LES SHAPED CANVAS DE STELLA
Publié le 03/10/2018
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Loin de toute émotion C'est d'un artiste de 24 ans que vient le renouveau. Il se nomme Frank Stella. En 1960, il montre ses premiers travaux dans une exposition de groupe intitulée «Seize Américains-, au musée d'Art moderne de New York. Ce sont des arrangements géométriques de lignes sur des surfaces monochromes : ils remportent de la part de la critique un accueil totalement négatif, au point qu'un journaliste traite le jeune homme de délinquant juvénile. Les toiles scandalisent non par leur nouveauté, mais par leur apparent archaïsme : alors que, depuis quinze ans, chaque peintre s'attache à laisser transparaître l'intensité du geste ou de l'émotion, alors que les œuvres sont faites de formes accidentelles, de pâte brute et d'éclaboussures, les peintures de Stella marquent le primat d'un dessin géométrique et lisse, entièrement inexpressif. Elles semblent renouer avec l'abstraction géométrique d'avant la Seconde Guerre mondiale. Or, loin de se laisser rebuter par la critique, Stella persévère. D'autres artistes, jasper Johns, Ed Reinhardt, ont réalisé dans les années 50 des tableaux où la géométrie tient une place importante : ainsi les Drapeaux (Flags) ou les Cibles (Targets} du premier, les grandes toiles dans une même nuance de couleur, comme Abstrait rouge (Red Abstract} du second. Mais dans ces œuvres demeurent un travail de la peinture, une touche
«
Le minimalisme, ou la mort de la peinture
Si la critique reste longtemps réser vée, dès ses prem ières expositions, Stella attire l'attention de quelques artistes.
La peinture , avec lui, semble menée à ses limites.
Les ressources de la surface picturale explorées à fond, il
faut passe r à la création de volume s.
Or, si Stella envisage l'œ uvre peinte dans
ses trois dimensions, il reste un peintre et s'inte rdit de de ven ir un créateur
d'objet s.
L' art conventionnellement appelé «minimal iste ..
lève cet inter dit.
«Installations .» Des assemblage s de volum es accomplis sent selon leurs auteurs ce que prépare Stella.
Auss i
n'est-ce plus de la peinture sans être pour
a utant de la sculpture.
Donald Judd (né
en 1926 ) défin it ainsi l'objet qu'il crée : «Il
ressemble davantage à de la sculpture mais il est plus proche de la peinture ...
Cette proxim ité est renforcée par un accrochage mural , dans le cas de Judd et
ou dans celui des in stallation s de néons
d 'un autre artiste associé aux origines du
minimalisme, Dan Flavin (né en 1933 ).
Et, lo rsqu e les objets sont posés sur le sol
Loin de toute émotion
C'est d'un artiste de 24 ans que vient le renou
veau.
Il se nomme Frank Stella.
En 1960 , il
montre ses premiers travaux dans une exposi
tion de groupe intitulée «Seize Américains -, au
musée d'Art moderne de New York.
Ce sont
des arrangements géométriques de lignes sur
des surfaces monochromes : ils remportent de
la part de la critique un accueil totalement
négatif, au point qu'un journaliste traite le jeune
homme de •délinquant juvénile •.
Les toiles scandalisent non par leur nou
veauté, mais par leur apparent archaïsme :
alors que , depuis quinze ans, chaque peintre
s'attache à laisser transparaître l'intensité du
geste ou de l'émotion, alors que les œuvres
sont
faites de formes accidentelles, de pâte
brute
et d'éclaboussures , les peintures de
Stella marquent le primat d' un dessin géomé
trique et lisse, entièrement inexpressif.
Elles
semblent renouer avec l'abstraction géomé
trique d'avant la Seconde Guerre mondiale.
Or, loin de se laisser rebuter par la critique,
Stella persévère.
D'autres artistes, jasper Johns,
Ed Reinhard t, ont réalisé dans les années 50 des
tableaux où la géométrie tient une place impor
tante : ainsi les Drapeaux (Flags) ou les Cibles
(Targets} du premier , les grandes toiles dans une
même nuance de couleur , comme Abstrait rouge
(Red Abstract} du second.
Mais dans ces œuvres
demeurent un travail de la peinture , une touche
- chez Robert Morris (né en 1931) et Ca rl Andre (né en 1935) -.
c'es t souv ent
pour jouer avec la surface de la dall e.
Désacraliser l'art .
Au refus de Stella de donner l'impre ssion qu'il «co mpose » sa toile correspond le souci min imaliste
de ne pas assembler les divers volumes comme les parties d'un tout.
Les mini malistes partagent aussi le dési r de banali ser le moment de la créa tion.
Carl
Andre et Flavin utilisent des matériaux achetés dans le commerce, Judd fait
usiner ses volumes dans des ateliers de
mécanique .
En tre peinture et sculpture .
D'acco rd sur ces principe s, les minima listes sont pourtant partagés.
Si l'objet
minima l n'es t ni peinture ni sculpture, chaque artiste se sent plus proche de l'un de ces deux pôles.
Ain si, la colora tion des volumes de Judd indique qu'il se sent d'abord peintre .
Et , s i Morris la refu se, c'est que ses œuv res vien nent
davantage de la scul ptur e - celle d e
Bra ncusi, notamment, dont il a étudié l'élim inatio n du socle.
qui réintroduisent subrepticement la chaleur
d'une présence humaine.
Les tableaux de Stella
associent au contraire une froideur absolue de
facture à la rigueur des formes géométriques.
Après l' exposition des Seize Américains ,
Stella se met à travailler avec de la peinture à
l 'aluminium , puis avec
de la peinture au
cuivre, qui interdisent tout effet d'empâte
ment.
Sa création picturale s'en trouve déshu
manisée , elle devient une production.
Stella
affirme alors rêver de n'avoir qu'à formuler
des idées qui seraient réalisées sans son inter
vention par des machines.
Il trace pour la
même raison, à la règle, les lignes et les
bandes qui remplissent ses tableaux ; mais il y
applique ensuite
à main levée la peinture,
parce qu'il ne veut pas sacraliser la forme géo
métrique, comme l'a fait un Mondrian.
Contre l'illusion picturale
Pour ôter à la toile la moindre fonction de
représentation , Stella annule dans ses tableaux
tout ce qui ressemblerait à la trace d'une réalité
extérieure sur une surface plane.
Les titres de
ses œuvres, au début des années 1960, font
souvent référence à des Espagnols ou à des
Arabes (le Marquis de Portago , Averro ès,
Dominguin).
Ils laissent attendre un portrait et
renforcent, par défaut ,
le sentiment de leur
inexpressivité.
La répétition du thème unique
des bandes n'a pas d'autre nécessité : elle rompt
avec l'illusion qui consiste à représenter sur une
San s titre,
Donald ]11dd , 1973 , acier inox y dabl e et Plexiglas ro u g e
(Pari s, mus ée nati o nal d'Art
mod erne).
surface à deux dimensions un mande à trois
dimensions.
Aussi Stella peut-il dire : «Ce que
vous voy ez est ce que vous voyez. •
Au milieu des années 1960 , pour ôter tout
r i
sque d'une lecture illusionniste de l' œuvre ,
Stella réalise des compositions complexes , où
le châssis lui-même dessine des formes géo
métriques.
On donne aux toiles de cette série
le nom de Shaped Canvas (•toiles formées• ),
car la surface paraît résu lter de la forme totale
de l'objet.
Les bandes qui couvrent ces toiles
sont séparées les unes des autres, non par des
lignes de peinture, mais par des évidements
du support ou par des lacunes de la couche
peinte qui laissent voir la toile à nu.
Ces
découpes sont la vraie singularité des œuvres
de Stella pendant cette période.
Elles interdi
sent de voir dans la surface des toiles l'image
de quelque chose existant par ailleurs, mais
elles créent un objet total , formé par la struc
ture de l' œuvre, formée de la toile et du châs
sis.
Cette sensation est renforcée dans la plu
part des œuvres du fait que la largeur des
bandes est presque égale à l'épaisseu r du
châssis.
Il en résulte que le spectateur n'est
plus confronté à une surface donnant l'illusion
d'un
volume , mais à une forme qui est réelle
ment un volume.
Cette impression d'une peinture qui vaut
comme
une forme résulte de b ien d'autres
éléments.
La grandeur des formats permet
aux toiles d'occuper toute la vision .
Elle leur
évite d'apparaître d 'abord comme posées sur
un mur et empêche le spectateur de les regar
der , comme il en a l'habitude , comme des sur
faces.
Cette grandeu r du format est le seul
héritage que Stella doit à l'expressionisme
abstrait..
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