Les nabis (Exposé – Art & Littérature – Collège/Lycée)
Publié le 15/11/2018
Extrait du document
LE JAPONISME
La vogue des estampes japonaises commence en France dès les années 1870, soutenue notamment par des écrivains comme les Goncourt. Hokusai (1760-1849), qui signe parfois «le fou de dessin», est le représentant le plus connu de cet art qui fascine les artistes et les écrivains occidentaux (ici, La Mer, 1905). C'est de l'esthétique des estampes qu'Émile Bernard tire sa technique du cloisonné, c'est-à-dire d'un tableau où les formes sont cernées de contours noirs, comme dans une gravure. Outre cette technique, les motifs japonais (scènes de la vie quotidienne, mer, fleurs) ont influencé les peintres occidentaux, au point que sous le nom de japonisme on évoque aussi bien la passion des amateurs d'art japonais que les œuvres inspirées de cette esthétique. Le surnom de Bonnard ne trompe pas : il est le «nabi très japonard»!
LOIN DE L'ANECDOTE
Un nom étrange et coloré, pour une école picturale à l'importance décisive : c’est entre 1888 et 1899, date de leur dernière exposition collective, que les nabis révolutionnent la peinture, ouvrant la voie aux fauves et aux cubistes. C’est au poète Robert Cazalis qu'ils doivent leur nom - qui en hébreu signifie «prophète» -, comme pour attester leur vocation à inventer l'avenir. Sans doute, le choix de ce nom renvoie davantage pour eux à la recherche d'une peinture spirituelle, loin du réalisme et de l'impressionnisme qui dominent alors le paysage artistique. Mais, dans cette quête de spiritualité, les nabis vont rencontrer les principes de l'art moderne, déconnectant définitivement le tableau de ce que les critiques appellent désormais l'«anecdote», formule empruntée à leur théoricien Maurice Denis
(Portrait de famille, 1902). Avec le maître Gauguin et ses disciples
Vuillard, Bonnard et Sérusier, la peinture moderne commence à s'émanciper de la plus vieille des conventions : l'imitation.
LA LEÇON DE GAUGUIN
Tout commence par une rencontre. En 1888, le jeune Paul Sérusier,
de l'académie Julian, passe ses vacances dans le village breton de Pont-Aven et y peint Mélancolie (1891). Un peintre alors inconnu que les gens du pays appellent «le Sauvage» y séjourne. C'est Paul
Gauguin (Autoportrait, 1888). Il n'a pas reçu la formation classique des peintres de l'époque et professe d'étranges préceptes, qui sont pour Sérusier une véritable révélation. Maurice Denis, son condisciple chez Julian, évoquera plus tard la révélation que furent les propos de Gauguin sur la Madeleine au bois d'amour, 1888, d'Émile Bernard : «Comment voyez-vous cet arbre, avait dit Gauguin devant un coin du Bois d'amour : il est bien vert? Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette; et cette ombre, plutôt bleue? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible. »
Cet usage de la couleur pure, appliquée en aplats, presque sans nuance ni dégradé, est une révolution : loin, très loin de tout «réalisme», les toiles ainsi composées apparaissent comme des symphonies de couleurs. Il faut bien comprendre que si, pour nous, dont le regard a été éduqué par un grand siècle d'art moderne, les toiles de Gauguin peuvent sembler plutôt réalistes, en revanche, pour ses contemporains elles sont quasi inintelligibles. Ils y reconnaissent à peine les formes représentées, et l'emploi des couleurs les désoriente à un tel point qu'ils le ressentent comme violent Les fauves, quinze ans plus tard, conduiront cette logique à son paroxysme, ce qui fera pousser des cris aux spectateurs et vaudra à la nouvelle école son étonnant nom de guerre. De Gauguin, le critique Félix Fénéon dit déjà qu'il «terrorise la réalité » !
LE RÉEL ET L'IDÉAL
Pour le maître et ses jeunes disciples, cependant, il s'agit moins de surprendre le spectateur que de lui faire perdre ses repères. Une toile de Gauguin de 1888 est à cet égard emblématique : La Vision après le sermon (également connue sous le titre : La Lutte de Jacob avec l'ange).
On y voit des paysannes bretonnes et une scène fantastique, l'ensemble traité comme s'il s'agissait d'un seul univers. En mêlant des éléments réels et une vision, Gauguin fait de son tableau un troisième univers, qui n'est ni réalité ni vision, mais un monde à part II parle de «synthétisme».
À vrai dire, cette promotion du rêve est dans l'air du temps : l'école littéraire et artistique du symbolisme, dont les jeunes nabis se sentent proches, en a fait son principe
«
L'ÉCOLE
DE PONT-AVEN
Si le nom de cette école est encore
connu du grand public, les peintres qui
se sont regroupés autour de Gauguin
sont aujourd'hui tombés dans une
certaine obscurité, à l'exception sans
doute d'É m ile Beraanl- mais celui-ci
s'est davantage rattaché aux nabis.
Pont-Aven, ce sont les années 1880, la
Bretagne et ses motifs (coiffes
folkloriques, scènes rurales, couleurs
fraîches) (ici, Les Lt11111IHIIèl'fiS ,;
l'otlt·A'RII, 1887, de Gauguin).
Quant
aux artistes, dont les œuvres sont
notamment présentées au musée de
Quimper eL à Paris, au musée d'Orsay,
on pourrait citer Charles uval (&
11H1111t 1111 -relié.
lkrtllfH, 1888),
Henri de CIIMialllanl, Maxi
Maufra.
Hetlry Moret.
É ..
le
Jourdan, Cuno A•iet.
les nabis Émile
Bernard et Paul Sérusier sont des
transfuges de l'école de Pont-Aven.
est
absente des toiles de Bonnard, par
exemple.
C'est d'ailleurs sur ce
désaccord que le groupe finit par
éclater à la fin des années 1890, chacun
de ses membres ayant trouvé dans
cette aventure collective une ressource
décisive pour explorer, désormais,
sa propre voie.
GRANDS ET PETITS MAITRE$
PAUL CiAUGUIN (1848·1903)
En rupture de ban avec son milieu
bourgeois, le petit-fils de la féministe
Flora Tristan est une manière
d'autodidacte, dont la forte
personnalité n'a pas été bridée par les
leçons et les conventions académiques.
Il se reconnaît un temps dans
l'impressionnisme, mais s'éloigne de
Paris dès les années 1880.
En Bretagne
se réunissent autour de lui de jeunes
peintres, ce que l'on appelle
aujourd'hui l'école de Pont-Aven.
Scènes rurales, couleurs franches, goût
pour la religiosité naïve des Bretons
d'alors : il y a là, en germe, certains
éléments du style nabi.
Gauguin
rencontre Sérusier en 1888, et s'il
apparaît comme la principale influence
des jeunes nabis, il s'inspire aussi
de leur travail : un tableau comme
L•Jeu11e FiNe au re11ard (1891),
quelquefois appelé la Perte du
1--------------1 pucelage,
joue explicitement sur une
ordre assemblées.>> En 1895, il
ajoutera : « ...
et pour le plaisir
des yeux.»
Pour la première fois, le sujet du
tableau est donné comme quelque
chose de tout à fait secondaire, ce
qui permettra à un Malraux, quelque
soixante ans plus tard, d'affirmer
qu'avec un sujet laid on peut faire un
beau tableau.
Avant 1890, c'est une
expérience qui a été tentée par certains
peintres (Chardin et sa Raie
dépouillée, 1728), mais dont
résolument une dimension religieuse
que l'on retrouve aussi chez Denis
(Mystére catholique, 1890), mais qui dimension
onirique et symboliste qui
appartient aux nabis bien plus qu'à
l'école de Pont-Aven.
Mais Gauguin
ne fera que passer : son départ pour
Tahiti l'amène à retrouver sa voie
propre : le primitif (Femmes ,; Tahiti
ou Sur Jo plage, 1891).
ÉMILE BERNARD (1868·1941)
Sa Madeleine au bois d'amour
(1888) fournit à Gauguin le prétexte
d'une leçon de colorisme qui restera
dans les mémoires.
Cependant,
Bernard n'est pas qu'un élève: dès
1886, il invente ce que l'écrivain
Édouard Dujardin nommera le
« cloisonnisme >>, une technique inspirée
des estampes japonaises et des vitraux
consistant en aplats de couleurs aux
contours noirs.
la peinture à l'huile se
donne ainsi une ressource nouvelle.
Fortement
marqué par le style de Pont
Aven, Bernard donnera des sujets
bretons avant de céder, comme
Gauguin, à l'appel du grand large.
Il vit
en Égypte jusqu'en 1904, et lorsqu'il en
revient son art s'est assagi.
PAUL StRUSIER (1864·1927)
le «na bi à la barbe rutilante», comme
le surnomment ses amis, est un
passeur : c'est lui qui rencontre
Gauguin, et son tableau Le Talisman
est
premières
œuvres sont fortement influencées par
Gauguin et l'école de Pont-Aven :lignes
souples, formes schématiques, couleurs
vives.
Dès Mélancolie (1890), pourtant,
les couleurs se font presque sourdes :
les jaunes, les verts et les roses
s'harmonisent avec fluidité, les
contrastes s'atténuent Une toile
comme la Guirlande de roses (1898)
est un bon exemple de cette évolution,
qui se traduit aussi par une importance
de plus en plus grande donnée à la
religion.
Avant Maurice Denis, c'est
Sérusier qui tient le rôle du théoricien;
ses idées sont réunies dans l'Esthétique
de Beuron, qui témoigne en 1905 de
son virage vers un art plus spirituel.
MAURICE DENIS (1870-1943)
Presque aussi connu comme théoricien
de l'art que comme peintre, le «na bi
aux belles icônes>> (Autaportrait
1916) est très tôt attiré par les sujets
religieux, et s'il formule le premier
les principes de cette autonomie du
tableau qui ouvre la voie à l'art abstrait,
son goût particulier le porte moins vers
une modernité à tout prix que vers la
représentation de scènes spirituelles.
Il trouve d'abord cette spiritualité dans
les scènes bretonnes, avant de donner
des portraits de religieuses, des images
de la vie familiale ou le célèbre
Autoportrait devant le prieuré (1921 ),
qui est comme sa signature esthétique.
«la nature, écrit-il, j'ai voulu la copier;
Je n'arrivais pas.
Mais j'ai été content
de moi lorsque j'ai découvert que
le soleil, par exemple, ne se pouvait
pas reproduire, mais qu'il fallait
le représenter par autre chose ...
par de la couleur.>>
ÉDOUARD VUILLARD (1868·1940)
le « nabi te Zouave» partage jusqu'en
1891 un atelier avec Pierre Bonnard.
Tous deux ont le même goût marqué 1888)
se
spécialise dans les scènes intimistes et
les intérieurs bourgeois (Le Rideau
jaune, 1893).
Ses scènes extérieures
sont des paysages, des parcs, qu'il
travaille en plein air mais aussi à partir
de photographies.
Ses jardins (le Jardin
de Vaucresson, 1923) sont aussi denses
que ses nombreux intérieurs, et ses
couleurs chaudes, au chromatisme
délicat, donnent à ses toiles une
présence extraordinaire.
De la période
nabi, il retient surtout une libération
des couleurs, mais il reste très fidèle au
sujet, à une réalité dont il tente de
capter la vibration charnelle tout autant
que la spiritualité.
PIERRE BONNARD
(1867-1947)
le «na bi très japonard >> ne se
cantonnera pas longtemps à l'influence
nippone, pas plus qu'à celle de
Gauguin.
De la même façon, les aplats
de couleur pure qui définissent au
départ le style nabi ne sont pour lui,
comme pour son camarade d'atelier
Vuillard, qu'une façon de se libérer.
Il évolue très vite vers un style très
personnel, renouant avec l'héritage
impressionniste pour traiter les sujets
les plus sensuels : nus, baigneuses,
fenêtres ouvertes sur des jardins
méditerranéens (Nu gris de profil,
1936).
De sa période nabi, on retiendra
l'Indolente (1899), l'un des premiers
nus, ou encore Sous la lampe (1899).
Bonnard (Autoportrai( 19838) est
ftLIX·ÉDOUARD VALLOnON (1865·1925)
Membre de l'académie Jullian, c'est
assez tardivement que le «na bi
étranger>> (il est suisse) se lie au
groupe, dont il apprécie le goût pour
une certaine naïveté.
Comme Bonnard,
il s'intéresse de près aux arts décoratifs
et donnera notamment des gravures
qui connaîtront un grand succès.
Mais
Vallotton ne se retrouve ni dans
l'exploration chromatique ni dans la
quête de spiritualité qui sont les deux
dimensions majeures du mouvemenL
et il reprendra vite sa liberté (Misia et sa
coiffeuse, 1898).
De sa période
nabi, on retient généralement le
scandaleux Bain un soir d'été (1893),
qui traite à la manière de Gauguin
un suje t érotique.
PAUL llANSON (1861-1909)
Dans son atelier (surnommé le
«temple»), ce transfuge de Pont-Aven
est au centre du mouvement.
Il est
toutefois rapidement éclipsé par ses
camarades, et son goût décidé pour
les arts décoratifs contribue à en faire
un pein tre mineur.
Surnommé le « nabi
plus japonard que le na bi japonard »,
il a au sein du groupe une image
contradictoire : des œuvres presque
ésotériques comme le Paysage
nabique (1890) ou Christ et Bouddha
(1890) voisinent avec des choix
délibérément na·1ls, comme l'art de
la marionnette ou la tapisserie.
KER·XAVlER ROUSSEL (1867·1944)
S'il reste sans conteste l'un des peintres
les moins connus du groupe, Roussel
est pourtant l'un des membres
fondateurs qui se réunissent dans
1 de
marqué par le
groupe des
nabis, qui lui
permet, en
pleine vague
symboliste,
de retrouver
la voie d'une
représentation
plus charnelle.
le corps
féminin, dès
1894, apparaît
accomplissement dans le passage de
deux à trois dimensions (Femme
debout se coiffa11( 1898)..
»
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