Les arts décoratifs de 1920 à 1929 : Histoire
Publié le 01/01/2019
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Formes et fonctions
Dans le domaine des arts décoratifs, du mobilier et de l’aménagement intérieur, les années vingt se situent à la croisée des chemins. D'un côté, une manifestation parisienne prestigieuse. Imposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 se présente comme une fête digne, par son gigantisme, des grandes expositions universelles du siècle dernier; cette opulente vitrine du Paris d'après-guerre est parfaitement représentative de l’esprit des Années folles et donne le ton et la couleur de l’époque en France : luxe, frivolité et euphorie d’une prospérité retrouvée. Cette exposition donne son nom à un style, l’« Art déco», qui se prétend alors moderne par une géométrisation sophistiquée des formes, en contraste avec l'efflorescence ornementale de l’« Art nouveau», mais qui se situe, en fait, dans la lignée des grands styles historiques (recours à l'artisanat, goût des matières précieuses, valorisation de la pièce unique) et ignore les grandes questions débattues par les pionniers de la modernité : la fonction sociale et utilitaire des objets, l’influence du machinisme et de la production industrielle en série sur la création des formes (standardisation). Ces problèmes sont pris en charge par les tenants du «mouvement moderne» qui, dans les années vingt, compte, pour l’essentiel, quatre composantes : le «Stijl» néerlandais, la revue l’Esprit nouveau animée par Le Corbusier, le constructivisme russe et, en Allemagne, l’école du Bauhaus, carrefour de toutes les avant-gardes. Ces mouvements posent le principe selon lequel la forme de l’objet se doit d'en exprimer la fonction ; de cette idée simple (fonctionnalisme), les créateurs modernes feront une arme de combat contre «l'art pour l’art» et l’esthétisme de l’ornement plaqué sur la structure et donneront ainsi naissance à un «style international» du mobilier moderne, parallèle au style international en architecture.
Précurseurs et influences
Dès la seconde moitié du xixc siècle s'étaient manifestées des tentatives de rénovation du décor de la vie, en réaction contre les styles historicistes et éclectiques de l’époque, lourds pastiches d’un passé révolu. En 1861, à Londres, le décorateur William Morris fondait la Morris Company avec l’intention de redonner vie à l'artisanat d’art dans l’esprit des corporations médiévales; Morris, pourtant auteur d'un ouvrage intitulé les Arts décoratifs, leur relation avec la vie moderne, refusait de faire appel à la machine et il se consacra à la fabrication manuelle d’objets coûteux ; d’où l'échec social malgré les
intentions proclamées d'un «art pour le peuple». De ce point de vue, l'Art nouveau, autour de 1900, puis, dans les années vingt, l’Art déco se heurteront aux mêmes écueils avec leurs objets de luxe réservés à une clientèle fortunée.
Sur le plan des formes, d’autré part, l’époque 1900 ne se résume pas à l’emphase décorative et au style floral qui ont rendu célèbre l’Art nouveau français ou belge. Frank Lloyd Wright aux États-Unis, l’école de Glasgow (Charles Rennie Mackintosh) et l'école viennoise manifestent, au contraire, un goût prononcé pour l'angle droit, les lignes géométriques et les formes dépouillées, qui annonce l’Art déco. Fondés en 1903 par Josef Hoffmann et Koloman Moser, les Wiener Werkstâtte (Ateliers viennois) exécutent des objets et des équipements mobiliers à la fois simples et raffinés qui sont de véritables précurseurs du style de l'Exposition de 1925. Mais il s'agit encore d'un art de luxe, d’une élégance un peu maniérée, éloigné du monde industriel.
En 1908, Adolf Loos condamnait violemment les tendances esthétisantes de l’école viennoise dans un pamphlet intitulé Ornement et Crime dont les idées puristes trouveront plus tard leur écho chez Le Corbusier vitupérant contre l’Art déco. Dans cet esprit, l’architecte allemand Hermann Muthesius avait fondé, en 1907, l’association du Deutscher Werkbund afin de rapprocher les industriels et les artistes, ambition alors quasi révolutionnaire; il ne s'agissait pas seulement de renouveler le répertoire des formes du mobilier, mais de changer l’état d'esprit des créateurs, de dissoudre les barrières entre beaux-arts et arts décoratifs pour expérimenter un style moderne intégrant tous les arts et prenant en compte les mutations sociales, économiques et technologiques : c'était déjà le programme du Bauhaus. Le triomphe de la machine impliquait, en effet, des changements radicaux dans la conception des objets quotidiens qui, afin d’être aptes à la production en série, devaient répondre à des exigences rationnelles et fonctionnelles; une nouvelle civilisation commençait, ce qu'avaient bien vu les futuristes qui vouaient un véritable culte à la machine.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’influence qu’a eue, sur ce qu'on n’appelait pas encore le design, l'approche purement plasticienne des peintres. La révolution de la vision opérée par le cubisme n’est pas étrangère à ce goût pour la géométrisation des formes qu’on observe alors, quoique dans un esprit différent, aussi bien chez les créateurs de l’Art déco que chez les adeptes du fonctionnalisme.
Les ambiguïtés de lart déco
Organisée sur une idée lancée, dès 1909, par la Société des artistes décorateurs, ajournée à plusieurs reprises du fait de la guerre, l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes ouvre ses portes à Paris le 28 avril 1925. Elle occupe un vaste périmètre sur les
«
OBJETS:
FORMES ET FONCTIONS.
Le fonctionnalisme
propose une rationalité née d'une société industrielle qui éroit à
la machine.
Ci-dessus: le pavillon de l'E spri t nouveau conçu par
Le Corbusier pour l'Exposition de 1925.
©UCAD
rives de la Seine de part et d'autre du pont Alexandre-III : Grand et
Petit Palais et leurs alentours d'un côté, esplanade des Invalides de
l'autre.
Trompe-l'œil et tape-à-l'œil sont les ingrédients de cette im·
mense foire : une manifestation de cette importance, qui voulait ex·
primer les créations de son époque, se contente, en effet, dans la
majorité des cas, de juxtaposer des pavillons en plâtre d'un pseudo·
classicisme suranné et pompeux mais tenu par certains pour le nec
plus ultra de la «tradition de qualité française>>; certes, une certaine
stylisation géométrique tient lieu d'alibi moderniste mais à condition
qu'elle ne soit pas trop radicale.
C'est pourquoi les organisateurs
ignorent des foyers de créat1on aussi importants que le Stijl néerlan·
dais ou le Bauhaus, qui ne sont pas invités.
Seules deux enclaves
isolées, et violemment controversées, représentent vraiment la mo·
dernité : le pavillon de l'Esprit nouveau conçu par Le Corbusier et
celui de l'URSS élaboré sous la direction de l'architecte Konstantin
Melnikov.
Ce sont d'exemplaires réussites au sein d'une manifestation
qui est essentiellement une vitrine prestigieuse pour un art de luxe
patronné par les célébrités les plus en vue qui jouent le rôle de mé
cènes tels les couturiers Paul Poiret et Jeanne Lanvin.
Cette tendance
somptuaire est l'expression du goût d'une époque de prospérité où
richesse et snobisme tiennent le haut du pavé.
I.:Exposition de 1925 n'est donc le reflet que d'une seule
tendance de l'art contemporain, la tendance traditionaliste, qui pré
sente, certes, des formes nouvelles et souvent géométriques mais dans
la continuité des styles néo-classique et Charles X, sans prendre en
considération les problèmes qui préoccupent les créateurs les plus
novateurs et les plus engagés.
Baptisé d'après le nom de l'Exposition,
le style Art déco se développe à partir de 1920; certains de ses créa·
t�urs se sont déjà manifestés dès l'avant-guerre, tel l'ébéniste Jacques
Emile Ruhlmann, figure de proue de l'Art déco.
Sa maîtrise (pieds
graciles supportant un corps massif), la pureté des galbes, la finesse
racée des lignes de ses meubles le situent dans la grande tradition des
ébénistes français du xvnf siècle; son individualisme (la pièce unique
comme reflet de la personnalité du créateur), son goût des matières
précieuses, son aversion pour l'industrie en font un artiste parfaite·
ment représentatif de l'Art déco.
Ce style est au service d'un art de
vivre élitiste, symbolisé par la place capitale accordée à l'artisanat et
aux industries de luxe qui connaissent une floraison particulièrement
brillante : laque (Jean Dunand), orfèvrerie (Jean Puiforcat), bijoux
(Jean Fouquet, Gérard Sandoz, Raymond Templier), émail (Jean
Goulden), verrerie (Maurice Marinot, René Lalique, Paul Daum),
tapis {Ivan Da Silva Bruhns), ferronnerie (Edgar Brandt} ...
Alors
qu'une des conquêtes de la modernité était de confier à l'architecte la
responsabilité de l'aménagement intérieur, conçu en termes d'espace
et de volumes, l'Art déco s'en tient à l'addition typiquement française
d'éléments décoratifs juxtaposés par !' dont le rôle se OBJETS:
FORMES ET FONCTIONS.
I.:architecte Mies Van der Rohe réalise la
première chaise en porte à faux.
© Musée des Arts décoratif< .
Paris OBJETS: FORMES
ET FONCTIONS.
Du néo·plasricisme au fonctionnalisme: le
fauteuil Ble u et Rouge de Gerrit Rietweld.
© Musée des Arts décoratifs · Paris
borne à choisir et à harmoniser meubles, tentures ct œuvres d'art
réduites, dans ce contexte, à la fonction d'objets de vitrine; d'où
d'ailleurs un remarquable développement de la petite sculpture (Gus
tave Miki os, Josef Csaky, Demetre Chi parus) où un cubisme édulcoré
s'allie à des influences exotiques (Orient, Afrique).
Ainsi, l'Art déco a
peut-être été le dernier grand style historique de la tradition occiden
tale : son insertion sociale ne diffère en rien d'essentiel de celle des
styles de cour français du xvm• siècle.
Signalons cependant qu'il existe aussi à Paris en 1925 des
créateurs qui ne sont ni traditionalistes ni strictement fonctionnalistes
et qui réalisent des meubles et des objets réellement novateurs.
Parmi
ces «insatisfaits de l'Exposition de 1925» :Jean Burkhalter qui réalise
dès 1926 des meubles en métal; Pierre Chareau célèbre pour la , il vise autant
les formes architecturales elles-mêmes que l'aménagement intérieur,
les deux constituant à ses yeux un tout indissociable.
li s'agit de
proposer une refonte complète de l'environnement à partir de critères
rationnels et mesurables où toute notion de style est niée (même si les
fonctionnalistes ne pourront empêcher que leur travail soit jugé à
partir de critères esthétiques).
C'est là un projet de société fondé sur
une fonctionnalité rigoureuse et sur une fascination pour la machine
qui est un des leitmotive des années vingt.
Ces desseins ambitieux.
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