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Manet : LE BAR DES FOLIES-BERGÈRE

Publié le 14/09/2014

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manet

Manet étudie la déformation des couleurs plon­gées dans la clarté blafarde du gaz : toutes paraissent plus claires, quelques-unes devien­nent si éclatantes qu'elles se diffusent au-delà des contours des objets. Le flacon de Pippermint a autour de lui une auréole verte, dont la tona­lité se répand sur le marbre en touches à peine perceptibles, et jusque sur la bouteille brunâtre toute proche, moins lumineuse.

 

Cette analyse très attentive des couleurs cul­mine dans la peinture des reflets : Manet y combine plusieurs facteurs, éloignement relatif des figures reflétées, fumée de tabac qui trouble l'atmosphère, blanc du gaz. En outre, si l'oeil humain perçoit nettement les détails du premier plan, il ne peut, logiquement, enregis­trer en même temps avec autant de précision ceux du second plan. Le brouillage des visages et des costumes correspond ainsi à une vérité, celle de la sensation elle-même. En cela Manet est plus le contemporain de Seurat, alors pas­sionné par ses études de l'optique, que celui de Monet et de Pissarro, analystes moins précis. Le Bar des Folies-Bergère annonce l'expérimenta­tion savante de la Parade de cirque et du Chahut, peints par Seurat quelques années plus tard. Par ses «simplifications«, Manet atteint à une justesse nouvelle de la représentation.

manet

« Huile sur toile de 130 cm sur 96 cm, le Bar des Folies -Bergère est ex po sé à Pari s, au Salon de 1882, sans grand succès.

À la vente posthume de l'atelier, en 1884 , le table au est acqui s par le compositeur Emm an ue l Chab rier , ami intime du peintre et collection ­ neur des impressionnistes .

Apr ès la mort du mus icien , en 1894, la toile est vendue par sa ve uve au marchand Dur and-Ruel.

Pendant plus de vingt an s, elle ne cesse de changer de prop riétai re, tantôt à Paris , tantôt à Berlin , à Budap est, à Muni ch et à Lucerne.

En 19 26, elle est acqui se par l'indus ­ triel brit ann ique Samuel Court auld.

À la di sparition de cel ui- ci, en 1957, le tab lea u rejoint les collec tio ns du Co urta uld ln stitute d e L ondres, fondé e n 1931 pour favori ser l'é tude de l'hi stoire d e l'art en Gran de-Bre t agne.

la serveuse et le visage d'un homme en haut­ de-forme qui , sans doute , s'adresse à elle.

À en juge r par les seules lois de l'optique , il est étrange que ce personnage puisse s' aperce­ voir dans la glace sans figu rer dans !'espace •réel • du tableau , celui du comptoir au-dessus duquel il se penche.

Seule hypothèse accep­ table : il faut admettre que cet inconnu est le peintre lui-même et que la scène, observée par ses yeux , est saisie dans l'instant de la sensati on, à la fois préci se et imprécise.

De la sorte, Manet ju stifie la vue légèrement •en plongée• des bouteilles , et le refle t qui manque singulière m en t de netteté.

De même, il installe le sp ectateur dans son œuvre, à la place o ù lui-même est supposé se tenir, dans le bar des Folies-Bergère , debout face à la ser­ veuse, la salle se trouvant derrière lui.

Grâce à cet artifice de composition , l'illusion est aussi comp lète que possible et l'effet de présence à son plus haut point de perfection.

Peindre la vie moderne Le trompe- l'œil est d'au tant plus saisissa nt, pour les contemporains de Manet, que celu i-ci se donne pour sujet un lieu à la mode , de ceux qui symbolisent la •vie parisienne • nocturne, faite de dîners, de spectacles , de renc ontres et d'aventures.

Il respecte la structure du bâti­ ment.

Il mon tre les vastes lust res circulaires, indique , à l 'aide de disques blancs, les écla irages au gaz, raffinement de confort moderne récem­ ment installé.

Les bouteilles qu'il plac e au pre­ mier plan sont copiées sur nature, pale-ale anglaise à l' étiquette ornée d 'un triangle rouge, flacon de Pippermint vert et ventru.

Pour le marbre, Manet fait installer une plaque iden­ tique dan s son atelier, garantie d'authenticité.

Parmi les figures dans le miroir , se reconnais­ sent des mondaines qu'il a portraiturées aupa ­ ravant : Méry Laurent, égé rie de Mallarmé, et Jeanne Demarsy.

Quant à la serve use , elle n'est pas moins véritable , puisque le peintre demande à l'une de celles des Folies-Bergère, une prénommée Suzon, de poser pour lui.

Nulle improvisation donc .

Dans son atelier , Manet recons titue en par tie le coin de salle qu'i l veut représenter.

Ces préca utions son t symptomatiques de l'esthét i que avouée de Manet telle qu'Émile Zo la la définit dans des articles en faveur de l'artiste.

Le peintre figure la socié té contemporaine et, pour cela, renonce aux sujets mythologiques et religieux, sujets d 'imagination.

Zola attend de l'œuv re pic tural e qu'elle reflète l' état des mœurs, les cost ume s du temps, les p laisirs et les travers d e la société - qu 'ell e accomp lisse en somme le projet naturalis te qui soutient son œuvre romanesque.

Cinq ans aupa ravant, Manet a peint la Nana de Zola, courtisane à sa toilette qu'attend son protecteur assis sur un canapé.

Le même souci d'exacti tude se retrouve dans les deux œuvres, la même volonté de fixer une scène d e la comédie sociale d e l'époque.

Les couleurs, dans l a lumiè re au gaz Mais c'es t de peinture qu'il s'agit cependant, et non point de faire concurrence à l'image photo ­ graphique et au roman.

Manet ne cherche pas à suggérer une anecdote.

Le visage et le regard de la serveuse n'expriment nul sentiment, si ce n'est peut-être l'indi fféren ce et l'ennui.

I.:attitude de l'homme n'est pas plu s explicite , si bie n que le tableau ne raconte rien et ne se laisse pas Nana , Édouard Mane t (Hambourg, Kunst halle).

En parfaite sympathie avec /'écrivain naturaliste Zola, Manet a traité des suje ts modernes , et notamment de la bohème des nuit s parisiennes.

réduire à une narration.

La façon de peindre est plus importante que la suggestion d'un dialogue ou d'un récit.

Et c'es t dans le rendu de la lumière et de ses effets que se situe principalement le champ d'expérimentation du peintre.

Manet étu die la déformation des couleurs plon­ gées dans la clarté b lafarde du gaz : toutes paraissent plus claires , quelques-unes devien­ nent si éclatantes qu'elles se diffu sen t au-delà des contours d es objets.

Le flacon de Pippermint a autour de lui une auréo le verte, dont la tona­ lit é se répand sur le marbre en touches à p eine perceptibles , et jusque sur la bouteille brunâtre toute proche, moins lumineuse.

Cette analyse très attentive des cou leurs cul­ mine dan s la peinture des reflets : Manet y combine plusieurs facte urs, éloig neme nt relatif des fig ures reflétées, fumée de tabac qui trouble l'atmosphère, blan c du gaz.

En outre, si l'œ il humain perçoit nettement les détails du premier plan, il ne peut, logiquement, enregis­ trer en même temps avec autant de précision ceux du second plan.

Le brouillage des visages et des costumes correspond ainsi à une vérité, celle de la sensation elle-même.

En cela Manet est plus le contempo rain de Seurat, alo r s pas­ sio nné par ses étud es d e l'optiqu e, que celui de Monet et de Pissa rro, an al ystes moins précis.

Le Bar des Folies-Bergère annonce l'ex périmenta­ tion savante de la Parade de cirque et du Chahut , peints par Seurat quelques années plus tard.

Par ses •simplifications•, Manet atteint à une justesse nouvelle de la représentation .. »

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