LE SURRÉALISME de 1920 à 1929 : Histoire
Publié le 01/01/2019
Extrait du document
Sans doute faut-il un certain effort de réflexion, aujourd’hui, pour mesurer l’originalité du surréalisme naissant dans les années vingt. La pente est facile, qui consisterait à le classer parmi les autres «avant-gardes» de l’époque, quitte à lui reconnaître une fécondité plus grande et à le colorer du pittoresque des Années folles. Cet effort est payant : on voit apparaître un mouvement d’une singularité radicale. Le surréalisme s’est placé d’emblée sur un plan qui excédait la littérature, sur le plan des «idées». Si l’agitation était grande dans le tourbillon parisien qui l’entourait, on ne peut dire que les idées y prévalaient particulièrement.
En août 1920, la Nouvelle Revue française, organe officieux de ce qui s’écrit de plus nouveau et de plus «distingué» à la fois, accueille un texte de Breton, Pour Dada, auquel réplique un texte de son directeur Jacques Rivière, Reconnaissance à Dada. Le texte de Breton marque le premier effort de celui-ci pour déceler, alors que la provocation du dadaïsme atteint son point culminant (Littérature publie d'un coup vingt-trois manifestes dada dans son n° 13), ce qui de cette provocation pourrait déboucher sur «autre chose». Et c’est le mot de surréalisme qui vient sous sa plume, à propos des remarques d'Apollinaire sur l’image poétique. L’article est allusif et discret : Breton et Soupault ont tout juste publié en mai aux éditions Au Sans Pareil les Champs magnétiques, premier ouvrage surréaliste, où les traces de dadaïsme sont rares et où la dédicace (en fin d’ouvrage!) à Jacques Vaché marque un tournant.
Le texte de Rivière est d'autant plus intéressant qu’il va, de l’extérieur, dans le même sens : Rivière voit dans l’activité du dadaïsme une «expérience de la réalité psychologique absolue», et il écrit par exemple : «Le langage pour les dadas n’est plus un moyen, il est un être [...]. Même quand ils n’osent pas franchement l’avouer, les dadas continuent de tendre à ce surréalisme qui fut l’ambition d’Apollinaire. Ils pensent que l’esprit est avant tout un lieu de passage et qu’en le désencombrant avec soin, des choses (il est impossible de dire lesquelles) portées par des mots doivent spontanément le traverser, qu'aucune recherche ni aucune formule n’eussent permis de découvrir ni de fixer.» N’importe si Apollinaire, malgré son génie poétique, n’illustra le surréalisme («inventé» semble-t-il à la hâte sur la page de titre de son drame comique, les Mamelles de Tirésias) que d’exemples assez plats (la roue serait la version surréaliste de la jambe). Tout comme Breton, Rivière devine que le cercle vicieux du nihilisme dada a recouvert une inquiétude plus grande, plus profonde, qui déjà cherche à s’exprimer autrement. Cette inquiétude est celle nourrie, dès au sortir de la guerre, par Breton et ses premiers amis de Littérature : Aragon, Soupault, bientôt Éluard. (Parmi les dadaïstes, Picabia, d’une autre génération, est par moments le plus près d’eux.)
Dès mars 1921, la rupture avec Tzara se laisse lire entre les lignes du référendum fondé sur les notes du système scolaire, Tzara affublant d’un —25 Baudelaire, Sade, Hegel, au même titre que le maréchal Koch ou que Goethe, Eschyle, Rousseau (Jean-Jacques) et Rousseau (Henri). Or, même si c’est sur un mode ludique que dans Lâchez tout, qui consommera cette rupture, Breton évoque «le sommeil de Hegel sur ses lauriers», ce texte fameux de 1922 n’en contient pas moins une allusion précise et courageuse à la «précipitation de toute chose en son contraire et à la solution de tous deux en une seule catégorie, celle-ci conciliable elle-même avec le terme initial et ainsi de suite jusqu’à ce que l’esprit parvienne à l’idée absolue». Le rejet alors par Breton de la possibilité d'une idée absolue n'importe guère, c’est le plan où il situe le débat qui compte. Déjà il avait évoqué Freud et son «exploration systématique de l’inconscient» : dialectique, psycho-analyse (sic), autant de préoccupations étrangères à l’activisme négateur de dada. De sorte que lorsque Breton biffe la mention «Préface» en tête de son recueil de poèmes en prose. Poisson soluble, et intitule avec un rare bonheur Manifeste du surréalisme le texte fondateur de 1924, il entérine un état d’esprit déjà présent dans les Champs magnétiques et dans les recueils de poèmes que lui-même ou ses amis (Péret arrivé de Nantes en 1920) publient à la même époque.
«
-----------------
..
n'illustra le surréalisme (, ce texte fameux de 1922 n'en contient
pas moins une allusion précise et courageuse à la «précipitation de
toute chose en son contraire et à la solution de tous deux en une seule
catégorie, celle-ci conciliable elle-même avec le terme initial et ainsi
de suite jusqu'à ce que l'esprit parvienne à l'idée absolue>>.
Le rejet
alors par Breton de la possibilité d'une idée absolue n'importe guère,
c'est le plan où il situe le débat qui compte.
Déjà il avait évoqué Freud
et son «exploration systématique de l'inconscient» : dialectique, psy
cho-analyse (sic), autant de préoccupations étrangères à l'activisme
négateur de dada.
De sorte que lorsque Breton biffe la mention «Pré
face>> en tête de son recueil de poèmes en prose, Poisson soluble, et
intitule avec un rare bonheur Manifeste du surréalisme le texte fonda
teur de 1924, il entérine un état d'esprit déjà présent dans les Champs
magnétiques et dans les recueils de poèmes que lui-même ou ses amis
(Péret arrivé de Nantes en 1920) publient à la même époque.
On oublie trop souvent que Breton, dans le Manifeste, met
de côté avec une égale indifférence teintée de plus ou moins de sympa
thie ce qui se produit «comme art ou comme anti-art>> à l'entour du
surréalisme, affirmé dès lors comme une méthode de révélation de
l'intégralité du psychisme humain.
Dans ses textes (la Confesl·ion dé
daigneuse, Introduction au discours sur le peu de réalité), la simplicité
du ton n'est pas le moindre adjuvant de la provocation.
La barre a été
placée d'emblée très haut dans tous les domaines, très vite.
«Il faut
aboutir à une nouvelle Déclaration des droits de l'homme>> n'est pas le
slogan qu'on s'attendait à voir en tête d'une revue «littéraire» (ou
antilittéraire).
L'activité du groupe qui dès lors va animer la Révolwion
surréaliste se situe à cette hauteur.
En témoignent (pêle-mêle) l'hom
mage à Germaine Berton (l'ouvrière anarchiste qui assassina Marius
P late ·au, secrétaire général de la Ligue d'Action française, faute d'a
voir pu tuer Maurras), les allusions insistantes à la parenté du surréa
lisme avec la recherche alchimique de la pierre philosophale (allusions
qui ruinent le préjugé selon lequel le surréalisme se serait ,, après
coup>> intéressé aux «arts occultes>>) et même, sur le plan social, la
manière dont Breton découvre Lénine (à travers sa biographie par
Trotski) : Breton voit alors dans le révolutionnaire russe l'équivalent
actuel d'un symbole, non dép��$é cependant.
de$ udeux années fort
belleS>> de la Convention ( 179�-1794).
Ce qui nou� paraît chaotique à
distance dans cette recherche l'était si peu que les surréalistes furent
loin d'être les seuls à concilier (en haine de la «civilisation gréco
romaine» tenue pour responsable de 1914-1918 et du «brigandage
capitaliste>>) l'appel à un certain mysticisme oriental et l'appel à la
révolution bolchevique.
Et finalement ils semblent avoir mieux que
d'autres réussi à poursuivre leur voie propre à travers ces carrefours.
Le surréalisme à l'état natif, comme on le dirait d'un mine
rai, ce n'est rien de moins que la poésie se donnant (se prenant) pour
la clé de la destinée humaine (d'abord individuelle).
Mais il s'agit
d'une poésie elle-même parvenue à la pointe extrême de son déve
loppement historique et impliquant sinon une philosophie, du moins
la nécessité subconsciente d'une attitude philosophique.
Cette atti
tude est commandée par la révolte à la fois contre l'usage commun du
langage, poésie traditionnelle comprise, et contre les tabous auxquels
cet usage est lié (Lautréamont, Rimbaud); par la reconnaissance de
l'humour comme phase critique de ce même développement (Jarry);
par le pressentiment du lien entre écriture et sexualité, lien lui aussi
enfoui par les tabous mais que la psychanalyse revient indiquer jusque
dans la sublimation.
Cette attitude collective est, selon les individus,
fort diverse et ne prend chez aucun d'eux valeur de système.
Ses
manifestations les plus disparates traduisent ce qu'en forçant à peine
on appellera une même exigence d'absolu, à laquelle renvoient les
fameuses, presque trop fameuses enquêtes pseudo-littéraires sur des LE
SURRÉALISME.
Un chien andalou, manif este
cinémarograplriqu.e du
surréalisme, est réalisé en
1928 par Bwiuel,
sur un scénario écrit avec
Salvador Dali.
© Kobal Collection
LE SURRÉALISME.
Les surréalistes font du
rêve éveillé une expérience
créatrice.
Ci-contre: une
séance plrocograpltiée par
Man Ray, avec au cemre
André Bre to n derrière
lequel apparaît Paul
Éluard.
© Tru.rt Man Ray -
Collection Lucien
Treil/art/
© AOAGP 1990
sujets aussi austères que «Le suicide est-il une solution?» ou «Quelle
sorte d'espoir mettez-vous dans l'amour?>>.
Il n'est pas jusqu'à l'écri
ture automatique (sur la fortune et l'infortune de laquelle Breton aura
un avis fluctuant) qui ne s'impose comme une ascèse, à l'opposite
(remarquera plus tard Pierre Mabille) du n'importe quoi passif, voire
défaitiste, de plus d'un poète «fort en gueule>>.
C'est la tension résultant des variations de l'attitude philo
sophique qui apparaît à l'étude attentive des ruptures entre Artaud et
le reste du groupe, entre le groupe et certains jeunes communistes,
enfin entre le groupe surréaliste et le groupe du Grand Jeu.
(Les
démêlés de Breton avec Bataille, avant et après la participation subite
de celui-ci au «Cadavre>> anti-Breton de 1930, sont d'un ordre dif
férent, comme si leur conflit comportait des «clauses secrètes>> à l'ins
tar d'une paix.) Ces ruptures, qui peuvent paraître à un historien avoir
été largement subjectives, voire épidermiques et anecdotiques (Bre
ton lui-même en parlera posément en 1946), supposaient un horizon
intellectuel commun d'une envergure et d'une qualité telles qu'il faut
remonter au romantisme allemand pour en trouver un équivalent.
L'accélération dans la révolte vécue par quelques hommes
pendant ces années (que le Manifeste coupe à peu près en deux,
inaugurant la phase.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- LA MUSIQUE de 1920 à 1929 : Histoire
- Les arts décoratifs de 1920 à 1929 : Histoire
- L'art de l'affiche de 1920 à 1929 : Histoire
- MODE de 1920 à 1929 : Histoire
- THÉÂTRE FRANÇAIS de 1920 à 1929 : Histoire: Copeau ET SES FILS