du en vérité une très bonne compagne [ ...
] Elle n'avait aucun des défauts de son
sexe ...
" Hélène...
Hél ène Fourment , la seconde épouse du peintre , est son véri table coup de cœur.
Le mariage a li eu le 6 décembre 1630 , quatre ans après la
éclat d'une cuirasse ou aspect velouté des
robes des chevaux.
Les couleurs, au premier
plan, forment un bouquet ardent fait de rose ,
d'argent,
de rouge flamboyant et d'ocre
foncé.
Le fond est rapidement brossé dans
des teintes bleues et vertes.
«Oreiller de cha ir fraîche »
Ces oppositions , la nouveauté radicale de trai
tement d' un thème abordé dans la peinture
classique, l'importance
du mouvement , des
obliques , tout cela crée une peinture au style
neuf : le baroque.
Participant à cette défini
tion
du baroque , le travail des corps , dans le
sens d 'une sensualité forte , est aussi d'inspira
tion n ouvelle.
•Rubens , fleuve d'oubli, jardin de la paresse ,
Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer ,
Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer »,
écrivait Baudelaire dans les Phares , en 1861.
La
représentation des chairs , et surtout des chairs
féminines , est une des grandes particularités
mort d'Isabelle .
Rubens a 53 ans, il lui en reste cin q à vivre.
C'est une des plus riches h éritières de la ville -mais le
peintre est alors si célèbre qu'il pourra it préte ndre à épouser même une aristo
crate -et une tou te jeune et très belle fille : «j'a ima is t rop la libe rté pour
l ' échanger contre les embrasse ments
d 'u ne vieille femme ", confess e alor s
Rubens .
Et il prend sa jeune femme pour mod èle, dans plu sieurs de ses tableaux .
.
..
e t le s autr es.
Amoureux du plaisir ,
Rubens le vit ainsi pleinement , mais seu
lement dans le mariage.
L'hom me qui a
peint les femm es les plus sensuelles de la peinture reste appa ram ment fidè le à ses épou ses, et on ne lui conna ît aucune
l iaison , avant son premier mariage ou pendant son veuvage.
Il semble même qu'il ait exclu de son atelier les modèles féminins dévêtus , et les nus qu'il rep ré sente seraient donc imaginaires ...
Il dut pourtant être touché par la beauté de
Suzanne, la sœur d 'Isab elle.
On pos sède, en effet, sept port raits de la belle sœur du pein tre, plus que celui-ci n'en fit j ama is de sa seconde épouse.
Mais le peintre vit dans une époque chaste, dans un pay s très catholique : l'adultère y est interdit, et péna leme nt censuré .
La
sensualité de Rubens trouve donc son lieu d'élection dans la peinture : pour le plus grand bonheur de génération s
d 'ama teurs.
de Rubens, et l' une de ses grandes réussites.
Les nus , nombreux dans ses tableaux, suivent
des types précis.
Les hommes sont minces,
musculeux , de complexion sanguine, ils ont la
peau hâlée, l es cheveux bruns ou roux.
Les
femmes sont tout le contraire : chevelures
b londes, souvent défaites,
la carnation pâle.
Surtout, la chair des femmes est invariable
ment molle et
leu r corps est dominé par la
courbe et le cercle.
Dans leur anatomie, nulle
articulation visible , mais chevilles, épaules ...
sont empâtées , dissimulées, comme les
ventres ,
sous une avalanche de plis, de fos
settes et de courbes.
Leurs attitudes mêmes
sont lascives : les femmes de Rubens sont le
plus souvent tendres, faib les et voluptueuses.
Elles enlacent , gémissent , elles lèvent les yeux
au ciel, bougent leur corps de toutes les
façons poss ibles, touchent la peau des autres
ou sont touchées par eux.
Le corps de la
femme est son triomphe , et celui de Rubens ,
un objet de désir , offert à l'admiration du
spectateur..
»
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