Art et tatouage Estelle Bergenhouse Elève en troisième année de bachelier en histoire de l'art et archéologie Année Académique 2013-2014 Promoteur : Madame Julie Bawin Table des matières Introduction ....................................................................................................................... 4 I. Présentation générale de l'artiste ............................................................................... 6 II. Genèse du projet autour du cochon ........................................................................... 9 II.1. Art Farm ........................................................................................................... 11 II.2. Le devenir-cochon ............................................................................................ 13 III. Exposition et diffusion ......................................................................................... 15 IV. Les expansions ..................................................................................................... 18 IV.1. Tim ............................................................................................................... 18 IV.2. Tapisdermie .................................................................................................. 20 IV.3. Marble Floor ................................................................................................. 20 IV.4. Le projet Laika ............................................................................................. 21 IV.5. Radiographie................................................................................................. 22 Conclusion ...................................................................................................................... 24 Bibliographie .................................................................................................................. 25 Catalogues d'exposition .............................................................................................. 25 Articles de presse ........................................................................................................ 25 Articles en ligne .......................................................................................................... 26 Vidéos en ligne ........................................................................................................... 26 Annexes .......................................................................................................................... 27 Catalogue d'illustrations ............................................................................................. 27 3 Introduction « Sur le trône le plus élevé du monde, on n'est jamais assis que sur son cul » disait Montaigne1, ce qui condense bien la pensée de Wim Delvoye. Au travers de ses oeuvres, on peut ressentir son besoin de mettre le monde sur le même pied d'égalité. Notamment, avec son oeuvre Cloaca, reproduisant le système digestif. Il démontre à quel point tous les animaux sont semblables malgré ce que l'être humain aimerait croire. Peu importe oh combien l'Homme tente d'assimiler ou de se distinguer, il finit toujours par déféquer le même produit que n'importe quel animal de ce monde. Le cochon, considérablement présent dans les oeuvres de Wim Delvoye, que ce soit sur des vitraux ou tatoués, est justement là pour nous rappeler que cet être régulièrement mis à mal n'est pas si différent de nous qu'il n'y parait. Ce qui intéresse Wim Delvoye, c'est de côtoyer les limites de l'art, il reste inlassablement sur le fil du rasoir, en essayant de les repousser toujours un peu plus loin. C'est ce qu'on va découvrir ici avec son projet autour des cochons tatoués. Tout comme Félicien Rops avec son oeuvre Pornokratès (fig. 1), Wim Delvoye veut surprendre et provoquer en plaçant au centre de son oeuvre le cochon, bien que le propos soit différent. Autant Félicien Rops était captivé par l'érotisme, autant Delvoye désire dénaturer l'aspect vulgaire attribué au cochon2. Considéré comme une aberration dans ce monde, il est régulièrement associé à des adjectifs négatifs, tels que : souillé, sale, répugnant, etc. C'est cet animal, que la société actuelle emploie exagérément comme produit de consommation, que Wim Delvoye, va rehausser au rang d'oeuvre d'art. Selon la légende, le cochon étant arrivé trop tard lors de la distribution des parures, le Créateur avait d'ores et déjà distribué toutes les fourrures et tous les plumages disponibles. Alors il dût laisser les suidés à nu, avec comme compensation, une petite queue en tire-bouchon. Ceci est encore une façon de montrer à quel point le porc est considéré comme un animal ingrat. Malgré cela, sa peau rose considérée d'une nudité obscène3 ne devrait-elle pas, plus que n'importe quel autre animal, faire penser à l'être humain ? Sa chair n'est-elle pas tout aussi nue que celle du cochon ? L'Homme en vain, passe son temps à se couvrir et se pavaner avec des fioritures les plus diverses, dont le 1 MONTAIGNE, Les Essais, Livre III. DEVAUX, A., Wim Delvoye au Louvre [en ligne], 09 septembre 2012 [référence du 23 avril 2014], disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=TRVzxoC1MDI. 3 SANS, J., VERSCHAFFEL, B., LORENT, C., Knockin' on heaven's door, Bruxelles, 2010, p. 52. 2 4 tatouage utilisé comme décoration. C'est pourquoi l'artiste a décidé de réaliser ses projets sur des cochons. Wim Delvoye accorde une grande importance aux arts décoratifs, souvent considérés comme inférieurs. Il leur attribue une signification comme ici avec ces cochons qui seront ornés. Il aime les associations improbables telles l'art populaire avec l'art ancien, des goals de football avec de l'art gothique, etc. En associant cochons et ornementation, que voudrait-il nous transmettre ? Wim Delvoye a dit « Le seul portrait d'être humain que je sais faire, c'est Cloaca »4. Quelle belle introduction pour présenter le coté légèrement décalé de l'art de Wim Delvoye. Il critique la société, mais toujours avec humour et sans leurre. Il expose ses oeuvres, et chacun l'interprète comme il le souhaite, en âme et conscience. Il aime faire les choses différemment. Mais à notre époque, où l'on considère que dans l'art, tout a été fait, comment être encore original ? Wim Delvoye le démontre explicitement avec ces cochons tatoués. 4 BRUNO, C., Entretien avec Wim Delvoye, dans Psychanalyse, n° 29, janvier 2014, p. 119. 5 I. Présentation générale de l'artiste On ne peut aborder l'univers d'un artiste, sans l'introduire lui-même. Wim Delvoye est un artiste postmoderne flamand, né en 1965 à Wervik. Il rentre en 1980 à l'École des arts plastiques de Courtrai5. Cette date correspond également au commencement de sa carrière artistique, bien que ce ne soient pas les cours qui lui aient donné l'envie de devenir artiste. Quand il rentre à l'Académie des Beaux-Arts de Gand, il est rapidement découragé par ses professeurs qui le sollicitent à peindre à la manière d'autres artistes, avec un style qui ne lui est pas propre, laissant son esprit débordant d'imagination qui ne demandait qu'à s'épanouir insatisfait6. Il veut être innovant et faire des oeuvres qui détonnent. On s'est souvent hasardé à le comparer aux artistes belges minimalistes, mais ceux qui se sont risqués à mesurer l'artiste à Magritte ou Broodthaers s'y sont brulé les ailes. En effet les premières influences de l'artiste sont loin d'être habituelles. Il y a bien sûr Rubens, pour son art baroque ancien. Mais surtout Walt Disney, en particulier dans « Les 101 dalmatiens »7. Ce qui, d'une certaine façon, nous confirme le lien étroit qu'entretient l'artiste avec les animaux mais aussi avec l'art populaire. Bien qu'il soit à priori difficile de trouver une quelconque similitude entre ces deux artistes, l'art de Delvoye se trouve en être un parfait mélange. Tout son art est une association de codes différents. Il mélange et rassemble les époques, les genres, les univers, des styles éloignés pour en faire une oeuvre homogène. Ce sont des unions improbables. Il ne fait pas de la peinture, car c'est une fin en soi. Il préfère la décoration, qui ne fait que modifier quelque chose qui existe déjà par elle-même. Il va ainsi bouleverser la perception qu'on a de cette chose. Les objets de référence utilisés par Delvoye sont généralement des objets de notre quotidien agrémentés d'ornementation, comme par exemple des porcs tatoués ou encore des goals dont les filets sont des vitraux (fig. 2). Wim Delvoye dira qu'il cherche « la juste émulsion »8. Ce n'est pas un simple collage, c'est combiner deux choses, qui ensemble, forment une nouvelle entité ayant acquis son autonomie. Comme Deleuze9 a 5 DANNATT, A., MARCADE, B., SNAUWAERT, D., VERSCHAFFEL, B., Wim Delvoye : Introspective, Bruxelles, 2012, p. 18. 6 DANNATT, A., MARCADE, B., SNAUWAERT, D., VERSCHAFFEL, B., op. cit., p. 20. 7 DANNATT, A., MARCADE, B., SNAUWAERT, D., VERSCHAFFEL, B., op. cit., p. 16. 8 STERCKX Pierre, Les émulsions gothiques de Wim Delvoye, dans Chimères, n° 73, février 2010, p. 148. 9 Gilles Deleuze est un philosophe français. Il a écrit de nombreux ouvrages philosophiques très influents, comme Mille Plateaux. 6 dit, il faut agencer les éléments pour les faire fonctionner ensemble, bien qu'ils soient toujours dissociables. Heureux hasard justement, que les initiales de notre artiste soient les mêmes que Walt Disney. Si bien, que, Wim Delvoye put aisément détourner la signature de Walter Disney avec le célèbre château de ses dessins-animés pour en faire le logo de son entreprise10 (fig. 3). Car en effet, Wim Delvoye est un artiste, mais c'est aussi une marque de fabrique. Selon lui, son rôle n'est pas d'être un artiste à part entière mais surtout d'être un chef d'entreprise. Il est loin de l'image que l'on a de l'artiste solitaire ; aussi collaboret-il avec des artisans, des architectes ou encore des avocats pour gérer ses oeuvres. Une équipe de techniciens et de spécialistes l'assiste toujours aussi bien pour la mise en place des installations que pour expérimenter ses oeuvres11. En faisant de son nom une marque, il veut que ses oeuvres deviennent des icônes, comme cela a pu être le cas pour le Manneken-Pis par exemple dont peu de personnes connaissent le sculpteur, mais dont tout le monde connait l'oeuvre12. « L'oeuvre de Delvoye est riche en images de marque de toutes sortes, qui se déclinent sur tous les supports de communication et produits dérivés de son entreprise » a dit Bernard Marcadé13. Wim Delvoye est un artiste qui assume ses contradictions. Dans certaines de ses oeuvres il critique cette société de consommation, et dans un même temps il confère un certain fétichisme à des objets qui en découlent. Dans le projet des cochons tatoués ; sa ferme, créée en Chine devient une véritable entreprise dont son nom sera la marque de fabrique (cfr infra). Wim Delvoye développe un rapport particulier avec l'être humain et tout ce qui est vivant d'ailleurs. La plupart de ses travaux, exception faites des constructions gothiques, sont centrés sur les animaux, ou bien sur l'Homme. Wim Delvoye a chamboulé le monde de l'art avec des oeuvres telles que Cloaca, qui reproduit l'organe de digestion et de défécation. On retrouve ainsi dans un musée une machine qui produit des excréments que le public vient admirer. Nul ne peut nier que les oeuvres de Wim Delvoye sont en contradiction avec les institutions muséales, si bien que leur présence dans les musées suscite des 10 SANS, J., VERSCHAFFEL, B., LORENT, Claude, op. cit., p. 14. SANS, J., VERSCHAFFEL, B., LORENT, Claude, op. cit., p. 45. 12 BRUNO, C., ...
