Peintres de 1940 à 1949 : Histoire
Publié le 08/12/2018
Extrait du document
une hécatombe sans précédent dans l’histoire de la peinture. Les quatre grands théoriciens de l’abstraction disparaissent en pleine créativité, tous emportés sur un rythme souverain, comme balayés par «ce mouvement qui déplace les lignes» et que la beauté ne hait point autant que Baudelaire le croyait...Paul Klee d’abord, dont les dernières années ont été celles d’un retour à l’enfance perturbé par une vision de plus en plus nette du néant_ diagrammes de signes sybillins, anthropomorphiques ou végétaux dont le sens sacré n’échappera qu’à ceux qui méconnaissent encore les arts africains du textile.Après trois ans de maladie, Robert Delaunay s’éteint à son tour, laissant avec ses dernières œuvres monumentales un testament grandiose qu’il résume quelques mois avant sa mort en déclarant que «la peinture mène désormais à l’architecture».Wassily Kandinsky explore jusqu’à son dernier souffle en 1944 les voies ouvertes, par l'effacement de toute géométrie apparente, à la couleur qui renaît de son propre rythme, à peine cernée par des courbes capricieuses.L’ultime traversée de Piet Mondrian le fait changer de monde_ quittant Londres pour New York en 1940, il y trouvera dans les syncopes du jazz le rythme capable de subvertir le bon voisinage de ses plan colorés (Victory Boogie-Woogie et Broodway B.W. 1943-
«
PEINTRES.
Yves Tanguy:
le Palais aux rochers
de fenêtres (1942).
© I.Auros Giraudon
© SPADEM 1989
PEINTRES.
Mark Tobey:
Torse balafré (1945).
© Musü national d'Art
modtrne, Centr�
Georges-Pompidou, Paris
© ADAGP 1989
LES DÉCOUVERTES DE {;AMÉRIQUE
C'est justement sur les bords de l'Hudson que la peinture va
renaître de sa propre rupture, en douceur, avec les lois héritées de la
Renaissance.
Manhattan sera en ces années de guerre et au-delà le
premier «atelier>> à l'échelle d'une ville moderne.
Les maîtres euro
péens y jouent un rôle diffus mais décuplé dans une communauté
artistique qui vit désormais au rythme des grandes expositions: le
Museum of Non-Objective Painting ouvert par Peggy Guggenheim en
1939 en est la maison mère, et la grande rétrospective posthume de
Kandinsky ( 1 945) y sera le véritable foyer de l'incendie pictural qui
couve dans l'ombre des gratte-ciel.
L'arrivée en fanfare, sous la ban
nière d'André Breton, des peintres surréalistes, proscrits comme leur
art «dégénéré», renforce la position des plus radicaux parmi les
jeunes peintres américains.
Sur presque tous, l'influence considérable
de Joan Mir6, qui expose à la galerie Pierre-Matisse depuis 1932, et à
présent celles d'Yves Tanguy (débarqué en 1939), de Max Ernst,
d'André Masson et de Roberto Matta (arrivés l'année suivante) s'insi
nuent entre celles de Klee, de Kandinsky et de Mondrian, accentuées
encore par le succès des revues new-yorkaises d'André Breton, View
puis WV.
Pablo Picasso, qui pendant toute la guerre rase les murs du
quai des Grands-Augustins, réglant à huis clos ses comptes avec un
monde qui le rejette, ne sait rien de l'influence qu'il conserve sur ce
nouveau monde en gestation.
La liberté de son trait sera aussi décisive
dans la partie qui se joue désormais outre-Atlantique.
Mais si l'on
veut être exhaustif dans cette «enquête de paternité», on ne peut
ignorer le culte que les intellectuels new-yorkais des années trente
vouent à Gauguin, à Van Gogh, aux fauves et aux expressionnistes
allemands.
Vue de là-bas, et en regard du réalisme imagier qui prévaut
jusqu'alors chez les peintres nord-américains, la «peinture moderne»
d'Europe forme un bloc mystérieux et déroutant pour une jeune géné
ration qui va passer brusquement de la contemplation timide à la
jubilation iconoclaste.
Enfin, «last but not least», New York n'a cessé
depuis dix ans de s'extasier devant les arts primitifs grâce aux exposi·
tions successives du Metropolitan et du musée d'Art moderne sur les
Sources amérindiennes de l'art moderne (1933), l'Afrique (1935), la
préhistoire (1937), le Mexique et les Indiens d'Amérique du Nord
(1940).
Chacune de ces célébrations est comme une vague déposant
sur les toiles des peintres new-yorkais une écume parfaitement vi
sible ...
C'est en .1942, au moment de l'entrée en guerre des États
Unis, que se révèle le nouveau phénomène: le terme «expression- nisme
abstrait» {déjà utilisé en 1919 pour qualifier l'évolution de
Kandinsky) ne sera repris qu'en 1946 pour servir de bannière à ce qui
constitue désormais, pour l'histoire de l'art, la première «école de
New York».
Dès les années vingt, Stuart Davis (né en 1894) a exprimé le
modernisme américain dans un langage semi-abstrait énoncé dans ses
murais en rythmes colorés explicitement inspirés du jazz.
Son style
singulier en fait même le précurseur du Pop Art et s'il n'a pas vraiment
marqué ces «boys» qui pourraient presque tous être ses fils, c'est
qu'ils rejettent non seulement tout provincialisme face à l'Europe
asservie, mais aussi tout formalisme géométrique ou plasticiste.
C'est
pourtant l'Arménien Arsbile Gorky {1904-1948), ami intime de Davis,
qui assure la transition en infléchissant l'automatisme surréaliste vers
le geste sensuel, en métamorphosant les figures bio-morphiques à la
Mir6 en signes fluides et sybillins.
Son camarade d'atelier WiUem De
Kooning {né en 1904) applique le même traitement à l'héritage ex
pressionniste, indifférent à tout autre sujet que la condition humaine.
De retour d'un interminable voyage du Mexique au Japon
en passant par l'Europe et le Proche-Orient, Marc Tobey (né en 1890)
choisit le blanc pour exprimer en réseaux inextricables les préceptes
du zen; une démarche qui le rapproche du «néo-calligraphe,.
japoni
sant Bradley Walker Tomli (né en 1899).
Chez Clyfford Still (né en
1904), défricheur que l'on n'a pas fini de réévaluer, ce sont au
contraire les noirs qui l'emportent, mais pour mieux faire valoir une
impressionnante chorégraphie de flammèches bariolées.
Disciple
frondeur de Kandinsky, Hans Hofmann (né en 1880) enseigne à ses
nombreux élèves l'art de confronter les surfaces colorées pour qu'elles
expriment leurs propres impulsions.
Mais les techniques picturales traditionnelles, même affran·
chies de la géométrie, ne suffisent pas à contenir les débordement des
«expressionnistes abstraits»: le plus «enragé» d'entre eux, Jackson
Pollock (né en 1912), réussit d'abord avec une spontanéité stupéfiante
la synthèse décisive entre ses influences amérindiennes, la rigueur
formelle d'un Picasso et l'écriture automatique ; mais il adopte bientôt
la technique du dripping (peinture répandue verticalement) déjà prati·
quée par Masson, et dont il sera le maître incontesté.
Cette gestuelle
aléatoire semble clore une «histoire du tableau» ouverte par la Re
naissance.
D'une manière plus sobre, Franz Kline (né en 1910) tente
de styliser l'univers éphémère du chantier urbain.
Mais une bonne part de l'école de New York s'écartera de
cette pratique de l'Action Painting théorisée par le critique Harold
Rosenberg: tout en expérimentant d'autres techniques nouvelles (rou·
leaux, éponges, etc.), Barnett Newman {né en 1905), Mark Rothko
(né en 1903), Adolph Gottlieb (né en 1903), Ad Reinhardt {né en.
»
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