MUSIQUES DU MONDE, Mémoire ENCHANTÉE de 1995 à 1999 : Histoire
Publié le 25/12/2018
Extrait du document
Dans son Essai sur l'exotisme, Victor Scgalen s’emportait sur l’inexorable diminution de ce qu’il nommait « le divers ». « Si je place l’exotisme, manifestation du divers, au centre de ma vision du monde, écrivait-il le 21 avril 1927 à Shanghai, si je me complais à le chercher, à l'exalter, à le fabriquer lorsque je n’en trouve pas [...], ce n’est point comme unique ressort esthétique, mais comme Loi fondamentale de l’intensité de la sensation, de l’exaltation du sentir, donc du vivre. » Dans cette baisse de la tension exotique du monde, Segalen croyait apercevoir une menace d’épuisement de l’énergie sous toutes scs formes - mentale, esthétique, physique - et rendait le progrès - sa logique d’échanges mécaniques-coupable de l’usure des différences, de l’affadissement des rapports. Mort à 40 ans au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’auteur des Immémoriaux n’aura donc pu assister au violent passage de la déferlante dont il avait pressenti l’arrivée : la mondialisation, soit la transformation accélérée des relations entre les composantes ethniques et culturelles de notre planète, dont certains pensent qu’elle conspire à une périlleuse homogénéisation des comportements, de l'imaginaire et des expressions humaines.
La musique, parce qu’elle est à la fois création et marchandise, parce que sa circulation, facilitée par la multiplication des canaux de diffusion, hertziens puis électroniques, de type Internet, peut se faire en temps réel, s’est trouvée à l’avant-garde quant à cette vaste libération des échanges, le phénomène prenant, en ce domaine, une particulière complexité. La fin du XXe siècle a donc pu voir des événements d’une dissemblance radicale, comme la « planétarisation » de quelques artistes, tels que Michael Jackson, Madonna ou Céline Dion, donnant à la notion de « village global » une réalité vérifiable en permanence, et, d'autre part, la production de plus en plus importante de disques et de spectacles offrant à chacun la possibilité de découvrir la mystérieuse beauté des polyphonies albanaises ou l’envoûtant chant nuptial hayé hayé qu’entonnent les femmes songhaï dans la brousse nigérienne.
«
de
l'affadissement des rapports.
Mort à 40 ans au lendemain de la
Première Guerre mondiale, l'auteur des Immémoriaux n'aura donc pu
assister au violent passage de la déferlante dont il avait pressenti l'ar
rivée : la mondialisation, soit la transformation accélérée des relations
entre les composantes ethniques et culturelles de notre planète, dont
certains pensent qu'elle conspire à une périlleuse homogénéisation
des comportements, de l'imaginaire et des expressions humaines.
La musique, parce qu'elle est à la fois création et marchan
dise, parce que sa circulation, facilitée par la multiplication des canaux
de diffusion, hertziens puis électroniques, de type Internet, peut sc faire
en temps réel, s'est trouvée à l'avant-garde quant à cette vaste libération
des échanges, le phénomène prenant, en ce domaine, une particulière
complexité.
La fin du x:x' siècle a donc pu voir des événements d'une
dissemblance radicale, comme la « planétarisation » de quelques
artistes, tels que Michael Jackson, Madonna ou Céline Dion, donnant à
la notion de «village global >> une réalité vérifiable en permanence, et,
d'autre part, la production de plus en plus importante de disques et de
spectacles offrant à chacun la possibilité de découvrir la mystérieuse
beauté des polyphonies albanaises ou l'envoûtant chant nuptial hayé
hayé qu'entonnent les femmes songhaï dans la brousse nigérienne.
D E NOUVELLES FORMES,
HYBRIDES ET NOMADES
Que ce soit sous leurs formes les plus ancestrales ou mélan
gées à des sonorités allogènes, confrontées à des technologies sophisti
quées, les musiques dites traditionnelles ont subitement connu un essor
remarquable et font depuis quelques années 1 'objet d'une surenchère
propice à de multiples manipulations, heureuses ou hasardeuses.
Ce foi
sonnement a eu pour première conséquence la recherche d'une temlino
logie appropriée pouvant exprimer la manière dont les mêmes courants
contradictoires- respect de la tradition ou mélange- traversent ces uni
vers sonores différents.
Si l'on parle volontiers de « musiques du
monde >• pour ce qui concerne les formes enracinées, on préfère l'usage
du vocable anglais world rm/Sic, inventé par le fondateur du label Real
World, Peter Gabriel, pour aborder les musiques mutantes, celles que
l'on a sorties de leur contexte, et auxquelles furent inoculés des gènes
sonores étrangers ou administré un traitement aux instruments contem
porains.
Une telle catégorisation, il est vrai, demeure largement insatis
faisante, tant la frontière esquissée se révèle instable ; de plus, la tradi
tion, voire la pureté, en matière musicale est une notion que l'histoire
même des courants rend relative.
À queUe authenticité le tango argentin
peut-il en effet prétendre, lui qui se trouve être le fruit d'une union intem
pestive entre la milonga, danse carnavalesque, la habanera cubaine, le
bandonéon allemand et la syncope du candomblé d'origine africaine? Il
n'empêche que c'est bien à la reconnaissance des« autres » musiques
que l'on assiste, celles qui, malgré la menace d'une exploitation indus
trielle, vivent encore dans l'élan de leur propre histoire, dans l'éblouis
sement de leurs rituels intimes, qui se tiennent aussi à l'orée de situations
divergentes, entre un usage communautaire qui les maintient en l'état et
un avenir spectaculaire qui les pousse à bifurquer sur d'autres voies.
À
l'heure actuelle, le musical n'a jamais été aussi disponible,
mais selon un mode d'usage et de création inédit, où la mise en réseau
d'éléments en apparence incompatibles permet à ceux-ci de se téle sco
per, de se séduire, de se combiner, pour aboutir à l'invention de nouvelles
formes hybrides et nomades reliant le local à 1 'universel.
Si l'ère coloniale a conduit sur le plan culturel à la« créolisa
lion >>, c'est-à-dire à la constitution involontaire d'un nouveau langage,
parlé ou musical, fait d'emprunts à différentes souches, le mixage -
forme instrumentalisée du métissage- pern1ct, à l'ère du libre-échange
technologique, de poursuivre l'extension des univers musicaux, d'ouvrir
1 'horizon à de nouvelles découvertes.
Dcep Forest échantillonne avec
désinvolture des chants pygmées sur des boucles rythmiques de syn
thèse ; le guitariste canadien Michael Brooks et le chanteur pakistanais
Nusrat Fateh Ali Khan conjuguent mélopées sou fies et instrumentation
rock : la world music est devenue le lieu de tous les possibles.
S'y fré-
.
qucntent désormais, dans une complète anarchie, recherche de sens et
divertissement, mémoire et amnésie ludique, lambada et chants sacrés.
RE TOUR AU CRÉOLE
Les premières sonorités exotiques à s'être glissées dans l'uni
vers musical moderne, régi par la performance scénique et la reproduc- MUSIQUES
DU MONDE,
MÉMOIRE ENCHANTÉE.
Mon en 1997, le clwmeur
pakisrana is Nusrar Farelr Ali
Khan, s'il a perp�rué la rradi·
rion du qawwali, wr cham
mysri au goût du jour.
Meilleure
vente d'album en France au cours de l'été 1999, le Buena Vista Social
Club ne renouvelle cependant en rien ce qui préexistait à la révolution
castriste, mais donne d,·s diverses traditions musicales cubaines une
version patinée par la nostalgie d'un monde perdu, bien qu'à jamais
contaminé par la jovialité et l'esprit de la danse.
Ce retour au créole se vérifie ailleurs : à Saint-Domingue, où
l'explosion du merengue a atteint tout le monde latino-américain, à
Haïti, avec la reconnaissance d'artistes comme Toto Bissainthe ou
Beethova Obas, aux Antilles françaises, avec le succès rencontré par.
»
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