Le nu est-il érotique ?
Publié le 28/11/2023
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Le nu est-il érotique ?
La question du nu en Occident naît lors des prémices de la chrétienté, lorsque le récit du
péché originel en impose la définition.
Synonyme dès lors de vérité, de pureté comme de chasteté,
le nu en art pourrait illustrer toute vérité empirique que l’artiste désirerai transmettre.
Or, des
oeuvres comme celles de l’artiste Mapplethorpe (XXème siècle), où la mise en scène de modèle
nus, provoquent moults scandales parmi la critique artistique : sulfureuses, dépravées, sexuelles
voire exhibitionnistes, les critiques pleuvent sur les photographies de nus de l’artiste, dont
l’érotisme homosexuel de son nu est pointé du doigt.
Car, différant en tous points des codes et
stéréotypes sociaux (homosexualité, érotisme masculin), l’artiste diffère aussi des codes esthétiques
classiques en proposant par le biais de la photographie, des nus purement corporels, sans visages ni
têtes.
Ainsi, il semblerait que le nu soit en art le porteur d’attentes et de contraintes de la critique
artistique.
Il est ainsi intéressant de se demander : Comment le nu devient une projection sublimée
des standards esthétiques et moraux de la société ? Nous entamerons donc notre réflexion en
étudiant de quelle manière le nu corrobore avec un désir de ressusciter l’Antiquité et les moeurs
aristotéliciennes, puis nous approfondirons en corrélant l’hypothèse d’un nu révélateur de fantasmes
essentiellement masculins, et qui ainsi nous permettra de développer l’idée d’un nu teinté des
standards sociaux, mais ainsi dénonciateur des idées de genres archaïques.
Car en effet, la découverte du traité de Lucrèce De Rerum Natura en Italie, puis des
manuscrits grec de Pythagore, Vegèce et Euclide provoquèrent un véritable choc dans l’histoire
occidentale.
L’Antiquité, jusqu’à ce jour tut par le Moyen Âge, fut redécouverte : la richesse de la
culture greco-romaine, le paganisme et les mythes, les philosophies antiques, … On redécouvre
également une forme d’art où la pudeur est décomplexée et le nu affirmé, avec une technique
plastique et artistique qui engendre une réelle admiration pour ces civilisations originelles.
Les
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oeuvres découvertes, porteuses de l’héritage grec, furent tenues en admiration et subjuguèrent la
nouvelle élite de la Renaissance.
Le célèbre groupe sculpté du Laocoon, aujourd’hui au Vatican
illustre l’art grec dans toute sa splendeur : la maîtrise technique de l’anatomie et de la musculature
humaine y est excellente ; les corps nus et tendus luttent contre les serpents qui les enserrent,
impuissants face à la souplesse tentaculaire de ces derniers ; les protagonistes tentent de lutter, en
vain ; la limpidité des corps corrobore à la clarté de la scène, qui expose la tension dramatique de la
scène, sans pour autant que les émotions ne transpercent le spectateur.
Maîtrise plastique et maîtrise
des expressions corroborent une esthétique du mimesis aristotélicien (ressemblance).
Le nu devient
alors l’exercice plastique et artistique des plus honorables, portant avec lui l’héritage d’une
civilisation dorée idéale à ressusciter.
De ce fait, le nu deviendra dans un premier temps un outil de résurrection ; projection de
l’idolâtrie pour l’Antiquité, le nu incarne le désir véritable de renouer avec l’origine de nos
civilisations occidentales, d’autant plus que celui porte la marque des théories et philosophies
platoniciennes et aristotéliciennes : le nu concrétise l’esthétique platonicienne et la théorie
d’Aristote, lesquelles affirment que « c’est dans la mesure et la proportion que se trouve partout la
beauté et la vertu » (Platon) et que seule la ressemblance perfectionnée de l’art avec la nature
constitue le critère de Beauté.
Ainsi, les statues grecques telles que l’Apollon du Belvédère seront
copiées, prises pour modèles et remises au goût de l’époque, comme l’illustre le David de MichelAnge (XVIe siècle) : protagoniste de l’histoire chrétienne, David est représenté comme un
personnage mythologique ; il est se tient debout, flegmatique, fièrement nu, sa musculature
apparente, ne cachant nullement ses genitaliae, dans une position hanchée ; ce procédé de
contrapposto rend la statut plus vivante, plus proche de la réalité.
Cette oeuvre va reprendre toutes
les idées de la Renaissance, où prônent le christianisme et la nostalgie antique, en les combinant
avec les idées platoniciennes et aristotéliciennes ; elle conjure beauté divine et perfection antique.
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Ainsi, le nu, effacé de toute connotation érotique, est au contraire le garant de la transmission d’une
pratique et d’un héritage antique.
Egalement, dans ce nu où se mêle perfection et beauté, Antiquité et « Modernité », se trouve
un autre concept, celui d’Idéal.
En effet, bien plus qu’être un idéal, un modèle de performance
artistique aux yeux des grands académiciens, le nu personnifie l’Idéal moral que tout être devrait
atteindre (bien sûr, cet Idéal dépend de l’actualité des moeurs), mais surtout la Vérité ; dépourvu de
cache, de vêtements, de fioritures, le corps, mis à nu de toute superficialité humaine, n’est plus que
vérité : « le signe signifie, la forme se signifie » (Focillon) ; le corps devient le reflet de l’âme.
Obéissant aux lois de la physiognomonie, le nu se fait presque psychostasie : Léonidas aux
Thermopyles de David (XIXe siècle) par exemple présente Léonidas, chef de guerre Spartiate qui
se sacrifia avec son armée pour la cité de Sparte, comme un héros, un idéal moral et spirituel ; assis
sereinement, il fixe le spectateur droit dans les yeux, armes en main, prêt au combat ; il est nu et
expose sa puissante musculature : il illustre « l’exemplum virtusis », le modèle de vertu suprême qui
impose une introspection au spectateur.
Starobinski confère une « idéalité transcendante » à l’idéal
de perfection (cet idéal de perfection sera repris par de nombreux régimes totalitaires, comme le
régime nazi où la figure de l’ « ubermensch » était exhibée), que le spectateur doit alors percevoir
dans le nu au delà d’une simple perfection plastique.
Le nu semble alors dans un premier temps
porteur de l’héritage antique comme des moeurs aristotéliciennes.
Dès lors, les standards sociaux, que ce soit les codes esthétiques, les modes du moment ou
bien les moeurs, se projettent en art sur le nu, mais un nu ici exclusivement masculin.
L’homme est
renvoyé à un statut de représentant de l’espèce humaine, porteur de l’histoire du monde et marqué
par les leçons de celle-ci ; fier de son être, de sa totalité, il ne semble alors n’y avoir de place pour la
femme dans le genre du nu.
Pourtant, le nu féminin existe, et ce parallèlement au nu masculin
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En effet, a contrario du nu masculin, une énergie complètement différente émane du nu
féminin : tandis que le nu masculin incarnait force, puissance, fierté et vertu à travers des procédés
techniques parfaitement limpides et une anatomie idéalisée, le nu féminin quant à lui, est caché, à
peine dévoilé, dans une fausse pudeur qui suggère érotisme, libertinage et séduction.
Les images se
construisent sur le dévoilement du corps de la femme, l’œil du spectateur n’est plus une simple
rétine, mais un regard curieux, qui surprend l’intimité dévoilée ; « l’image lance le désir au-delà de
ce qu’elle donne à voir » (La Chambre Claire, Barthes) ; une énergie scopique (Freud) s’en dégage,
l’érotisme émane de l’oeuvre : le nu est transcendé par la nudité.
Ce dispositif de dévoilement est
particulièrement flagrant dans l’oeuvre de Corradini la Pudicia : ekphrasis de la description de A
dans la Jalousie de Robbe-Grillet, la femme est anonymisée ; on ne voit son visage, elle ne porte de
nom ; en revanche le balancement de ses hanches, le linge mouillé qui la recouvre et suggère son
corps est parfaitement décrit.
Sans une fois être mise à nue, toujours couverte, la femme devient
l’objet de convoitise, de fantasmes et la cause de pérégrinations presque fantasmagoriques de
l’esprit.
La pudeur de la venus pudica crée une zone érogène invisible pour le spectateur, qui à
l’inverse du nu masculin, fait oublier toute moeurs et tout devoir pour guider l’esprit vers les limbes
de l’érotisme.
De fait, les procédés techniques divergent de ceux du nu masculin dans le but de créer un
piège à regard pour le spectateur ; là encore le nu correspond à de nouveaux standards sociaux,
lesquels projette cette fois-ci dans ce genre de nouveaux critères esthétiques, destinés cette fois-ci à
satisfaire non pas une faim intellectuelle mais visuelle.
Les sensations doivent être exacerbées pour
qu’elles puissent caresser le spectateur : rabattant la musculature herculéenne, la chair ici se veut
moelleuse, potelée, débordant presque d’un corps mou et chaleureux ; les couleurs chatoyantes
embuent la vision ; les lignes serpentines, crées par les étoffes soyeuses, les châles légers, perdent
les yeux du spectateur.
La Vénus en manteau de fourrure de Rubens (XVIIème siècle) par exemple
provoque une expérience sensorielle : debout sur un taffetas rouge écarlate, tentant passivement de
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se couvrir avec un manteau de fourrure, Vénus regarde le spectateur ; la chair qui dépasse de son
manteau, de ses bras est grasse, son visage teinté de rose pâle ; ses cheveux rejetés en arrière sont
roux.
Ces jeux de couleur et de texture érotisent la nudité de la femme, dont le nu provoque une
nouvelle esthétique répondant à un désir de plaisir visuel,....
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