NAISSANCE DE LA Musique moderne
Publié le 27/12/2018
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Les découvertes de la psychanalyse jouent aussi un rôle décisif dans l'évolution du grand musicien allemand de ces années charnières: comme Mahler. Richard Strauss est avant tout un chef prestigieux (il dirige l'Opéra de Berlin depuis 1898) maîtrisant toutes les ressources de l'orchestre mais de plus en plus hanté par les potentialités infinies de la voix humaine. À partir de 1900. il délaisse pour la scène lyrique la forme du poème symphonique qui a consacré son génie de compositeur. L'influence wagnérienne (il a dirigé à Bayreuth) s'estompe rapidement et son originalité explose en 1905 avec la création de Salomé. son troisième opéra, d'après la tragédie d'Oscar Wilde. Plus encore que la partie vocale de l'héroïne ou la chorégraphie suggestive de la danse des Sept Voiles, le raffinement agressif de 1 orchestration crée une telle tension érotique que Mahler renonce à contre-cœur à en diriger la création dans la très catholique Vienne des Habsbourg. À Milan (générale sous la baguette de Toscanini) comme à Dresde (trente-huit rappels à la première!), c'est un triomphe aux relents de soufre qui fait de Salomé. pour ses qualités dramatiques, l’opéra fondateur du siècle, ce que Pelléas n'était que pour le langage musical. Le chromatisme sublimé issu de Tristan et Isolde y atteint une dimension extatique qui ne pourra être surpassée que hors des limites du système tonal, avec les opéras de Berg. En 1909, Strauss récidive avec la création d'Elektra. qui inaugure sa longue collaboration avec le librettiste Hugo von Hofmannsthal. C'est encore l'influence de la psychanalyse qui pousse le compositeur à user d'une écriture presque atonale, pour exprimer pleinement la dualité des personnages de Sophocle, à la fois primitifs et complexes. Elektra est d'ailleurs considérée à juste titre comme la première œuvre lyrique s'inscrivant dans le courant expressionniste déjà en plein essor parmi les poètes et les peintres germaniques.
Le siècle naissant est fertile en événements musicaux qui annoncent une profonde mutation des rapports entre les compositeurs et le public. C’est une relation passionnelle et souvent conflictuelle qui s’installe entre des artistes usant d’un vocabulaire de plus en plus complexe et un auditoire de plus en plus nombreux mais dont les réticences — souvent reflétées ou même exacerbées par la critique — se durcissent à l’égard de toute innovation formelle. Ainsi se développe un paradoxe qui marquera en profondeur toute la musique occidentale moderne: celle-ci s'affirme résolument avant-gardiste, son écriture et son interprétation vont connaître leurs plus grands bouleversements depuis le xve siècle, alors que le mélomane du xxe siècle peut être crédité de l'invention du passéisme musical.
Car jusqu’à la fin du siècle dernier, on écoutait avant tout la musique de son époque, celles des siècles précédents n’étant connues et appréciées que d’une minorité d’esthètes, même parmi les musiciens. Mais pendant la Belle Époque, l’édition des partitions, l’industrialisation de la facture instrumentale et la pratique musicale à domicile dans les classes bourgeoises font du grand public un interlocuteur direct pour le compositeur. Quant aux commanditaires des œuvres, ce sont déjà les sociétés de concert et autres organismes publics ou associatifs — et donc plus ou moins dépendants des goûts du grand public — qui relaient le mécénat aristocratique en déclin. Enfin, la phonographie se répand dans les foyers et le cylindre cède la place au disque de cire imaginé en 1899 par l’Allemand Emil Berliner. Pour des raisons techniques autant que commerciales, la production favorise d’emblée le bel canto et les symphonies du xixe siècle. Ainsi, le compositeur assiste à la naissance d'un «marché musical» qui échappe à son contrôle.
Mais, plus encore, c’est l’avènement d’une culture musicale universelle qui est la grande nouveauté de cette période capitale. Les musiques européennes non écrites sont en voie de disparition; on observe le déclin irréversible des chants et danses traditionnels pratiqués lors des fêtes rurales. Bien des compositeurs continuent de se
«
NAISSANCE
DE LA MUSIQUE
MODERNE.
La diffus ion du plronograplre et
du disque de cire bouleverse les conditions
d 'accè s ti la musique, qu'on peut désormais
écower chez soi.
Ci-de..•SttJ: Camille
Saim-Saëns lors d'un enregistremem.
©Jean-Loup Charmer
référer au folklore (le mot lui-même est tOut récent), mais plus par
nostalgie que par souci identitaire comme à la fin du x1x' siècle.
Bien
tôt, le mélomane européen ne connaîtra plus ses racines que par
l'exhumation de l'immense répertoire écrit de la musique savante.
Cependant, l'Exposition universelle de 1900 offre aux compositeurs,
comme l'avait déjà fait celle de 1889, l'occasion d'apprécier l'infinie
diversité des musiques extraeuropéennes qui relativisent le modèle
occidental.
Sans exagérer l'influence de cette découverte très progres
sive, elle donne une sone de caution humaniste et planétaire à ce qui
est déjà le double enjeu musical du xx• siècle: la remise en cause du
système tonal et de la continuité rythmique.
I:histoire de la musique reste, elle, limitée à celle de nos
ancêtres, mais on ne cesse de la récrire, dévaluant ou réévaluant les
compositeurs du passé.
L'hégémonie de la tradition germanique, déjà
tempérée par le développement des écoles nationales, s'estompe ra
pidement, même si la musique de tradition romantique vit avec Mah
ler et le premier Schonberg son chant du cygne.
En même temps
s'achève la gigantesque polémique, moins esthétique que politique,
suscitée par les opéras de Wagner: les «revanchards» n'empèchent
pas les premières françaises de Parsifal (version concert, Paris 1903),
de la Tétralogie (Lyon, 1904) et de Tristan (Paris, 1904).
La scène
lyrique devient vraiment internationale, et elle sera le décor des plus
grandes créations musicales des années 1900.
L'ONDE DE CHOC DE PELLÉAS
Si 1900 n'est pas un millésime inoubliable quant à l'impor
tance des œuvres créées, c'est une année charnière pour la scène
musicale; car la quête de la modernité y sera désormais aussi fébrile
que dans les domaines de la littérature et des arts plastiques, et les
scandales aussi nombreux: celui du 30 avril 1902 sera considéré
comme l'acte fondateur de la musique du xx' siècle.
Ce soir-là.
après
la générale déjà houleuse du 28, le public de rOpéra-Comique ac
cueille par des sifflets le Pe/léas et Mélisande de Debussy.
La chro
nique hostile du Figaro décrit assez bien ce qui deviendra pour long
temps une pomme de discorde: ((Le monde musical est divisé en deux
camps.
D'une part, un groupe d'arrivistes qui ont des amis bruyants,
décidés à les défendre.
D'autre part, les fervents de l'art, qui trouvent
que la musique est une trinité sainte dont les trois éléments -la
mélodie, l'harmonie et le rythme -ont des lois qu'on ne peut conti
nuellement enfreindre au détriment de la raison et de l'oreille.» De
bussy est vigoureusement soutenu par le chef d'orchestre André Mes
sager, mais aussi par Dukas, Ravel, Satie et par la plupart des
meilleurs compositeurs de l'époque.
Pel/éas fera vite le tour du ....
!.
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NAISSANCE DE LA MUSIQUE MODERNE.
Malgré plusieurs compositions qui révèlent so11
talem, Ravel se voit refrtSer par trois fois le prix de
Rome.
On le voit ci-dessus, à l'extrême droite,
en compag11ie des awres candidats en 1901.
© BibliotMque nationale -Paris
NAISSANCE DE LA MUSIQUE MODERNE.
Claude DebrtSS)' (ci-contre, en 1904)
compost quelques œuvres majeures
de /'•impressionnisme musical>.
© Bibliot!tèque rrationale -Paris
monde, bientôt considéré comme le chef-d'œuvre le plus abouti de ce
qu'on appelle alors )'«impressionnisme musical».
À Paris même, De
bussy aura sa revanche en 1908, porté en triomphe après la création
d'une composition infiniment plus complexe et provocatrice: la Mer.
En fait, si Pelléas déchaîne autant les passions, c'est que le moder
nisme jusque-là cantonné dans les sociétés de concert atteint pour la
première fois le public plus large d'un théâtre lyrique.
La debussyste avait pourtant été acclamée dès
1894 (Prélude à l'après-midi d'tm faune).
Même succès pour Nuages en
1900, un «véritable Turner sonore» selon l'expression d'Harry Hal
breich, où la tonalité de référence n'est plus qu'une faible trame bors
de laquelle dissonances et pentatonismes prennent une vie autonome.
Vrai manifeste de la musique du xx' siècle, ce premier des Nocturnes
contient en germe tout ce que Pelléas révélera avec plus d'éclat et que
développeront les nouvelles pièces pour piano de Debussy: ses
Cloches (1908) sonneront le glas du romantisme après un Hommage à
Rameau (1905) qui relie la nouvelle musique française à ses anté·
cédents prestigieux du xvnr< siècle.
Commentant la première de Pelléas, Jacques Durand, l'édi
teur de Debussy, écrit dans ses Mémoires: «La fièvre wagnérienne
battait encore son plein.
Toutefois, le goût de la fantaisie en art
reprenait ses droits.
Le xvr11' siècle revenait à la mode.
On essayait de
remonter aux traditions de notre terroir en se libérant des brumes du
Nord.» On a souligné également l'importance chez Debussy d'in
fluences plus exotiques: celles des gamelans indonésiens (entendus à
l'Expo de 1889), des premières effluves du jazz (le cake-walk au Nou
veau-Cirque en 1900, que l'on retrouve huit ans après dans Children's
Corner) et surtout des compositeurs russes du groupe des Cinq, ova
tionnés à Paris au tournant du siècle.
Paris est d'ailleurs devenu le
grand carrefour musical européen.
Les jeunes compositeurs d'Europe
centrale comme le Roumain Enesco font créer tOutes leurs œuvres aux
Concerts Pasdeloup et Lamoureux dont le programme est le plus
éclectique du monde, favorisant la musique russe qui, à partir de 1908,
aura sa saison annuelle sur les rives de la Seine.
Toute l'école es
pagnole s'installe à Paris: Granados y compose ses Goy es c as , Albeniz
(voisin de Casals à la villa Molitor) y publie /beria, le jeune de Falla
s'y établit en 1907 et le pianiste Ricardo Vines y crée la plupart des
œuvres de Debussy et de Ravel.
Ce dernier, s'il partage avec Debussy l'amour de Couperin
et de Rameau, garde de son origine basque une influence ibérique qui
culminera avec l'opéra bouffe l'Heure espagnole et la Rhapsodie es
pagnole, composés en 1907-1908.
Dans ses partitions pour piano,
généralement orchestrées par la suite, il s'impose comme le plus in
dépendant des héritiers de Debussy, qu'on l'accuse injustement d'imi-.
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