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PAUL CÉZANNE: vie et oeuvre

Publié le 02/05/2019

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Comme les visites étaient rares et que Cézanne n'avait guère, à Aix, de confident avec qui causer peinture, il s'exprimait dans le langage elliptique et parfo is obscur des solitaires. Certains de ses axiomes étaient des réponses longtemps cherchées à des questions que les difficultés de son art l'avaient obligé de se poser et auxquelles son interlocuteur pouvait n'avoir pas songé.
 
Pour mettre plus de clarté dans des idées que Cézanne énonçait sans liaison apparente, il convient de rapporter successivement celles qui ont trait au dessin, à la couleur, à la composition et enfin aux idées générales sur l'art.
 
Quant au dessin proprement dit, à celui qu'on peut arbitrairement séparer de la couleur, Cézanne déclarait avec vivacité son horreur de l'œil photographique, du dessin d'exactitude automatique enseigné dans cette École des Beaux-Arts où il disait s'être présenté deux fois sans succès. Ce n'est pas qu'il défendait l'incorrection superficielle de son dessin, cette incorrection qui n'est ni négligence, ni impuissance, mais qui provient plutôt d'une excessive sincérité - s'il est permis d'accoupler ces deux mots - d'une excessive défiance de l'adresse purement manuelle, méfiance de tout mouvement où l'œil dirigerait la main sans que la raison intervint. Cézanne ne fa isait donc pas mine d'ignorer l'asymétrie de ses bouteilles, la perspective défectueuse de ses assiettes. Montrant une de ses aquarelles, il corrigeait de l'ongle une bouteille qui n'était pas verticale et il disait, comme en s'excusant : «Je suis un primitif, j'ai l'œil paresseux. Je me suis présenté deux fois à l'École, mais je ne fais pas l'ensemble : une tête m'intéresse, je la fais trop grosse. »
 
Mais comme Cézanne, à tort ou à raison, s'interdisait la moindre insincérité, tout en se désolant que ses bouteilles ne fussent pas d'aplomb, il ne les reprenait pas; de même que si des parties de sa toile étaient restées nues au cours de son travail, il les laissait telles plutôt que d'y fro tter un ton quelconque.

[...] Hier je suis allé à Aix voir Cézanne... C'est un homme âgé, simple, un peu méfiant et bizarre. Comme il se rendait à son travail je l'ai accompagné. Il m'a parlé avec amitié et m'a répété, cent fois, c'est effrayant, la vie. Je ne sais de quoi il a eu à se plaindre. Il me paraît tranquille, fa isant son art à sa guise, vivant comme un rentier. Il a en outre une maison à lui, hors la ville, construite selon ses désirs et où il m'a conduit mystérieusement, me disant que personne n'y entrait. Je le juge un peu maniaque, fa tigué par un diabète, avec beaucoup d'idées provinciales et des préjugés en tous genres. Il ne parle que de gens qui veulent lui « mettre le grappin dessus >>. En un mot, il me paraît misanthrope. En art il ne parle que de peindre la nature selon sa personnalité et non selon l'art lui-même. J'ai vu de ses tableaux, entre autres une grande toile de fe mmes nues, qui est une chose magnifique, tant par les fo rmes que par la puissance de l'ensemble et de l'anatomie humaine. Il paraît qu'il y travaille depuis dix ans. Il y a cette particularité chez lui qu'il est un grand original. Mais que penser d'une telle originalité ? J'ai acquis la certitude que Cézanne parle des Maîtres (Michel-Ange, Raphaël) comme beaucoup d'écrivains parlent d'Homère, de Dante, de Milton et comme s'ils les avaient connus. Cézanne n'est jamais allé en Italie, quoique né à sa porte, il les admire par ce qu'il vit au Louvre et d'après des gravures. C'est un brave homme, une sorte de seigneur de la peinture qui retourne
chacune de ces teintes et que remplacer l'une d'elles par le mélange de deux teintes voisines lui eût semblé sans art. Il n'y avait point là de méthode aprioriste en vue de conserver plus de fr aîcheur à sa couleur et c'est pourtant cette fr aîcheur, cet éclat, qui ne sont qu'un résultat, que ses imitateurs ont surtout tenté de lui emprunter, sans remonter jusqu'à la cause, plus fé conde en enseignement, qui est l'observation logique substituée à l'empirisme.
 
Cette science de la couleur, Cézanne l'avait acquise par des recherches à la fois théoriques et pratiques. «Il faut réfléchir, conseillait-il, l'œil ne suffit pas, il faut la réflexion. » Le modelé par la couleur, qui était son langage, en somme, oblige à employer une gamme de tons très haute, afin de pouvoir observer les oppositions jusque dans la demi-teinte, afin d'éviter les lumières blanches et les ombres noires. Rivière s'étonnait de voir Cézanne peindre en vert le mur gris blanc qui était derrière son modèle : «Le travail et le raisonnement, répondait l'artiste, doivent développer la sensation colorée. Voyez Véronèse ; son œuvre de jeunesse, c'est gris: plus tard, les pèlerins d'Emmaüs, comme c'est chaud !»
 
Aussi Cézanne préférait-il travailler aux heures où le soleil bas éclaire les objets d'une lumière très chaude. Dès dix heures, le matin, il s'arrêtait de peindre : «Le jour baisse », disait-il.
 
Pourtant, il s'attachait moins à peindre les contrastes violents que donne le soleil non tamisé que les transitions délicates qui modèlent les objets par des dégradés presque imperceptibles. Il peignait la lumière plus générale que le soleil. Pour lui, qui travaillait plusieurs mois sur le même motif, une tache de soleil ou un reflet n'étaient que des accidents plutôt gênants et d'une importance secondaire. De son regard avide de saisir la forme et pour ainsi dire la pesanteur des choses, il perce l'atmosphère et ne s'arrête pas à en contempler les multiples variations, comme ont fait les impressionnistes.
 
Quant à la composition, on n'en trouve aucun souci dans les peintures de Cézanne, si l'on entend par composition la réunion préméditée des éléments qui constitueront le sujet du tableau, leur

« ÉMILE BERNARD Il n'a plus exposé depuis l'année 1877, où il exhiba, rue Le Pelletier, seize toiles dont la par faite probité d'art servit à longue­ ment égayer la foule.

ÉMIL E BERN ARD Lettre à sa mère 5 fé vrier 1904 Marseille, le 5 février 1904 [ ...

] Hier je suis allé à Aix voir Cézanne ...

C'est un homme âgé, simple, un peu méfiant et bizarre.

Comme il se rendait à son travail je l'ai accompagné.

Il m'a parlé avec amitié et m'a répété, cent fois, c'est effrayant, la vie.

Je ne sais de quoi il a eu à se plaindre.

Il me paraît tranquille, faisant son art à sa guise, vivant comme un rentier.

Il a en outre une maison à lui, hors la ville, construite selon ses désirs et où il m'a conduit mystérieus ement, me disant que personne n'y entra it.

Je le juge un peu maniaque, fa tigué par un diabète, avec beaucoup d'idées provinciales et des pré jugés en tous genres.

Il ne parle que de gens qui veulent lui «m ettre le grappin dessus >>.

En un mot, il me paraît misanthrope.

En art il ne parle que de peind re la natur e selon sa personnalité et non selon l'art lui-même.

J'ai vu de ses tableaux, entre autres une grande toile de femmes nues, qui est une chose magnifique, tant par les formes que par la puissance de l'ensemble et de l'anatomie humaine.

Il paraît qu'il y trav aille depuis dix ans.

Il y a cette parti­ cularité chez lui qu'il est un grand original.

Mais que penser d'une telle originalité ? J'a i acquis la certitude que Cézanne parle des Maîtres (Michel-Ange, Raphaël) comme beaucoup d'écrivains parlent d'Homè re, de Dante, de Milton et comme s'ils les avaient connus.

Cézanne n'est jamais allé en Italie, quoique né à sa porte, il les admire par ce qu'il vit au Louvre et d'après des gravu res.

C'est un brave homme, une sorte de seigneur de la peint ure qui retourne 7I. »

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