parachutage
Publié le 30/03/2024
Extrait du document
«
Norbert ZONGO
LE PARACHUTAGE
Roman
Avant-propos
- Qui t’a dit d’écrire au président ?
J’ouvrais la bouche pour répondre quand une gifle claqua, sèche,
comme un coup de tonnerre.
Une autre plus violente suivit.
Puis une
troisième, puis plusieurs.
Je me couvris les tempes des deux mains.
C’était
un midi, non, un matin, non, un soir, non… Dans mon esprit, le temps
fondait peu à peu, comme un morceau de beurre dans une marmite chaude
en cette journée du 27 mars 1981.
- Pourquoi as-tu écrit au président ?
Malgré mes bourdonnements d’oreilles, je compris la question du
gendarme de la section spéciale.
- Où sont les preuves, eus-je le courage de crier ? Le gendarme ouvrit
rageusement un tiroir de son bureau et jeta à ma figure une feuille volante.
Je la saisis et, avant de la lire, j’osai :
- À quelle adresse écrit-on à un tel président ? Est-ce un tract ou une
lettre ? Elle n’a pas d’en-tête et elle n’est pas signée.
Après tout, est-ce
intelligent d’écrire à un président pour l’insulter ? Autant faire un tr…
Un coup de poing me renversa avec la chaise.
Ce furent les dernières
questions que je posai en une année entière de détention dont trois mois
fermes de cellule.
Trois jours plus tard, j’étais accusé « d’atteinte grave à la
sûreté de l’État.
»
- Tu es subversif et dangereux.
À cause de toi quatre cents de nos
étudiants sont menacé à l’étranger.
Le plus pire (sic), c’est que tu es un
antimilitariste dangereux, très dangereux même.
Tu écris des bêtises sur la
politique.
Et comme tu réclames des preuves je vais te les donner.
Le gendarme jeta sur la table un paquet.
Je lus : ''Le parachutage'' ;
c’était mon manuscrit que j’avais envoyé aux Éditions CLE de Yaoundé, il
y avait cinq mois de cela.
Je voulus savoir comment et pourquoi
''Le Parachutage'' était parvenu dans les mains de la gendarmerie.
Mais je
me rappelai ce que valaient les questions et me tus.
2
Depuis ce jour, je compris tout, tout, c’est-à-dire la nature réelle d’un
certain pouvoir en Afrique, le caractère suicidaire de toute opposition, de
toute contestation, mais surtout le devoir qui incombe à tous les Africains
conscients de lutter, de se battre pour une Afrique plus humaine,
débarrassée des cellules - mouroirs et des légions de tortionnaires à la solde
des présidents-fondateurs, guides-éclairés, créateurs du parti unique.
Béni soit le jour où des Africains pourront défiler, pancartes à la main,
pas pour sublimer souvent le règne d’un cancre, médiocre tyran drapé de
« démocratie », mais pour désapprouver la politique d’un pouvoir dont ils
auraient contribué à asseoir les fondements de sa légitimité.
Le sousdéveloppement serait alors vaincu.
3
LE PARACHUTAGE
Le soleil poussait nonchalamment sa porte de nuages et regardait
d’un œil encore bouffi de sommeil la ville qui s’éveillait.
L’horizon se
teignit de pourpre.
Le jour naissait.
Les boîtes de nuit finissaient de vomir leurs noctambules qui se
mêlaient aux lève-tôt couche-tard : monde hétéroclite fait de
marchandes, de curés, de boulangers, de muezzins, d’ouvriers…
Les rares buildings érigeant par-ci, par-là, leur masse, trouaient le
brouillard du matin qui submergeait la ville.
Un nouveau jour se levait : un nouveau sursis de vie pour les
millions de désœuvrés et de miséreux d’Afrique.
Pour eux, il apportait
au mont – combien déjà très haut – des souffrances des années et des
jours précédents, son amer rajout de misère.
Encore un nouveau jour : un sursis de vie pour des milliers
d’hommes-cancrelats, peuple méconnu des prisons abjectes des
présidents-fondateurs-guides éclairés d’Afrique.
Encore un nouveau jour : la continuation d’un exubérant bonheur
pour des milliers d’hommes auxquels la vie n’avait rien ''refusé'', peuple
de tortues intellectuelles à carapaces de diplômes ou d’argent,
moralement invertébré, pour lequel il était aussi normal d’exploiter,
d’asservir l’Homme que d’exploiter ou de maltraiter son âne.
Encore un nouveau jour qui se levait sur ce monde, le nôtre : terrible
paradoxe où les dieux se définissent par les diables et où l’esprit se
mesure à l’aune de la matière.
Ce monde à l’incompréhensible dualité
où le bien tient la main du mal, où l’enfer fait corps avec le paradis.
Monde où l’affamé squelettique côtoie l’obèse.
Monde de l’eucharistie et de la pilule.
Monde des Brigades-rouges et de la Croix-Rouge.
Mais aussi en Afrique, monde du président-dieu et du militantvotant, « l’homo applaudicus ».
Le jour était né.
L’armée de mendiants avait pris d’assaut les
devantures des grandes banques bourrées d’argent, occupant ses
éternelles positions stratégiques pour avoir les quelques jetons qui lui
permettront de voir un autre jour naître demain.
4
Les buildings, véritables nids de tisserins s’animaient.
Ils avaient
déjà avalé un grand nombre de personnes, travailleurs comme chômeurs
en quête de boulot.
Leurs escaliers résonnaient du martèlement des
chaussures.
Les crépitements des machines à écrire, telles des rafales
d’armes automatiques, s’ajoutaient aux grésillements des téléphones et
aux voix humaines pour instaurer une ambiance de marché africain.
Mais n’exagérons pas.
Tous les buildings ne connaissaient pas cette
ambiance.
Au centre de la ville, sur une petite colline se dressait un
building, au milieu d’une très vaste cour, grand champ de fleurs.
Il se
distinguait par son architecture et la haie d’hommes armés jusqu’aux
dents qui entouraient la cour et en interdisait l’accès.
Vu de l’extérieur, on eût dit un temple, une église ou une mosquée.
Car le calme qui régnait dans la cour était impressionnant.
C’était plutôt une banque, un palais – coffre où l’État, la « nation » et
le « peuple » gardaient leur trésor inestimable : leur illustre Fils, Guideéclairé, Père-fondateur, Leader-bien aîmé qui a tout créé, tout, surtout
les prisons et le parti unique.
Et qui créé tout.
C’était de ce palais-coffre-fort, usine de discours et de décrets que le
premier fils du peuple gouvernait le pays.
C’était de ce sanctuaire qu’il construisait la patrie : la sienne, entre
quatre murs.
C’était de ce temple que le président-dieu Gouama gérait le destin de
plusieurs millions d’hommes habitant la République Démocratique de
Watinbow.
Silence, le dieu travaille !
5
* * * *
La lourde voix d’un interphone grésilla.
- Monsieur Marcel, Marcel, Marcel… Monsieur le conseiller… Mon
conseiller… Marcel…
- Monsieur le Président ! J’arrive, votre Excellence ! Tout de suite, à
vous Excellence ! Je suis à vous mon Président !
Marcel était dans le pays depuis le jour où le président de la nouvelle
République de Watinbow avait débarqué d’un DC 6 en brandissant du haut
de la passerelle à l’immense foule hystérique venue l’acclamer à coups de
tam-tams, de cors et de fusils à pierre, une sacoche de cuir luisant en
criant :
- Je vous apporte l’Indépendance !
On hurla et on dansa des jours et des nuits durant.
Dans les églises et
dans les mosquées, on avait expliqué que cette indépendance n’était pas le
signe de l’avènement de Satan, comme celle que les « communistes »
voulaient installer il y a deux ans.
Mais la sacoche était très petite pour contenir un objet de valeur,
pensèrent certains à haute voix dans la foule.
Peut-être l’indépendance était
en or, répondirent d’autres.
Le Président Gouama ne l’avait pas montrée.
Mais elle devait être bel et bien dans la sacoche.
Il n’y avait qu’à voir la
haie de gendarmes et de gardes qui empêchaient d’approcher la sacoche et
son porteur.
Marcel, c’était le « conseiller » que le maître d’hier, devenu depuis
l’atterrissage du DC 6 présidentiel un ami fidèle et un partenaire sincère, a
délégué pour aider le nouveau président dans ses apprentissages
d’indépendance.
- Où étais-tu passé Marcel ? Avertis Monsieur l’Ambassadeur que j’irai
au prochain sommet de l’OUA dans dix jours.
- Oui Monsieur le Président.
C’est vrai, votre présence est plus que
nécessaire pour aider à résoudre les graves crises qui menacent l’existence
même de l’Organisation.
Votre lucidité et toute l’estime conséquente que vous témoignent tous
vos pairs seront le ciment qui comblera les lézardes de cet édifice.
Je vais commencer à rédiger l’allocution que vous y prononcerez dès ce
soir.
6
- Attention Marcel ! Je pense qu’il nous faut entendre d’abord Monsieur
l’Ambassadeur.
Es-tu sûr que votre pays n’a pas changé de position au sujet
des problèmes que nous aurons à débattre ?
- Sûr votre Excellence.
Il n’y a pas de changement.
- C’est vrai Marcel.
Ce sont toujours les mêmes vieux problèmes.
- Penses-tu qu’un jour la RASD puisse siéger sans difficultés à l’OUA ?
- Votre Excellence, c’est possible mais pas souhaitable.
- Personnellement, je me pencherais du coté de la RASD, s’ils n’étaient
pas sous la houlette du communisme impénitent ces Sahraouis.
Ah le communisme ! C’est la peste moderne.
Les diplomates et les
étudiants en sont les rats propagateurs.
Notre monde porte le communisme
comme une plaie ulcéreuse sur les fesses ; tant qu’elle est là, impossible de
s’asseoir pour se reposer.
Ou nous arrivons à radier le communisme, ou le communisme radiera le
monde libre.
Et ce sera la fin du....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓