NOUVELLE Danse ET DÉCADENCE de 1990 à 1994 : Histoire
Publié le 15/01/2019
Extrait du document
On peut considérer les années 1990-1994 comme l’aboutissement et la fin d’un temps d'intense créativité chorégraphique qui est né dans les années quatre-vingt. En butte à une véritable récession, tant du point de vue de la création que de la diffusion des œuvres, cette période apparaît comme le contre coup d’une véritable révolution esthétique : la « Nouvelle Danse ».
La Nouvelle Danse, c’est essentiellement une danse d’auteur, comparable à ce cinéma d’auteur qui caractérisait la Nouvelle Vague cinématographique des années soixante. Ces chorégraphes, revendiquant une totale liberté des formes, des contenus et des maté
riaux, dépassent tout à la fois les positions esthétiques de la danse moderne et de la danse postmodeme pour trouver, dans les matériaux du temps présent, des éléments propices à d’inédites synthèses. Ils rejettent la rigueur ascétique du mouvement postmoderne (Steve Paxton. Yvonne Rainer, Gordon Lucinda Childs...) qui, dans sa radicalité, porte au plus loin, même jusqu’à l’absurde, jusqu’au rejet de la notion même de représentation, une recherche esthétique quasi idéaliste : celle d’une danse inscrite dans le corps même du quotidien et dont le minimalisme, sous la bannière commune « brain is a muscle » (le cerveau est un muscle), fera du geste prosaïque le matériau d’une poétique nouvelle du mouvement. Cette démarche conduira, à travers l’abstraction géométrique et la danse répétitive, à une forme d’incantation mystique portée à son point d’incandescence par Lucinda Childs.
Mais la Nouvelle Danse conserve, en héritage des postmodernes, l’obsession d’un regard subjectif sur le monde, la mise en valeur scénique des éléments les plus banals du quotidien, une présence quasi systématique de l’environnement urbain et une grande liberté d’approche du corps dans sa matérialité, scs particularités, sa beauté, ses laideurs, son souffle, ses douleurs, sa sexualité.
Les jeunes chorégraphes reconnaissent généralement les modernes comme leurs maîtres, mais ils ont cherché à dépasser une conception plastique du mouvement proche de l’abstraction cinétique. De Cunningham, ils retiennent la possibilité de disséquer la mécanique du geste abstrait dans ses divers éléments, de libérer la chorégraphie du cadre étroit de la théâtralité et de construire un espace scénique polysensoriel où la musique et la scénographie sont dégagées des contraintes de la pure chorégraphie.
De Nikolaïs, certains assimilent la leçon d'un humanisme théâtral qui inscrit le regard du spectateur au cœur même d'un dialogue direct et vivant avec le danseur. Ce dernier développe en effet, par son caractère psychomorphologique propre, une interprétation singulière, et par là même « vivante », d’images génériques et abstraites puisées dans le fonds commun du psychisme humain.
Libérer la danse
DE LA CHORÉGRAPHIE
Ces nouveaux chorégraphes, créant la synthèse entre les modernes et les postmodernes, recherchent alors dans la danse, au-delà même de la pure construction chorégraphique, les moments
«
NOUVELLE
DANSE ET DÉCADENCE.
Le couple, le duo, constitue/li les éléments moléculaires de
la concep ti
o n chorégraphique de Jean-Claude Gal/otto.
Espaces
d'irruption de la danse s'exprimant dans l'ordre des passions
amoureuses, des pulsions sexuelles, des complicités et des conflits,
la danse éta/11 d'abord une histoire d'amour qui se développe
à travers une narration explicite ou implicite.
Ci-dessus: Docteur Labus.
© 1}isran Valès - Enguerand
d'un jaillissement presque incontrôlé des pulsions érotiques ou mor
bides de l'individu ou du couple.
Une des figures de proue de cette
génération, Jean-Claude Gallotta, affirme ainsi ce qui, quelques
années plus tôt, aurait été perçu comme un paradoxe : sa volonté de
«libérer la danse de la chorégraphie ».
Cette dernière devient alors la
gestion formelle d'un ensemble scénographique dans lequel la danse
trouve, au plus près du corps de l'individu ou du groupe dansant, son
espace d'expression propre.
Ce principe de séparation entre la danse
et la chorégraphie revient à affirmer une primauté du corps et du
geste individuel comme un élément singulier, fondateur, et irréduc
tible à l'environnement dans lequel il est intégré.
Le Docteur Labus,
de Jean-Claude Gallotta, ou Dead Dreams of Monochrome Men, de
Lloyd Newson, en sont des exemples remarquables.
Ainsi apparaît
une nouvelle expression de la danse qui, sans cesse confrontée à la
réalité des situations, des désirs et du monde matériel, développe la
prose d'un néoromantisme où les objets, dans le cadre théâtral
devenu cadre de vie, soutiennent, par des contenus sémantiques
implicites, l'expression des sentiments et pulsions individuels.
La
toile de fond de cette esthétique dessine alors le paysage urbain, les
espaces industriels ou l'intimité des appartements (de préférence la
chambre, la cuisine ou la salle de bains).
Et l'on assiste à l'émergence
d'un nouveau théâtre où le «moi ••, loin d'être haïssable, est devenu,
au contraire, désirable.
Ce qui peut donner lieu à l'exploitation sou
vent outrancière, comme chez Karine Saporta par, exemple (les
Pleurs de porcelaine; Carmen), d'un narcissisme sensuel exacerbé,
élevé au rang de contenu esthétique.
D'une certaine façon, cette
Nouvelle Danse répond à sa manière à la banalisation du sexe, de la
solitude et de l'incommunicabilité.
Plusieurs chorégraphes sont ainsi
conduits à développer le thème du sida, avec une grande force de
vérité.
Vérité d'autant plus poignante qu'elle s'inscrit dans la réalité
douloureuse d'un milieu artistique très fortement touché par ce fléau,
qui emporte des figures phares telles que Dominique Bagouet,
Hideyuki Yano ou Robert Kovitch.
La Nouvelle Danse se construit aussi dans l'éclatement des
espaces et des valeurs, à partir duquel l'individu tente d'affirmer
l'unité de son corps propre avec d'autant plus de violence que celle-là
lui apparaît, de façon angoissante, comme incertaine.
Il en résulte un
certain relativisme, qui se traduit sur scène par une mise à plat des
éléments signifiants, par l'interpénétration des espaces réels et vir
tuels, clos et ouverts (/a Chambre, de Joëlle Bouvier et Régis Obadia,
ou La-la-/a Human Steps, d'Edouard Loock) et par le traitement dis- tancié,
voire surexposé, d'un matériau surréaliste qui rend sensible
une réalité schizophrénique.
Les notions d'accélération et de vitesse, portées à leur
comble par un William Forsythe, ou celles de choc, de danger, de
violence, de provocation sexuelle, de contact cru avec la matière
brute (bois, métal, feu, briques, verre ...
), traitées avec brio par un
Wim Wandekebus dans Roseland, deviennent alors les éléments tan
gibles par lesquels l'individu en mouvement trouve, dans son rapport
à l'autre et au monde, la dimension sensible et signifiante de ses
actes.
Ceux-ci s'inscrivent, non sans douleur, dans la simple nécessité
de mouvements fonctionnels ou de rapports humains impersonnels
auxquels il est tenu.
Comme si l'individu devait se soumettre au réel
sans s'en démettre ; comme si la condition de son expression propre,
de sa danse singulière, passait par l'acceptation pragmatique d'un
mouvement extérieur -la chorégraphie -réglé presque en dehors de
lui, lui signifiant son insignifiance dans le tout, son « inessentialité »
dans le non-sens général d'une mécanique formelle.
Mais c'est dans
ce non-sens qui s'affirme comme tel que chacun de ses gestes indivi
duels trouve son sens, sa danse.
Ce curieux mélange de romantisme et de positivisme
contribue à lever les frontières historiques entre classiques et
modernes.
En effet, les techniques de danse classique ou moderne
deviennent de simples matériaux d'expression des danseurs ou des
chorégraphes, en totale rupture avec le cadre et les traditions théâ
trales qui ont conditionné leur émergence.
William Forsythe, par
exemple, utilise avec virtuosité une technique classique très sophisti
quée dans des énergies, des chocs, des mouvements, des espaces
temps disloqués et des accélérations brutales, cela dans un cadre
scénique où une esthétique résolument contemporaine joue de
l'irruption permanente du monde réel.
Cette liberté d'expression scénique acquise par la Nouvelle
Danse constitue une grande force d'attraction pour des artistes venus
d'horizons divers, tels le cinéma, la vidéo, la musique, les arts plas
tiques ou le théâtre.
Dominique Bagouet s'associe au plasticien
Christian Boltanski pour Dix anges, au compositeur Pascal Dusapin
pour Assai' et Désert d'amour; Jean-François Duroure travaille avec
le metteur en scène Georges Lavaudant ; Jean-Claude Gallotta fait
appel au cinéaste Raul Ruiz pour Mammame, à Claude Mouriéras
pour Un chant presque éteint ; Susan Buirge, enfin, collabore avec
Robert Cahen pour Parcelle de ciel.
DÉPÉRISSEMENT DU SENS
Mais ce dynamisme, soutenu notamment par la politique
française de diffusion de l'art en France et à l'étranger, va rapide
ment trouver ses limites.
Celles-ci sont déterminées d'une part par
une clôture institutionnelle et médiatique qui ferme le cercle de la
création autour de quelques figures remarquées, promues dans un
réseau fermé de diffuseurs.
Mais, d'autre part, ces limites se révèlent
paradoxalement dans cette libre utilisation du matériau de la Nou
velle Danse qui, faute de n'être pas maîtrisée dans des contraintes
formelles dûment assumées, a entraîné nombre de jeunes choré
graphes dans la répétition lassante d'un même principe esthétique.
Par ailleurs, certains d'entre eux, faute d'une véritable philosophie de
l'expression, ont cherché dans le retour au néoclassicisme cette forme
précontrainte qui tente de masquer, à grand renfort d'esthétisme gra
tuit, le vide béant du sens.
Ainsi, le début des années quatre-vingt-dix est celui d'une
véritable implosion de la Nouvelle Danse, qui trouve sa source dans
les raisons mêmes de l'extraordinaire débordement des repères tradi
tionnels caractéristiques des années quatre-vingt.
Symboliquement, la
boucle se referme le 8 février 1992, lorsque Philippe Decoufté pro
pose, en ouverture des jeux Olympiques d'hiver, l'image signifiante et
générique d'un mode esthétique né au début de la décennie précé
dente.
Cette chorégraphie, offerte au monde entier, associant,
dans sa conception même, le regard des spectateurs dans le cercle
fermé du stade olympique et celui du téléspectateur dans le cadre
restreint mais tout-puissant du téléviseur, inscrit dans un acte unique
l'ordre des détails montés et scénarisés par le réalisateur et la saisie
globale, mais à la fois parcellaire, du spectacle vivant.
Ce cercle pré
senté comme celui d'un universel bariolé du mouvement humain,
donnant à voir simultanément le tout et les parties, fait de l'acte cho-.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Papouasie-nouvelle-guinée de 1990 à 1994 : Histoire
- NOUVELLE-ZÉLANDE de 1990 à 1994 : Histoire
- Le rock de 1990 à 1994 : Histoire
- LE Jazz, DES ADIEUX À LA RELÈVE de 1990 à 1994 : Histoire
- LE MARCHÉ DE l’ART de 1990 à 1994 : Histoire