Nicolas Poussin : L'INSPIRATION DU POÈTE
Publié le 14/09/2014
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«
L'inspiration du poète,
Nicolas Pouss in, vus 1627 (Hanovre, Niedersii chsische
Landesg alerie) .
qui vole dans le ciel en déploie deux, tandis
que l'autre génie, entre la Muse et le dieu , en
tient une troisième.
L'histor ien Mar c Fumaroli
a récemment expliqué le sens des trois cou
ronnes ; ce sont les trois arts dont Poussin
app elle l'union de ses vœux : la Poésie, bien
sûr, mais aussi la Musique et la Peinture.
De Dionysos à Apollon
La composition de la toile en fait un modèle
de la peinture classique.
L' œuvre , centrée sur
Apollon, est rythmée en largeur par les tro is
figures de la Muse, du dieu et du poète.
Le
corps de l'enfant, au premier plan , les troncs
d'arbres , à l 'arrière plan , font écho à leurs sil
houettes, en dessinant dans le tableau
d'autres ligne s verticales.
Le paysage, lui, est
com posé par des horizontales : les collines au
fond du tableau, les nuages gris et orange.
La
seule dire ction oblique est constituée par le
corps du petit génie dans le ciel, qui s'apprête
à couronner le poète.
Quelques années, sans doute , avant de
peindre l'inspiration du Louvre, Pou ssin a exé
cuté une première peinture sur le même
thème.
L'inspiration du poète conservée à
Hanovre est une œuvre bien différente de la
toile parisienne.
Outre son format , beaucoup
plus petit et plus large que haut , l'Inspiration
d e Hanovre se distingue par une composition
qui fait la part belle aux obliques.
Le Parnasse
y forme une pente rude, et Apollon s'y tient à
demi couché tandis que trois génies volettent
dans des positions instab les.
L'atmosphère de
la toile est également différente .
La lumière ,
atténuée, rend les contours moins nets.
L'air
est imprégné d'une humidité créée par la
source qui jailli t du Parnasse, !'Hippocrène,
peinte en bas , sur la gauche du tableau.
La représentation du dieu , celle des génies et
même celle de la Muse , est distincte dans les
deux Inspirati ons.
Dans le tableau du Louvre,
Apollon , vêtu, cesse un instant de jouer de la
lyre pour s'adresser au poète.
La Muse, à son
côté , est chastement vêtue, même si, réminis
cence antique, son vêtement , qui a glissé sur
l'épaule, dévoile un de ses seins.
Les génies,
nus, ont le sexe recou vert d 'un voile.
Dans
l'Inspiration du poète de Hanovre , au contraire,
la Muse , dépo itraillée , s'accoude au rocher en
une pose moins digne , les putti ont le corps
entièrement dévêtu et , surtout , le dieu est
totalement nu.
Sa lyre abandonnée gît à ses
pieds, tandis que, dieu lascif et tentateur , il se
penche vers le bel ad ol escent agenouillé et lui
fait boire la liqueur qui lui dévoilera les mys
tères d 'une trouble poésie .
Un poète maudit 1
La Muse que célèbre /'Inspiration du Louvre
est , sans doute possible , reconnaissable.
Sous
les pieds d'Apollon , en effet, Poussin a dis
posé trois livres, avec sur leur reliure leur titre
bien vis ible : l'Iliad e, l'Odys sée, l'Én éide.
Ces
trois livres sont l'emblème reçu dans les trai
tés d 'iconographie du temps pour Calliope, la
Muse de la poésie épique.
Ma is le poète peint par Poussin ne reçoit pas
directement de cette Muse ou d 'Apollon l'ins
piration de son œuvre.
Le dieu et la femme
sont muets , figures tutélaires qui protègent
! '
écrivain sans pourtant dicter son texte.
C'es t
dans le ciel, auprès de Dieu - le Dieu chrétien
- que le jeune homme , regard levé , cherche
en définitive son plus précieux secours.
Par cela
e ncore, l'Inspiration du poète du Louvr e diffère
de l'inspiration de Hanovre.
Elle chan te les
louanges d 'une poésie moralement é lev ée,
sublime - alors que l'autre toile évoq u e une
production plus trouble, dionysiaque, érotique.
Ma rc Fumaroli a ch er ché à deviner qui pou
vait être évoq u é sous les trai ts du poète de la
toile parisienne.
L'étude radiographique de la
peinture a révé lé, sous la couche de peinture
qui donne au visage du jeune h omme sa
forme définitive, une autre figure, plus enfan
tine encore , bea ucoup plus émouvante.
L'homme que Poussin avait d'abord prévu de
peindre montre une figure ronde, aux che
veux coupé s très court , aux traits tirés, dou
loureux , aux yeux enfoncés sous les arcades
sourcilières.
Or, six ans environ avant que
l'artisçe ne comme nce cette peinture, en 1624,
éta it mort de tuberculose , à Ro me , un poète
de vingt-h uit ans , Virginio Cesarini.
Protégé
par le pape Urba in VIII, célébré par l'élite
Poussin
Nicola s Poussin est né aux Andelys , en Normandie , en 1594 ,
dans une famille de la petite noblesse qui lui fit faire de sérieuses étu des
classique s.
Sa voca tion artisti que,
née contre le gré de ses parents , est liée à une grande admiration pour le monde antique, autant qu'à un goût
prononcé pour la peinture it alienne.
Formé d'abord à Rouen , pui s à Paris à partir de 1612 , où il ren
contre un premier protecteur dans la personne d'un poète italien Giam battista Marin dit le ..
cavalier Mar in", Pou ssin tente un premier voya ge en Italie , vers 1617, qu'il doit interrompre pour de s raisons de sa nté.
Il repart en 1623 , séjourne à Venise , puis s 'établit finalement , de façon définitive, à Rome en 1624 .
Après avoir travaillé un temps pour des comma ndes officielles , il s'en
tient finalement à la réalisation de tableaux de chevalet de dimen sions moyennes , qu 'il exécute pour des collectionneurs privés .
L e cardinal de Richelieu compte parmi ces acheteu r s.
En 1640 , sollicité par le roi Louis XIII et son ministre , il se rend en France.
Il y est accueilli avec honneur , mais le type de tr a
vail qu 'on lui demande - de grands cycles décoratifs -ne lui convient
pas, et les artistes français, qu i crai gnent de lui voi r prendre trop de place , complotent cont re lui.
Il revient à Rome en 1642 : Il y demeurera jusqu 'à sa mort , en 1665 .
romaine, le jeune homme avait lutté en faveur
d'un art et d'une poésie •sublimes •, accordés
à la grandeur d e la foi de l'Église.
Mais ce poète eut le tort, un an avant sa mort ,
de publier le Saggiatore de Caillée - un traité
qui défendait , contre le ~stème cosmique
de Ptolémée soutenu par l'Eglise , l'idée que les
plan ètes, et la Terre, tournent autour du Soleil.
La position d 'Apollon , au cen tr e de l'in spira
tion du poète de Paris, avec , gravitant autour de
lui, la Muse et le poète d'une part, les deux
génies de l'autre, pourrait être une allusion à
ces théories.
Apoll on n'est-il pas aussi le dieu
de la Lumière, du Soleil, associé à Phébus?
Alors , il faudrait voi r dans la peinture du
Louvre un hommage, que Pou ssin aurait voulu
explicite, et qu'il dut finalement dissimuler, à
un créateur qui eut le coura ge d 'être, à la fois,
un chrétien et un homme épris de vérité..
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