PEINTURE-SCULPTURE de 1930 à 1939 : Histoire
Publié le 17/12/2018
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En 1935; avant de mettre sa plume au service des républicains espagnols, Elie Faure ajoute une ultime postface à sa monumentale Histoire de l'art. L’héritier de Baudelaire, le précurseur de Malraux, le pourfendeur des académismes, le défenseur éclairé du génie novateur et des avant-gardes s’interroge pourtant sur leur postérité, déplorant: «L'art d’aujourd'hui, qui s’efforce d'effondrer, sous la
poussée de ses germes encore hésitants, l’écorce d’un sol durci par trop d’hivers, uniformisé et tassé par trop de rouleaux et de meules, vit plutôt dans les théories et dans les intentions que dans les cœurs. C'est un art sinon didactique, sinon même philosophique, du moins intellectualiste [...] dépourvu d’innocence, et peut-être un peu trop conscient des émotions qu’il prétend éveiller.» Cruel aveu en vérité, pour celui qui illumina de sa clairvoyance, en les interprétant comme les orages désirés du romantisme, les grands mouvements artistiques du premier tiers de ce siècle: fauvisme, primitivisme, art naïf, futurisme, cubisme, expressionnisme, géométrisme aux frontières de l’abstraction...
Tout se passe, en effet, comme si la peinture et, dans une moindre mesure, la sculpture se cherchaient soudain d’innombrables raisons d’être, au moment même où s’organise comme jamais auparavant ce «marché de l’art» qui leur fixe une nouvelle règle du jeu: c’est dans les années trente que s’ouvrent les grandes galeries qui exposeront et imposeront les grandes mutations artistiques. Succédant aux pionniers — Durand-Ruel, Vollard, Kahnweiler —, un nouveau type de marchand apparaît (Maeght en sera le plus illustre exemple), à la fois érudit et pragmatique, curieux et pondéré, grand lecteur des critiques. Il sert d’intermédiaire entre l’artiste encore turbulent et assez proche de son modèle romantique mais plus «malin» et conscient de son statut social, et d’autre part une nombreuse génération de clients fortunés — comme Rockefeller et Peggy Guggenheim aux Etats-Unis —, concernés et souvent fascinés par ces révolutions en rafales qui ne cessent de rectifier le tir des canons esthétiques.
L’INTERNATIONALE SURRÉALISTE
Révolution? Le mot a encore cours, bien sûr, mais il s’émousse et les artistes vont avoir désormais à choisir entre un art résolument engagé — celui des surréalistes — et un autre aussi clairement désengagé: celui qu’incarneront au plus haut niveau un Matisse, un Derain ou un Bonnard. Le public, la critique et le musée plébiscitent ce triumvirat de grands pionniers demeurés malgré tout fidèles à une figuration éclectique et virtuose; on s’arrache aussi les paysages de Marquet, de Vlaminck, de Dunoyer de Segonzac et d’Utrillo, les portraits de Marie Laurencin et de Van Dongen ; et aucun sculpteur n’atteint alors le prestige de Maillot. Pourtant, Paris est plus que jamais la capitale incontestée de toute innovation formelle et de toute idée inédite, même si sa future rivale fourbit ses armes: à New York vient de s’ouvrir, en novembre 1929, l’incomparable musée d’Art moderne, ce MOMA que l’on accusera souvent de «momifier» prématurément les artistes, mais qui sera le modèle de tous les autres. Mutation décisive : le musée devient pour longtemps le premier client de l’art contemporain.
«
eEONTUR'TURE.
m·:-·
Salvador Dali est, da ns les années JO.
un représentant et un • th éoricien •
majeur du surréalisme.
Ci-dessous: le pein tre catalan et Gala
photographiis par Man Ray.
PEINTURE
SCULPTURE ..
.
Edward Hopper:
le Soir à Cape Cod (1939).
N�w York Whilney Museum
© Mus ie national d'Art
m odnn� -Cmtr� Georg es
Pompidvu.
Paris X.
DR
PEINTURE-SCULPTURE ...
Raoul Dufy réalise
la fresque murale, de 60 mètres
d e long sur 10 mètres de ham,
la Fée électricité, qui ornera
ft pavillon de la Lumière
à l'Exposition imemati-1nalt de 1937.
«:) Kharb in� -Ta pab or
@Spadem ©
Man Ray· Arclri•'t!s SGéD
© ADAGP 1989
Révolution? Art? Ils sont au cœur de tout le drame qui se
noue au sein du groupe surréalis te ·, autour des personnages clés et
même tutélaires que sont alors André Breton et Louis Aragon, tous
deux passionnés de peinture et de sculpture au point d'en vouloir faire
les «bras séculiers» de la littérature.
I.:issue sera claire: Aragon choi·
sit la révolution seule, Breton choisit la révolution et l'art: Révolution
surréaliste devient en juillet 1930 le Surréalisme au service de la Révolu
tion (mais pas celle de Staline et du parti communiste français, celle de
Trotski); et, à la droite de Breton, c'est Salvador Da li qui en quelque
sorte succède à Aragon! La nouvelle revue s'ouvre sur des publicités
pour le marchand d'arts primitifs Charles RaHon et la très luxueuse
galerie de la Renaissance (à deux pas de Maxim 's !) et publie discrète
ment un texte de Dali -qui pou.rr ait d'ailleurs être considéré comme
le troisième Manifeste du surréalisme, le Second manifeste du surréa
lisme étant paru fin 1929.
L'inventeur de la méthode «paranoïa ..çri
tiq_ue» y définit ( «génnnialllemmment» comme il se doit), sous le titre
I'Ane pourri, les codes du principal clivage dans l'art des années
trente: l'art est surréaliste ou ne l'est pas ...
et pour les surréalistes,
bien sûr, «l'art sera surréaliste ou il ne sera plus>�.
Le mouvement se
mondialise rapidement: ses premières grandes expositions ont lieu à
New York et à Londres (1936), deux ans avant le grand «happening»
international organisé à la galerie des Beaux-Arts (janvier 1938) par
André Breton ...
I.:événement dépasse largement les front.ières du
mouvement: J'art des années trente est, pour la première fois dans
l'histoire, idéologique.
On ne distingue plus tellement entre les dif·
f.
é rentes «manières>• de représenter, mais entre les idées qui inspirent
la représentation.
Le public de l'époque ne saisit pas tout à fait la
nuance, et voit encore le dilemme entre l'art «figuratif» ou «réaliste»
et tous les autres.
Toute la démocratisation de l'art (qui n'était jus
qu'alors un sujet de conversation que pour une élite cultivée) naîtra de
ce qu'il est devenu, dans ces années capitales (plus pour son «image»
que pour son devenir), un objet de scandale, de politisation et même
de bipolarisation: l'Union soviétique va vraiment choisir son modèle
de civilisation en excluant tout autre «imaginaire» que celui du réa
lisme socialiste, dont les meilleurs techniciens (Isaac Brodsky, Alexan
der Deineka, Boris Iogansoo, Yuri Pimenov pour la peinture; Vera
Mukhina pour la sculpture) élaborent l'art monumental stalinien; de
même le nazisme commettra son acte le plus symbolique en exposant
à la face du monde, à Munich en 1938, l'«art dégénéré" dont les
chefs-d'œuvre ne seront pas brûlés comme les livres, mais vendus en
Suisse pour financer la guerre qui se prépare à l'ombre des sculptures
héroïques d'Arno Breker (même Emil Nolde, membre du parti nazi,
protestera en vain contre la confiscation d'un millier de ses toiles); le
fascisme italien, plus subtil, va embrigader le futurisme pour mieux
convaincre la jeunesse d'un avenir triomphant; et bien qu'émigré, De
Chirico continuera d'exposer dans sa patrie où Carra, Renato Guttu- PE
INTU RE-SCULPTU RE ...
Wassili Kandinsky:
Vide vert (1930).
© Musie national d'Art
modem� -Centr� Georges·
Pompidou, Paris
©ADAGP 1989
so, Carlo Levi et les artistes du novecento entretiennent la flamme
d'un art certes moins «métaphysique" que néo-classique, et où le
délicat Morandi renouvelle, surtout par ses gravures, J'art du paysage
et de la nature morte.
DEs AVANT-GARDES
AUX ARRIÈRES DE LA LIBERTÉ
Ainsi la Seconde Guerre mondiale s'annonce déjà par l'ac
cusation du contraste entre un Orient «barbare» situé au-delà du
Rhin, des Alpes et des Pyrénées, ct où les artistes libres ont le choix
entre le silence et l'exil, et un Occident où sont retranchées dans la
même marginalité plus ou moins florissante des tendances très di
verses qui s'ignorent ou se détestent.
À Paris fleurissent les groupes et
les manifestes: en réaction à la mainmise du surréalisme sur l'avant
garde, le poète belge Michel Seuphor et le peintre uruguayen Joaquin
Torres-Garcia tentent de rassembler, autour du groupe Cercle et Car
ré, toutes les autres tendances modernistes et «non-objectives».
Mais
le mouvement, qui expose en avril 1930 à la galerie 23, ne survivra pas
à son extrême diversité.
En 1931, tandis que les Arts décoratifs
consacrent à Toulouse-Lautrec la première de ces grandes rétrospec
tives parisiennes qui seront autant de réhabilitations en fin de purga
toire, le mouvement Abstraction-Création, fondé par Auguste Her
bin, réunit Arp, Baumeister, Buchhcister, Kandinsky, Léger,
Mondrian et Schwitters sur les principes élaborés dès l'année pré
cédente par la revue Art concret de Theo Van Doesburg: il s'agit, pour
la première fois dans l'histoire, de l'abandon déterminé de toute ré
férence figurative.
Ce pas décisif n'est pas toujours irréversible (Jean
Hélion, par exemple, fera machine arrière) et il n'est pas accompli par
ceux qui en avaient donné le signal dès la première décennie du
siècle ...
Picasso, alors très proche des surréalistes, exalte paradoxale
ment la figure en la torturant avec une férocité qui fait passer les
expressionnistes pour des voyous sympathiques: des monstrueuses
Baigneuses (autour de 1930) au déchirant Guernica ( 1937) et à l'in
quiétante Pêche de nuit à Antibes en passant par tous les vertiges de la
«Minotauromachie>>, ce sont toutes les menaces du temps qui sont
impitoyablement révélées.
Quant à Braque, tout aussi «guéri,.
du
cubisme radical, il rejoint Léger par la structure «en apesanteur>>
réunissant les objets et les êtres dans une symbolique qui fait de la
toile une sorte d'affiche sublimée.
Venus de l'Est et du Nord, les trois pionniers de l'abstrac
tion n'auront certes pas été prophètes en leurs pays: Malevitch meurt
en disgrâce à Leningrad (en 1935) au moment où Kandinsky, après le
sabordage du Bauhaus sous la pression des nazis, vient se réfugier à
Neuilly; Mondrian s'installe à Paris, puis à Londres en 1938.
Sa quête
systématique d'une quadrature colorée le rapproche du courant ••su-.
»
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